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Notre regard

Le visa humanitaire, une belle entrave administrative

Fin septembre 2013, la Suisse a décidé d’accorder des visas facilités aux proches de ressortissants syriens résidant en Suisse et bénéficiaires de permis B ou C. Tout naturellement, un certain nombre de réfugiés statutaires se sont adressés au Centre suisse immigrés (CSI) afin que nous les aidions à entamer les démarches utiles. Soit recueillir les coordonnées des membres de la famille dispersés notamment au Liban ou en Turquie, prouver la réalité du lien familial et les inciter à déposer une demande de visa auprès des représentations suisses présentes dans ces deux pays. Tout cela en lien avec la Croix- Rouge de Berne qui soutenait financièrement l’arrivée de ces Syriens qui avaient, une fois arrivés en Suisse, le choix entre retourner en Syrie à l’échéance du visa (3 mois), déposer une demande d’admission provisoire (permis F), le retour étant impossible en raison du conflit qui prévaut dans la région ou alors solliciter la protection des autorités suisses en raison des persécutions personnelles vécues (permis B réfugiés). Un certain nombre de visas facilités ont été accordés et quelques familles ont ainsi pu être réunies.

Fin novembre 2013, le Conseil fédéral prononce brusquement l’arrêt de l’octroi de visas facilités. [1] Les Syriens qui ont de la famille en Suisse n’ont d’autre solution que de déposer une demande de visa humanitaire, visa qui a remplacé la possibilité de déposer une demande d’asile par le biais des ambassades. Incompréhension totale des réfugiés syriens résidant en Suisse. Pourquoi cette mesure restrictive alors que le conflit syrien redouble de violence et que l’avancée des djihadistes provoque l’exode de milliers de personnes? Mesure restrictive?

De fait, le visa humanitaire est juste une chimère, vu la somme d’oppositions et de recours que nous avons dû introduire suite aux refus des ambassades, puis au refus du Secrétariat d’État aux migrations (SEM, ex-Office fédéral des migrations) puis finalement au refus confirmé par le Tribunal administratif fédéral (TAF) d’accorder ledit visa. Explication.

Aucune représentation suisse n’étant présente en Syrie, les Syriens sont obligés de se rendre soit en Turquie, soit au Liban, soit en Jordanie pour déposer une demande de visa humanitaire. Vu le nombre d’exilés syriens dans ces pays, il va sans dire que l’accès aux ambassades s’avère extrêmement compliqué et nécessite plusieurs semaines.

Refus systématiques

Une fois reçu à l’ambassade, un rendez-vous est fixé, quelques semaines plus tard, pour remplir un formulaire de requête, formulaire ressemblant à toute autre demande de visa (visite, tourisme, séjour…) sauf qu’il est possible d’indiquer sous la rubrique «autre» le fait qu’on demande un visa humanitaire, cela sans pour autant que l’on puisse exposer les motifs de ladite demande. Une fois le formulaire complété, les requérants attendent la réponse de l’ambassade. Et force est de constater que toutes les demandes de visas déposées par des proches de réfugiés syriens résidant en Valais ont été refusées, au motif notamment que le retour en Syrie après l’échéance du visa n’est pas garanti (sic) ou de l’absence de garantie financière.

Procédure kafkaienne

Contre ce premier refus, nous pouvons introduire une opposition auprès de l’ODM mais cela suppose de la part des familles résidant en Suisse le versement de Fr. 150.- par cas pour les frais de procédure. Oppositions qui sont toutes rejetées par l’ODM. Raisons du refus: les requérants ne sont plus concrètement menacés puisqu’ils sont en Turquie ou au Liban; ils ne peuvent être représentés par un mandataire qui agit en Suisse au nom de la famille qui y réside sans avoir préalablement rédigé personnellement les motifs de leur requête et signé une procuration, documents qu’ils devront transmettre en original et non pas sous format électronique.

Dans le cadre du recours que nous déposons auprès du TAF, nous insistons sur le fait que l’absence d’une représentation suisse en Syrie oblige les personnes menacées de sortir du pays, avec tous les dangers qu’un tel voyage implique, pour solliciter un visa humanitaire, que par conséquent l’on ne saurait avancer le prétexte d’être en «sécurité» dans un pays tiers, en l’occurrence la Turquie ou le Liban pour le refuser.

Par ailleurs, le séjour des requérants est illégal dans les deux pays qui peinent à assurer sécurité et entretien au 1’000’000 et 1’200’000 réfugiés qu’ils accueillent déjà. Partant, les contacts entre la famille en Suisse et leurs proches sont difficiles en raison des conditions précaires dans lesquelles ces derniers vivent (ni logements fixes, ni moyens financiers, ni personnes pouvant traduire dans une langue nationale un courrier exposant les motifs d’asile rédigé en arabe) et la production de documents originaux dûment signés s’avère dès lors quasi impossible. Nous avons déposé une trentaine d’oppositions, puis le même nombre de recours dont certains ont déjà été refusés, les motifs de l’ODM ayant été confirmés par le TAF. Cette instance nous reproche de n’avoir pas déposé dans les délais impartis -entre 15 et 30 jours- les documents originaux exigés. A cela s’ajoutent les frais de procédure. Comme indiqué plus haut, Fr. 150.- par opposition introduite auprès de l’ODM et Fr. 600.- par recours au TAF. Ce qui peut représenter une somme considérable pour la famille résidant en Suisse. Un exemple: une famille avec 5 enfants dont 3 sont majeurs implique de déposer une opposition et un recours pour les parents et les enfants mineurs et séparément, une opposition et un recours pour chaque enfant adulte. Petit calcul: Fr. 150.- x 4 et Fr. 600.- x 4 = Fr. 3’000.-, tout cela pour rien puisque le visa sollicité est finalement refusé!!

De septembre 2012 à mi-juin 2014, seuls 48 visas humanitaires [2] ont été octroyés alors que plus de 200 autorisations d’entrée via la procédure d’ambassade étaient délivrées en moyenne par année entre 2006 et 2012 [3]. Comme le mentionne l’Organisation suisse d’aide aux réfugiés dans un de ses communiqués: on «constate aujourd’hui avec grande déception que le visa humanitaire vanté comme remplacement valable de la demande d’asile auprès d’une ambassade ne tient en aucune manière les promesses faites à plusieurs reprises par la Conseillère fédérale, Madame Simonetta Sommaruga.» [4]

Françoise Jacquemettaz


Notes:

(1) Vivre Ensemble, Visas facilités pour les Syriens: On ne change pas les règles du jeu en cours de partie!, n°145 / décembre 2013.

(2) Croix-Rouge, demande d’assouplissement de la loi sur les visas humanitaires pour les Syriens, source ATS, 7.09.2014

(3) Interpellation de Cesla AMARELLE au Conseil national, 19.06.2014

(4) OSAR, Enterrer définitivement la demande d’asile auprès d’une ambassade? Tenir enfin les promesses relatives au visa humanitaire, 27.02.14.