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Le Courrier | Sortir de la forteresse vide

Cela commençait un peu trop à se voir. Lorsque les barques coulaient de-ci, de-là, on pouvait s’en accommoder en détournant pudiquement les yeux. Mais les 800 morts en Méditerranée de ce week-end ont obligé les Etats de l’Union européenne à réagir. Ils se sont réunis hier en sommet extraordinaire à Bruxelles.

Editorial de Philippe Bach, paru dans Le Courrier, le 24 avril 2015. Cliquez ici pour lire l’éditorial sur le site du Courrier.

Quelques bonnes nouvelles ont certes été annoncées au terme de cette réunion. Dont la volonté de faire passer de 3 millions à 9 millions d’euros par mois le budget pour les opérations de surveillance et de sauvetage. Cela permettra de sauver des vies. Mais on est loin du plan d’urgence massif qui serait nécessaire.

Les pistes évoquées hier restent dans la logique de l’opération Triton. A savoir un verrouillage des frontières. Le plan en dix mesures présenté lundi et qui a servi de base aux discussions d’hier fait la part belle aux mesures de police: relevé plus systématique des empreintes digitales, effort pour détruire les embarcations des passeurs, aide au retour des migrants, etc.

C’est bien la logique de la forteresse Europe qui prédomine. Or c’est bien ce calfeutrage des frontières qui explique aussi ces hécatombes. Lorsque les autorités hérissent de barbelés les pourtours de l’Europe et traquent les clandestins à coups de caméras infrarouges et autres gadgets high tech, pas étonnant qu’ils cherchent d’autres moyens pour fuir leur pays en guerre ou en déshérence économique.
Cette humanité souffrante est rejetée aux marges, sa douleur est tue, voire bâillonnée par un déferlement de discours populistes et stigmatisants. Quand un journal comme le Sun ose passer un texte assimilant ces migrants à des «cafards» (1), tout est dit. L’animalisation est le premier pas vers l’annihilation. Et c’est bien de cela qu’il est question.

Pendant des lustres, le droit à l’asile a été nié car, nous disait-on, les requérants n’auraient pas réellement été menacés mais cherchaient plutôt un meilleur avenir économique. Un argument difficile à tenir aujourd’hui face à l’embrasement de régions entières du sud de la Méditerranée. Les Syriens, les Libyens, les Somaliens ou les Ethiopiens qui frappent à nos portes fuient des persécutions abominables.
Au point que l’ONU et le HCR haussent le ton vis-à-vis de l’Union européenne. Et pendant ce temps, plutôt que d’agir massivement, on fait frissonner les foules à coups de slogans catastrophistes en annonçant l’hypothèse d’un déferlement de 500’000 réfugiés en Europe. Et alors? Cela ne représente que 0,1% de la population de l’Union européenne (même moins si on raisonne à l’échelle du vieux continent). Pas de quoi provoquer l’effondrement civilisationnel que nous annoncent les tenants du repli
identitaire.

(1) Voir Le Courrier du 21 avril.