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Notre regard

Enceinte à Genève | Bien plus qu’une aide ponctuelle, un soutien à la mère et l’enfant

«Enceinte à Genève» est une formation gratuite pour les femmes enceintes migrantes allophones créée en 2006 par les associations Appartenance et l’Arcade des sages-femmes. Elle touche les futures mères qui sont à plus de quatre mois de grossesse et leur permet par l’intermédiaire d’interprètes (dans près de seize langues différentes) de se renseigner sur le système de santé suisse et sur la préparation à la naissance dans leurs langues d’origine. Elle consiste essentiellement en une succession de quatre à cinq sessions de deux heures et demi chacune. Elles ont lieu dans la maison de naissance de La Roseraie, pour préserver l’intimité des échanges avec les sages-femmes coordinatrices. Suite à l’accouchement, un suivi des mamans et de leurs bébés est mis en place. m

Une récente étude portant sur les risques chez la femme migrante de dépression péri et postnatale révèle que près de la moitié des participantes au programme Enceinte à Genève dispose «d’un statut légal précaire» [1]: requérantes d’asile, situation irrégulière ou permis de séjour valable pour moins d’une année … Elles sont adressées par des médiateurs comme les HUG, gynécologues privés, réseau communautaire, associations travaillant avec les migrants, interprètes.

Dans de telles situations d’instabilité, le rôle des sages-femmes se double d’une dimension sociale, comme l’explique Sandrine Ischi-Wildmoser, une des sages- femmes collaborant au programme. Un rôle qui est d’être «essentiellement disponible et à l’écoute». C’est tout particulièrement la formation et la conscience humaine qui sont le moteur d’une bonne attitude à adopter.

La sage-femme se doit d’être une personne ressource, une «référente» qui s’inscrit dans la continuité. Il s’agit notamment d’encourager le processus d’intégration qui n’est pas simple puisque ces femmes migrantes sont souvent en Suisse depuis peu de temps et ont un accès restreint aux informations les concernant. La sage-femme propose donc un accompagnement momentané mais fiable sur lequel se reposer. Elle peut être un intermédiaire entre l’immigrante et son environnement: par un soutien matériel, en apportant des affaires pour bébé, ou administratif en aidant à rédiger des lettres de demandes de logement, par exemple.

La migration, facteur déstabilisant

Il y a «une véritable précarité» chez certaines femmes migrantes et il faut tenter tant bien que mal de leur apporter l’aide nécessaire pour faire face à la complexité de leurs problèmes. Le soutien médical mais aussi psychologique et affectif leur permet de ne pas perdre complètement pied, dans la situation particulièrement troublante qu’est l’arrivée d’un bébé. Un bon nombre de femmes sont plongées dans «un sentiment d’éloignement», étant séparées de leur proche, de leur famille et ayant parfois vécu de graves traumatismes avant d’arriver en Suisse.

Ce témoignage vient confirmer les études citées dans le rapport qui «suggèrent que la migration en soi, et le manque d’étayage familial et culturel qu’elle implique, dans un moment de vie très chargé sur le plan émotionnel, jouent également un rôle » [2] dans les risques de développer une dépression pré et postpartum. En effet, dans le cas des migrantes avec «statut légal précaire», la vulnérabilité est accrue et «il n’est pas rare qu’elles présentent déjà, au moment de tomber enceintes, un syndrome de stress post-traumatique, associé à une dépression, souvent non traités» [3].

D’après Madame Sandrine Ischi- Wildmoser, les difficultés d’accompagnement de ces femmes étrangères sont accrues par «un manque de coordination entre les institutions» en charge des personnes migrantes. L’éloignement géographique des centres d’accueil de requérants d’asile complique encore cette tâche.

A la situation statutaire s’ajoutent des problématiques auxquelles les accompagnatrices doivent être préparées et répondre de façon adéquate: violences conjugales et/ou psychologiques, mutilations génitales, ou encore familles monoparentales, départ du père pour diverses raisons.

Impact sur la mère et l’enfant

Le rapport nous apprend que cette précarité a un risque pour la mère et l’enfant à venir:

«Les femmes migrantes ou celles issues de milieux socialement défavorisés présentent des taux très élevés de dépression prénatale» [4] qui «serait associée à des complications pré et périnatales. [De plus,] les femmes déprimées pendant la grossesse accoucheraient plus prématurément que les autres et leurs bébés nécessiteraient plus de soins intensifs du fait de complications postnatales» [5].

Constatation est alors faite que «de nombreuses femmes présentaient un cumul de facteurs de risque psychosociaux depuis le début de la grossesse» [6] pouvant entrer en jeu dans le devenir de l’enfant. «Les résultats soulignent l’importance du dépistage du stress périnatal dès la grossesse ainsi que la mise en place d’actions préventives et culturellement sensibles de soutien des mères durant la période périnatale. Donner naissance à un enfant en situation migratoire constitue pour les mères à la fois un challenge et une opportunité» [7].

Briser l’isolement social

Si les sages-femmes ne peuvent remédier aux problèmes économiques de leurs patientes, la «sortie de l’isolement social» est déjà un grand pas en avant, selon Madame Ischi-Wildmoser. Elles participent ainsi à faciliter la grossesse qui a un large impact sur l’évolution de l’être à venir, apportent un accompagnement à la maison qui contribue à assainir la situation familiale et favorisent l’implication des pères. Ces éléments permettent à la famille de se construire plus sereinement autour du futur bébé.

L’échange authentique et humain est privilégié. Même si l’aide apportée est ponctuelle, elle peut être déterminante: elle encourage la co-solidarité et l’adaptation sociale. Elle contribue surtout à améliorer le départ sur de meilleures bases pour l’enfant, en mettant la future mère en confiance.

Lubiana Gosp-Server


Notes:

(1) Goguikian Ratcliff, B. et coll. (2014). Etude longitudinale du stress périnatal chez des migrantes à Genève. Manuscrit non publié, FPSE, Université de Genève, p.3

(2) Zelkowitz, 2007; Zelkowitz et al. 2004; in: Goguikian Ratcliff et coll., op. cit., p. 14.

(3) Gagnon et al.,2006; Potties et al., 2011; in: Goguikian Ratcliff et coll., op. cit.,, p.17

(4) Adouard, Glangeaud-Freudenthal et Golse, 2005; Da Silva et al., 1998; Kitamura, Sugawara, Sugawara, Toda et Shuma, 1996; Le Strat, Dubertet et Le Foll, 2011; Saucier, Bernazzani, Borgeat et David, 1995; Zelkowitz et al.; in: Goguikian Ratcliff et coll., op. cit., p.15

(5) Field, Hernandez-Reif et Diego 2006; in: Goguikian Ratcliff et coll., op. cit., p.15

(6) Goguikian Ratcliff et coll., op. cit., p.9

(7) Goguikian Ratcliff et coll., op. cit., p.48