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Le Courrier | Méditerranée: la politique migratoire au prix fort

Ce beau mois d’avril a pris un goût bien amer en Sicile. Car, à mesure que la météo se faisait plus clémente, les départs s’accéléraient depuis la Libye. La semaine dernière, le triste record de 8000 personnes secourues en mer était atteint. Et plus de 400 morts.

Editorial de Laura Drompt, paru dans Le Courrier, le 18 avril 2015. Cliquez ici pour lire l’article sur le site du journal.

Pour les Européens, la Méditerranée est synonyme de vacances idylliques. Pour d’autres, cette mer rime avec cimetière. Pour une société biberonnée aux trajets confortables, il n’est pas inutile de rappeler la peur que suscite le départ en mer à bord d’un rafiot surpeuplé. Comme le faisait remarquer Maybel dans nos pages de lundi – elle-même rescapée d’une traversée –, on n’osera pas parler de «bateaux».

Les récits de ceux passés par cette épreuve font froid dans le dos: centaines de personnes entassées, parfois attachées par les passeurs afin d’éviter les mouvements de panique; innombrables risques pris par celles et ceux qui embarquent; passagers pris de folie, préférant crever la gomme du zodiaque plutôt que de poursuivre; départs à 240 migrants dont seuls 50 survivent jusqu’à l’arrivée des secours…

Cette réalité-là est presque quotidienne, à deux heures de vol à peine de chez nous. Des hommes, des femmes, des enfants font ainsi les frais d’une stratégie migratoire européenne inhumaine. Car ces vies pourraient être épargnées. Preuve en est: l’opération Mare Nostrum, menée sous commandement italien jusqu’en octobre, a permis de sauver plus de 170’000 personnes en une année.

Puis l’Europe a demandé à l’Italie d’interrompre cette mission à but humanitaire, sous prétexte qu’elle créait un «appel d’air» pour les migrants. Depuis, l’opération Triton patrouille aux frontières, budget ratiboisé, sous tutelle européenne. Ce changement de cap a fait reculer les navires loin en haute mer, diminuant d’autant les chances pour les esquifs de tenir le coup.

Face à cette tragédie, il est impératif d’enfin prendre ces vies humaines au sérieux, de ne pas réfléchir en nombres et en stratégies pour rendre l’Europe moins attractive.

Manifestement, la menace d’une mort atroce en mer ne freine pas les départs; le problème est donc à prendre en amont. Seule une sécurité, tant économique que politique et sociale, dans leurs pays d’origine sera à même de freiner les flux migratoires. Laisser les requérants d’asile se noyer au large n’est pas une solution. C’est pourtant le chemin entrepris par l’Europe et par la Suisse, qui participe à la fameuse opération Triton.