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IRIN | Les réfugiés de Jordanie – une chronologie humaine de la crise régionale

La Jordanie étouffe sous le poids des plus de 600’000 réfugiés syriens présents sur son sol; les responsables gouvernementaux et les agences d’aide humanitaire ont mis en garde contre l’amenuisement des ressources et l’érosion de la capacité de réponse à des besoins sans cesse croissants. Cependant, les Syriens qui fuient le conflit actuel ne représentent qu’une petite partie de la population des réfugiés de Jordanie. Depuis des décennies, le petit royaume, dont la population autochtone s’élève à quelques millions, ouvre ses portes aux familles originaires des pays voisins, comme la Syrie, la Palestine et l’Irak.

Article paru sur le site d’IRIN, le 14 décembre 2014. Cliquez ici pour lire l’article sur le site d’IRIN.

Les journalistes d’IRIN se sont rendus à Amman pour rencontrer cette formidable mosaïque d’individus, comprendre le sentiment de permanence momentanée, entendre les expériences vécues par les réfugiés, leurs motivations ainsi que leurs espoirs pour l’avenir. Nous avons choisi de raconter les histoires de cinq réfugiés de génération différente afin de montrer comment ils ont été façonnés et secourus par leur pays d’adoption.

La plupart des plus de deux millions de Palestiniens vivant en Jordanie bénéficient d’une forme de citoyenneté, mais le type de passeport qu’ils possèdent – délivré en fonction de leur date d’arrivée et de leur pays d’origine – leur confère des droits différents.

Ainsi, si certains Palestiniens bénéficient d’un accès total à l’emploi, au droit de propriété, à l’enseignement public et aux services de santé, d’autres ont besoin d’un permis de travail et doivent payer des frais de scolarité plus élevés.

«Certains métiers sont réservés aux Jordaniens. Mais certains métiers sont prioritaires», a dit Reem Abu Hassan, le ministre jordanien du Développement social. «Le taux de chômage est élevé [dans les camps palestiniens], mais il faut savoir que le taux de chômage est élevé au sein de la société jordanienne».

En revanche, les Irakiens installés en Jordanie n’ont pas de passeport jordanien et, en tant que réfugiés, ils ne peuvent pas obtenir le permis de résidence qui leur permettrait de travailler, à moins de le payer.

Beaucoup de gens pensent que les Irakiens installés en Jordanie sont de riches entrepreneurs, mais si certains réfugiés irakiens sont des migrants économiques financièrement indépendants, bon nombre d’entre eux n’ont pas accès à l’emploi et dépendent largement de l’aide et du soutien de la communauté.

Les réfugiés syriens installés en Jordanie connaissent eux aussi des difficultés et, comme les Irakiens, ils sont confrontés à des restrictions au déplacement et à l’emploi, ce qui les plonge dans des difficultés économiques. Selon Masara Srass, la responsable du programme pour les réfugiés de l’Association des femmes syriennes d’Amman, bon nombre de jeunes syriens arrivés dans le pays depuis 2011 ont quitté l’école tôt pour trouver du travail sur le marché noir et faire vivre leur famille.

Cela encourage le développement d’une main d’œuvre parallèle et non réglementée – en violation du droit international – et inquiète les Jordaniens qui ont eux aussi besoin de travail. Cela prive également les jeunes syriens d’une éducation.

L’organisation non gouvernementale (ONG) internationale CARE estime que jusqu’à 60’000 enfants travaillent en Jordanie. Ce chiffre a doublé depuis le début de la crise syrienne en 2011.

Plusieurs thèmes unissent les vagues successives de réfugiés. Bon nombre d’entre eux attendent d’être réinstallés dans un pays tiers, en particulier les Irakiens. Pourtant, ils attendent souvent pendant des années – selon le Département d’Etat des Etats-Unis, moins d’un pour cent des réfugiés dans le monde sont réinstallés dans un pays tiers et ils sont choisis en raison de circonstances exceptionnelles.

Pourtant, tous reconnaissent qu’ils préfèreraient rester en Jordanie plutôt que de retourner dans leur pays d’origine et la plupart finissent par dire que ce pays est devenu le leur, pour le meilleur et pour le pire.

Les vétérans du déplacement

Nom: Abu Mohammed
Date d’arrivée: Né en 1954
Pays d’origine: Cisjordanie, Territoire palestinien occupé
Son plus grand espoir: Donner une éducation à ses enfants et retourner vivre sur la terre de ses parents
Profession: Ce petit entrepreneur a pris sa retraite en raison de problèmes de santé.

Les parents d’Abu Mohammed ont quitté la Palestine historique en 1948. Ils ont fui les violences de la guerre israélo-arabe – que la plupart des réfugiés appellent la Nakba (la catastrophe) – et ils ont transité par le Liban et la Syrie avant de s’installer en Jordanie.

Abu Mohammed est né en 1954 dans le camp de réfugiés d’Irbid, situé dans le nord de la Jordanie, à environ 85 km d’Amman.

Abu Mohammed était âgé de sept ans quand le camp de tentes établi dans une zone vallonnée, baptisée Tal, a été déplacé; les réfugiés ont entrepris de construire des structures plus permanentes, ce qui a entraîné le développement d’une zone urbaine aujourd’hui densément peuplée.

«Au début, il n’y avait que des tentes et puis les gens ont commencé à construire des maisons en boue», se souvient cet homme de 60 ans. «Ils construisaient une ou deux pièces. Au début, c’était vraiment difficile. Il n’y avait ni eau ni électricité». En cas de pluie, le camp était envahi par la boue et il arrivait que les murs fragiles des constructions s’effondrent.

Abu Mohammed se souvient que, quand il était enfant, ses parents avaient des difficultés à se procurer des denrées de base. Il a dit que sa mère et ses sœurs aînées marchaient trois kilomètres jusqu’au robinet collectif et qu’elles transportaient ensuite des bidons d’eau de 20 kilos sur leur tête. Son plus mauvais souvenir est d’avoir vu des hommes et des femmes se battre pour s’emparer de la nourriture distribuée par les agences d’aide humanitaire, a-t-il dit.

Le camp d’Irbid fonctionne encore, mais après des dizaines d’années de construction, il s’est transformé en une zone urbanisée où le béton domine. Il accueille désormais plus de 25’000 réfugiés enregistrés.

Abu Mohammed, qui vit encore dans le camp, dit qu’il s’y sent comme chez lui.

«Personnellement, j’aime vivre dans le camp, car je m’y suis habitué. Je [n’aimerais] pas vivre à l’extérieur», a-t-il dit.

Si la vie de ses parents était axée sur la survie, ce père de six enfants pense que l’éducation est la chose la plus importante.

Il a dit qu’il avait discrètement vendu des parcelles du camp afin de régler les frais de scolarité de ses enfants et leur donner une chance de recevoir une éducation. Sa femme, qui a été déplacée dans son propre pays en 1967, et lui-même ont été peu scolarisés.

«J’espère qu’ils auront une meilleure vie et un meilleur avenir que nous», a-t-il dit.

Les sacrifices qu’ils ont consentis ont payé jusqu’à présent. Abdulrahman, le fils d’Abu Mohammed, a 18 ans. Il est en dernière année d’études secondaires et souhaite suivre des études de gestion à l’université l’année prochaine. Le fils aîné du couple, Mohammed, est comptable et vit en Arabie saoudite.

«Les mères palestiniennes portent un plus lourd fardeau, car elles ont une mission» a dit Umm Mohammed. «Pour nous, le plus important est de donner une éducation à nos enfants … Je ne pense pas qu’une personne sans instruction ait la même vie qu’une personne instruite».
Les membres de cette famille vivent en Jordanie. Ils ont la citoyenneté jordanienne et disposent de passeports, mais ils éprouvent encore un sentiment de perte quand ils parlent de la Palestine.

«Là-bas [dans la Palestine historique], s’ils me donnaient une tente et que j’avais le sentiment de vivre dans mon pays, je serais l’homme le plus heureux », a dit Abu Mohammed.

Education, éducation, éducation

Nom: Abu Khalid
Date d’arrivée: 1967
Pays d’origine: Cisjordanie, Territoire palestinien occupé
Son plus grand espoir: Offrir une éducation à ses enfants.
Profession: Assistant en pharmacie à Amman.

Abu Khalid est né dans le camp de réfugiés d’Aqabat Jabr, en Cisjordanie, avant l’annexion du pays par Israël pendant la guerre des Six Jours de 1967 et la prise par l’Etat juif du plateau du Golan à la Syrie, de la Cisjordanie à la Jordanie et de la péninsule du Sinaï à l’Egypte.

Après avoir fui la guerre des Six Jours en 1967, Abu Khalid et ses parents se sont installés à al-Karameh, dans la vallée du Jourdain. Son père a loué une ferme pendant un an, mais la famille a été contrainte de partir s’installer à Amman à cause de la bataille d’al-Karameh qui a opposé Israël à une alliance de l’armée jordanienne et des factions palestiniennes en 1968.

Après avoir rejoint le camp de Wadi al-Rimam, situé non loin d’Amman, la famille a acheté un abri préfabriqué d’un montant de 256 dinars jordaniens. La mère de famille a dû vendre ses bracelets en or pour obtenir l’argent nécessaire à cette acquisition.

La famille de sept personnes a vécu dans ce préfabriqué, doté d’un toit de tôle mais sans toilettes, jusqu’à ce qu’elle ait mis suffisamment d’argent de côté pour pouvoir casser ses murs fragiles et reconstruire un abri plus solide, mais toujours modeste.

Afin d’offrir à ses cinq fils une bonne éducation, Abu Khalid a travaillé tard le soir, occupant deux emplois, et Um Khalid, sa femme, qui est enseignante de profession, a donné des cours privés. Ils ont également emprunté de l’argent à leur famille et à leurs amis pour payer les frais de scolarité universitaire.

«Ma femme et moi, nous avions un but dans la vie», a dit Abu Khalid, 54 ans. «Avoir une grande maison, une grande voiture ou gagner beaucoup d’argent ne nous intéressait pas. Notre seul objectif était d’offrir une éducation à nos enfants … Nous avons vécu de manière austère pour le bien de nos enfants, pour pouvoir leur offrir une éducation quand ils seraient grands».
Pour Um Khalid, le jour où son fils aîné, Khalid, est devenu médecin est l’un des plus heureux de sa vie.

Les membres de cette famille ont la nationalité jordanienne et ils disposent de passeports, mais ils sont toujours considérés comme des réfugiés palestiniens. Cela veut dire qu’ils peuvent travailler, mais qu’ils ne reçoivent pas toujours un traitement égal, comme la famille l’a appris à ses dépens.

Abu Khalid a raconté qu’il avait posé sa candidature auprès du service d’entretien de l’Armée de l’air, mais que le responsable avait refusé sa candidature, car ses papiers indiquaient qu’il était palestinien.

«Ils ne voulaient pas de personnes d’origine palestinienne», a-t-il expliqué. Ils voulaient donner ces postes à des Jordaniens. «Mon dossier était complet et prêt. Pourquoi m’ont-[ils] exclu? Pourquoi m’ont-[ils] rejeté?

«J’ai l’impression que ma vie est en suspens, je suis entre deux feux», a ajouté Abu Khalid. «Je ne suis pas sur ma terre natale et je ne peux pas revenir sur ma terre natale. Je ne me sens pas à l’aise ici et si je rentrais dans le contexte actuel, je ne me sentirais pas à l’aise. Je ne pourrais pas vivre»

Entre deux mondes

Nom: Masara Srass
Date d’arrivée: 1982
Pays d’origine: Hama, Syrie
Son plus grand espoir : Avoir le sentiment d’appartenir au pays dans lequel elle vit
Profession: Responsable du programme pour les réfugiés de l’Association des femmes syriennes.

Masara Srass a quitté la Syrie en 1981peu de temps avant ce que l’on appelle le «massacre d’Hama»: le président Hafez al-Assad avait lancé l’assaut sur la ville d’Hama pour réprimer le soulèvement des Frères musulmans, ce qui avait entraîné la mort de dizaines de milliers de civils. Cette attaque était l’acte final d’une répression qui a duré plusieurs années à travers le pays et qui a entraîné la fuite de milliers de personnes dont la famille de Srass.

Quand elle a eu 14 ans, sa famille est partie s’installer à Amman. Les membres de la famille ne se sont pas fait enregistrer en tant que réfugiés, mais ils s’appelaient eux-mêmes muhâjirûn (migrants/voyageurs).

Mme Srass est aujourd’hui la responsable du programme pour les réfugiés de l’Association des femmes syriennes d’Amman. En 2006, elle a participé à la création de cette association qui vise à fournir un réseau de soutien local aux familles qui arrivent en Jordanie.

Dans le cadre de son travail, Mme Srass entend beaucoup d’histoires tragiques, mais elle entend aussi l’espoir des Syriens qui souhaitent revenir dans leur pays rapidement. Parfois, dit-elle, elle n’arrive pas à dormir, car la tragédie la touche profondément.

Mme Srass porte le poids de son propre déplacement; elle est détentrice d’un passeport syrien, mais elle dit qu’elle vit en Jordanie depuis tant d’années qu’elle se sent comme une étrangère en Syrie – elle n’appartient vraiment à aucun des deux pays.

«Nous vivons ici depuis plus de 25 ans», a expliqué Mme Srass. «Je me suis mariée ici, mon mari est originaire de Syrie lui aussi, mes enfants sont nés ici, [ils] ont grandi ici.

«Il y a dix ans, alors que ma fille avait 12 ou 13 ans, je suis retournée en Syrie pour la première fois. Une fois sur place, j’ai été choquée parce que la société m’a paru étrange. Je ne me reconnaissais pas – ni ici ni là-bas».

En revanche, cela fait plus de 30 ans que le mari de Mme Srass, qui dirige une entreprise de matériaux de construction, n’a pas remis les pieds Syrie. «Sa mère et ses sœurs venaient lui rendre visite avant. Ses frères vivaient en Syrie, mais ils ont quitté le pays en 2012 à cause de la crise et ils se sont installés en Jordanie. Quand il discute avec eux, il me dit ‘On ne s’entend plus [comme avant]. Leur manière de parler et de s’habiller n’est pas la même que la nôtre’».

Sa fille de 22 ans est étudiante à l’université. Elle se sent différente. Depuis le soulèvement de 2011, elle a le sentiment d’‘appartenir’ à la Syrie et elle a commencé à défendre la cause syrienne pour prouver qu’elle était syrienne, dit Mme Srass.

«Mes enfants disent qu’ils aiment aller en Syrie pour voyager, pour les vacances ou pour rendre visite à la famille, mais ils finissent par me dire ‘Je veux rentrer dans mon pays [la Jordanie] parce que c’est mon pays’», a expliqué Mme Srass.

Colère et trahison

Nom: Abdul Majeed Alhamdny
Date d’arrivée: 2009
Originaire de: Falloujah, Irak
Son plus grand espoir: Se réinstaller dans un pays tiers et offrir un avenir meilleur à ses deux fils.
Profession: sans emploi.

Abdul Majeed Alhamdny n’était pas dans son bureau de la ville irakienne de Falloujah, lorsqu’il a été détruit dans un attentat à la bombe. C’était en 2009 et, à l’époque, il savait déjà que sa vie était menacée, mais cet attentat à la bombe a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. M. Alhamdny a décidé de mettre sa famille en sécurité en Jordanie.

L’homme de 59 ans dit qu’il était menacé, parce qu’il dirigeait un Sahwat, un mouvement regroupant des chiites, qui avait reçu des fonds du gouvernement des Etats-Unis pour lutter contre al-Qaïda en Irak en 2006-2007.

M. Alhamdny a ajouté qu’il avait également travaillé pour une entreprise fournissant de la nourriture, des meubles et du ciment aux troupes américaines sous l’occupation, après la chute de Saddam Hussein.

M. Alhamdny souligne que son engagement au sein du Sahwat (littéralement «éveil») était non-violent et qu’il avait participé à l’amélioration des relations entre les populations locales et les Américains. Il est amer, car sa demande de réinstallation aux Etats-Unis déposée il y a cinq ans n’a pas encore abouti et il dit qu’il se sent «trahi» par les forces de la coalition.

En tant que réfugiés, M. Alhamdny, sa femme et ses deux fils ont accès à un abri, à la nourriture, aux soins de santé, à l’éducation et à d’autres services de base. La famille vit dans un petit appartement situé dans une zone densément peuplée, en périphérie d’Amman. Les réfugiés comme M. Alhamdny n’obtiennent pas de permis de travail en général, à moins d’accepter un poste dans un secteur où ils ne sont pas en concurrence avec les travailleurs jordaniens – en général, des emplois non qualifiés ou que les Jordaniens refusent.

«On marche dans un tunnel et on ne sait pas quand on arrivera au bout», a-t-il dit, frustré de ne pas pouvoir subvenir aux besoins de sa famille. «Je n’ai pas d’avenir ici. Le gouvernement [jordanien] arrive à peine à nourrir son peuple. Nous savons tous que le gouvernement jordanien n’a pas de ressources».

«Je ne veux pas que mon fils soit inutile parce que son père travaillait pour les Américains, qu’il a été vaincu et qu’il est venu s’installer à Amman», dit-il. Il souhaite que ses fils – âgés de cinq et 16 ans – reçoivent une meilleure éducation que celle qu’on leur donne actuellement dans les écoles publiques d’Amman et qu’ils puissent aller à l’école sans être harcelés parce qu’ils sont irakiens.

M. Alhamdny rêve de quitter la Jordanie et de commencer une nouvelle vie en tant que citoyen. «[Le paradis], c’est l’endroit où l’on me donnera une carte d’identité», dit-il. «Ici, je n’ai que ce papier des Nations Unies. Mais lorsque vous arrivez dans un pays qui vous adopte, vous obtenez une (carte] d’identité et vous êtes considéré comme l’égal des autres citoyens».

Encore fragile

Nom: Um al-Harith
Date d’arrivée: 2013
Originaire de: Quneitra, Syrie
Son plus grand espoir: Pouvoir revenir en Syrie un jour et voir ses enfants réussir.
Profession: Elle travaille à la création d’une entreprise de couture.

Um al-Harith n’oubliera jamais le jour où son mari lui a été enlevé. C’était en 2011, un vendredi après-midi, et il venait juste de rentrer de la mosquée. Il travaillait dans la cerisaie familiale à Quneitra, une zone rurale où opérait la Force des Nations Unies chargée d’observer le désengagement, à la frontière entre la Syrie et Israël, lorsque des agents de sécurité syriens l’ont arrêté. Ensuite, ils ont fouillé la maison familiale et emmené le mari. Ils ont qu’il n’y en aurait que pour «une heure», mais c’est la dernière fois qu’elle l’a vu.

Après avoir attendu de ses nouvelles pendant un an, Um al-Harith a emmené ses quatre enfants à al-Sanamayn, dans la banlieue de Damas, chez son père. Pendant une semaine, elle a fait l’aller-retour jusqu’à la capitale pour obtenir des renseignements sur son mari, mais elle n’a rien appris.

Cette femme de 42 ans dit que son mari n’a jamais été officiellement inculpé et elle pense qu’on l’a pris pour une autre personne.

Um al-Harith ne pouvait pas rester chez son père, un homme âgé qui n’avait pas les moyens de les faire vivre, elle et ses enfants. En chemin vers la Jordanie, la famille s’est arrêtée dans une mosquée.

Ils sont restés sur place pendant sept mois. Il leur était difficile de partir ou d’aller chercher de la nourriture à cause des barrages routiers installés autour de la ville et de la mosquée. Ils ont donc survécu grâce à l’aide des habitants qui leur apportaient des denrées.

«Six bombes ont frappé la mosquée alors que des personnes se recueillaient dans la salle de prière», se souvient-elle, en ajoutant que personne n’avait été blessé dans la mosquée, mais que l’attaque avait profondément choqué les personnes qui y avaient trouvé un abri, plus particulièrement les enfants.

Son fils, Harith, âgé de six ans, priait lorsque les bombes sont tombées sur la mosquée. «Je suis allée à l’arrière [à cause du bruit»], dit-il. «La bombe a touché le dôme».

La sœur de Harith, Ala, sept ans, a assisté aux funérailles d’une fillette de son âge à la mosquée. Ala a fait une dépression et a commencé à cracher du sang.

En décembre 2013, la famille a quitté la mosquée et a passé la frontière jordanienne.

«Le trajet a été très fatigant», s’est souvenu Um al-Harith. «Lorsque nous sommes arrivés au camp de réfugiés de Zaatari, j’ai mis plus d’un moins à m’en remettre, mais lorsque nous sommes arrivés à Sahab [une ville du nord de la Jordanie], nous nous sommes sentis en sécurité».

Un mois après son arrivée à Zaatari – le camp de réfugiés syriens le plus important de la Jordanie – Um al-Harith a décidé de partir et d’aller vivre à Sahab avec ses proches.

Elle vit dans un appartement avec ses enfants, sa nièce et ses cinq enfants. Plusieurs autres membres de sa famille vivent dans le même immeuble. Ils partagent le loyer qui s’élève à 180 dinars jordaniens (250 dollars) par mois et qui n’inclut ni l’électricité ni l’eau.

Les femmes qui vivent dans l’immeuble se retrouvent souvent à l’extérieur pour discuter, mais Um al-Harith se joint rarement à elles: «Il y a un endroit agréable où s’asseoir à l’extérieur, mais je ne sors pas», dit-elle. «J’ai encore du mal à croire que mon mari est mort».

En tant que réfugiée, Um al-Harith bénéficie d’une aide de base fournie par des agences des Nations Unies et d’autres ONG, mais elle ne peut pas travailler et dit que la vie est une lutte permanente.

Chaque mois, elle reçoit des coupons alimentaires d’un montant de 120 dinars (170 dollars); elle en vend la moitié pour s’acheter des produits non alimentaires, comme du shampoing et du savon, et pour payer le bus scolaire de ses enfants.

Um al-Harith essaye de remettre sa vie en ordre. Elle espère pouvoir retourner dans son pays un jour. «La terre sur laquelle j’ai marché me manque, mon mari me manque – il est tout pour moi», dit-elle.