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Notre regard

Editorial | Autonomie et dignité

Testez le jeu des définitions de l’asile auprès de vous. Vous observerez une grande confusion entre les définitions du statut de réfugié et de l’admission provisoire (p. 26). Source du quiproquo: l’admission provisoire concrétise dans la majorité des cas une interdiction pour la Suisse de renvoyer une personne vers son pays d’origine liée au droit international (risque de torture ou risque dû à une violence généralisée en cas de conflits armés). Elle traduit la reconnaissance d’un besoin de protection, que le large public assimile souvent à celui reconnu aux réfugiés. Mais pour la statistique suisse, la décision est «négative», car précédée d’une décision de renvoi, à l’exécution duquel l’admission provisoire vient surseoir dans un second temps.

En 2014, Syriens et Erythréens ont été en tête des «admis provisoires». Plus personne n’ignore ce qui se déroule dans leurs pays respectifs. Cela n’a pas empêché l’UDC Céline Amaudruz de prétendre sur la RTS (1) qu’ils ne sont pas des «vrais réfugiés» et qu’il suffit de négocier des accords de réadmission avec leurs gouvernements… Négocier avec qui? Bachar El-Assad?!

La tentative de l’UDC de disqualifier ce statut fait évidemment partie du jeu de la campagne électorale. Le parti a bâti son discours sur de prétendus «abus», dépeignant les demandeurs d’asile comme des menteurs, des profiteurs; il ne faut pas s’attendre à plus d’honnêteté. Y compris lorsque les chiffres témoignent du contraire. A savoir que plus de 70% des demandes d’asile dont les motifs ont été examinés par la Suisse se sont vues reconnaître un besoin de protection (p. 22).

Ce chiffre, publié par Eurostat et repris par la Neue Zürcher Zeitung mi-mai, a secoué la république médiatique. Qui aurait sans doute dû lire plus attentivement notre brochure Il y a ce qu’on dit sur les réfugiés. Et il y a la réalité, dont la page 3 rappelle noir sur blanc ce fait essentiel. On ne va donc pas bouder notre satisfaction de voir notre raisonnement statistique confirmé… et celui du Secrétariat d’Etat aux migrations infirmé. Celui-ci grossit artificiellement le taux de décisions négatives et brosse un tableau biaisé – et même inversé – de la réalité.

Une satisfaction au goût amer. Ce miroir déformant a eu des conséquences directes sur des milliers de destinées humaines. Il a servi à bien des élus pour justifier des durcissements législatifs. Règles, directives, lois ad hoc ont été votées sous le prisme d’une volonté dissuasive, de lutte contre de prétendus abus sous prétexte que seule une minorité de réfugiés en étaient de «vrais». Autant de barrières auxquelles la plupart des demandeurs d’asile, appelés à rester en Suisse, vont être confrontés, lorsqu’il s’agira de redémarrer une vie dans leur pays d’accueil.

Mais qu’est-ce que reconstruire une vie? Qu’est-ce que façonner sa place dans la société? Est-ce avoir la possibilité de choisir quoi manger, comment et avec qui habiter? Est-ce créer des liens avec la société d’accueil, qui permettent d’appréhender les codes implicites de la vie «à la Suisse»?

La Suisse n’aurait-elle pas intérêt à offrir aux demandeurs d’asile, dès le début, les outils pour se débrouiller le plus rapidement possible? D’être autonomes et de contribuer à la société d’accueil, même si leur séjour ici devait s’arrêter au bout de deux ou trois ans, plutôt que de régenter leur vie par des interdictions et des limitations? A travers le portrait de Mohammed, les dessins de Hani Abbas, la description d’un projet mené à Genève, ou de la mise en place du cash-aid assistance pour les réfugiés du Liban aujourd’hui confronté à une situation extraordinaire, nous interrogeons en filigrane ce besoin pour tout être humain d’avoir prise sur le cours de son existence, d’être autonome. Une autonomie qui rime avec dignité.

Sophie Malka


Note:

(1) RTS, Forum, mai 2015.