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Protestinfo | Asile: unir les forces autour d’un accueil pragmatique et humain

Protestinfo laisse régulièrement carte blanche à des personnalités réformées. Aldo Brina, chargé d’information sur l’asile au Centre social protestant de Genève, décrypte le contexte politique et social dans lequel s’inscrit le projet de réforme de l’asile en Suisse.

Pour lire l’opinion d’Aldo Brina, publiée sur le site protestinfo.ch le 17 septembre 2015, cliquez ici.

La semaine dernière, le Conseil national a débattu de la réforme de l’asile pilotée par Mme Sommaruga. Ce projet a le mérite d’introduire une assistance juridique gratuite pour une partie des demandeurs d’asile, mais présente aussi de nombreux durcissements. Les Centres sociaux protestants n’ont pas crié victoire, loin de là. Selon les moyens engagés pour sa mise en œuvre, la réforme peut encore tourner à la catastrophe: des réfugiés parqués dans de grands centres, «gérés» en une procédure accélérée, défendus par des juristes surchargés devenus l’alibi d’un traitement plus expéditif que jamais.

Inutile de rentrer ici dans les détails, l’entrée en vigueur, de toute façon, n’est pas prévue avant 2019. Ce qui paraît important, c’est de revenir sur un débat parlementaire qui fut marqué par le contexte international et les images tantôt impressionnantes, tantôt émouvantes, des nombreux réfugiés qui arrivent ces jours sur notre continent. Le clivage politique était simple: l’UDC contre le reste du Parlement. Et les positions des uns et des autres non moins claires: l’idéologie des premiers, basée sur une Suisse imaginaire, hermétique aux problèmes du monde, contre le pragmatisme des seconds, orienté vers la nécessité d’organiser un accueil plus ou moins enthousiaste, mais d’un accueil quand même. Une ligne de front dans le débat sur l’asile qui correspond à celle qui est en train de se redessiner dans toute l’Europe.

Du côté des associations actives dans le domaine de l’asile, nous appelons à organiser l’accueil, le plus loin possible des positions idéologiques. Les barrières de barbelés installées, par exemple par la Hongrie, étant de toute manière facilement découpées et démantelées au fur et à mesure, il n’y a rien à attendre de la voie de la fermeture. Avant de voir ce qui se passe en Suisse, il ne semble pas inutile de préciser que, si le nombre absolu de nouvelles demandes d’asile est important dans notre pays depuis le début de l’année, il est sans commune mesure par rapport à ce qui est en train de se produire en Hongrie, en Allemagne ou en Autriche.

La part de réfugiés que prend en charge la Suisse par rapport aux autres pays européens est au plus bas depuis 15 ans (de 6,3% de toutes les demandes déposées en Europe en moyenne entre 2009 et 2013 à moins de 3% au premier semestre 2015 selon les chiffres de l’administration). La Suisse est pour l’heure relativement épargnée par le phénomène des arrivées en masse telles que les relaient quotidiennement les médias depuis d’autres pays.

Néanmoins, il faut nous préparer, parce que pour que les choses se déroulent bien à court, moyen et long terme, il va falloir offrir aux nouveaux arrivants des moyens de tourner la page de l’exil et de surmonter leurs traumatismes, leur proposer des lieux d’hébergement décents, leur offrir des cours de langue et si possible un travail. Pour cela, il va nous falloir unir toutes les forces disponibles: publiques, privées, associatives, syndicales, de gauche, de droite, communales, cantonales, fédérales.

Il y a lieu d’espérer. Nos associations ressentent un élan de solidarité pour les réfugiés tel qu’il n’y en avait plus eu depuis des décennies. Or, il est possible de faire des miracles lorsque la solidarité citoyenne et la volonté politique convergent. Dans ce partenariat, l’action de l’Etat sera déterminante. Les demandes que nous adressons aux autorités responsables sont nombreuses. Pour commencer, les services de Mme Sommaruga doivent suspendre les renvois de demandeurs d’asile, effectués au nom de l’Accord de Dublin, vers les pays d’Europe qui sont dépassés par les nouvelles arrivées. Ensuite, chaque canton doit présenter une planification sérieuse de nouvelles places d’hébergement, car on ne peut se contenter d’ouvrir des abris de protection civile à tour de bras: les conditions de vie y sont exécrables et les personnes qui y séjournent plus de quelques semaines ne sont plus dans les dispositions physiques et psychologiques nécessaires pour s’adapter à leur pays d’accueil.

Pour terminer, j’aimerais souligner ce fait historique. Selon nos estimations, la Suisse a, depuis 1970, octroyé un asile ou une protection provisoire à plus de 210’000 personnes. À force d’entendre les populistes prédire l’invasion étrangère, et les associations dénoncer d’énièmes durcissements, nous minimisons peut-être le fait que notre politique d’asile est aussi, d’une certaine manière, un miracle. Plus de 210’000 vies sauvées par notre accueil, sans que la Suisse ne disparaisse comme le prédiront toujours les oiseaux de mauvais augure. Oui, il est temps d’accueillir plus de réfugiés, non pas par idéalisme, mais parce que c’est ce que la situation requiert de nous.