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Le Courrier | Victoires d’étape pour le refuge Saint-Laurent

Deux des six requérants d’asile de l’église Saint-Laurent ne seront pas renvoyés. Poussé par le contexte européen, le collectif R maintient la pression sur l’Etat.

Article de Mario Togni, publié dans Le Courrier, le 11 septembre 2015. Cliquez ici pour lire l’article sur le site du Courrier.

«Notre petite histoire est rattrapée par la grande histoire», remarque Graziella de Coulon, à l’heure où l’Europe vit sa plus importante crise migratoire depuis des décennies. Ouvert il y a tout juste six mois, le refuge de l’église lausannoise de Saint-Laurent, qui abrite six requérants d’asile menacés de renvoi, s’inscrit soudainement dans la plus brûlante actualité. Dans le même temps, le collectif R se félicite de ses premiers succès concrets, puisque deux de ses résidents échapperont à un renvoi vers l’Italie, où les conditions d’accueil sont dénoncées depuis des mois.

Amar, Erythréen de 21 ans, vient de sortir du système de Dublin et d’obtenir un permis N (requérant d’asile) après l’échéance du délai légal de six mois dont disposait la Suisse pour le renvoyer dans la Péninsule, son premier pays de transit. Pour son compatriote Mohamed, la même issue se profile. Leurs dossiers seront ainsi traités par la Confédération, selon la procédure ordinaire, avec de bonnes chances de succès. On le sait, les Erythréens ne sont en principe pas renvoyés dans leur pays.

La forte mobilisation en faveur de Tesfaalem, détenu durant dix semaines à Favra et Frambois (GE) ce printemps, a aussi payé, se réjouit le collectif. Le jeune Erythréen a finalement été libéré avant l’été et une procédure d’asile a été ouverte en Suisse. «Le système Dublin est injuste», dit-il dans un français approximatif, revenant sur un long parcours semé d’embûches. Arrivé en Suisse en 2013, il n’a cessé de batailler pour y rester, malgré plusieurs refus successifs.

«Ces victoires à l’arraché ont été obtenues contre le Gouvernement vaudois à majorité de gauche et non pas grâce à un acte de bravoure de sa part», souligne Cynthia Jaussi, du collectif R, qui n’entend pas relâcher la pression sur les autorités. «A l’image des mouvements de solidarité qui se lèvent un peu partout en Europe, cela montre que l’action collective permet d’obtenir des changements concrets. Ce que l’on prétendait impossible est devenu possible.»
D’autres succès vont-ils suivre? Rien n’est moins sûr. Le canton de Vaud, conformément au droit suisse, n’a pas stoppé les renvois Dublin, malgré la situation internationale exceptionnelle. Pas davantage que les autres cantons, d’ailleurs, qui sont pour beaucoup plus restrictifs encore en la matière. Mais les militants peuvent aujourd’hui s’appuyer sur l’exemple de l’Allemagne, qui a ouvert ses portes à des milliers de réfugiés syriens en invoquant sa souveraineté.

«La digue des accords de Dublin a cédé», insiste Jean-Michel Dolivo, avocat et député (La Gauche). Selon lui, le Conseil d’Etat vaudois et les autorités suisses n’ont pas encore pris la mesure des changements en cours et «doivent suivre la voie ouverte par Angela Merkel». A contrario, «comble de l’absurde», le canton de Vaud tente de renvoyer vers l’Espagne une famille syrienne avec deux enfants en bas âge, alors que Berne dit vouloir accueillir 3000 réfugiés de ce pays, dénonce le collectif.

En début d’été, le Conseil d’Etat avait toutefois ouvert une brèche, en incitant les réfugiés de Saint-Laurent à déposer une demande de réexamen de leur dossier à Berne, avec un délai au 15 septembre. Pour les quatre résidents encore susceptibles d’être renvoyés, la démarche a été conduite par le Service d’aide juridique aux exilés (SAJE). Près de 40 autres demandes de réexamen ont été adressées au Secrétariat d’Etat aux migrations (SEM) par les défenseurs des migrants, assure de son côté Graziella de Coulon.

Espoirs limités

Le collectif R appelle désormais le Gouvernement vaudois à appuyer politiquement ces démarches, afin que Berne use de la «clause de souveraineté». Cette disposition permet à tout Etat européen de traiter lui-même une demande d’asile pour des motifs humanitaires. Jusqu’à présent, la pratique fédérale est restée très stricte et laisse peu d’espoir, explique Chloé Bregnard Ecoffey, du SAJE: «Les situations médicales et familiales, même les cas de viol ou de prostitution forcée, ne sont généralement pas des motifs admis pour déroger aux accords de Dublin.»

«Le gouvernement doit se battre bec et ongles pour un changement de pratique», insiste le collectif R. Il est aussi invité à rencontrer la conseillère fédérale Simonetta Sommaruga, comme il l’avait annoncé lors d’une réunion au début de juillet. Philippe Leuba, conseiller d’Etat chargé de l’asile, n’a pas répondu hier à nos appels.