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Notre regard

Editorial | Du fardeau à la responsabilité

«Il faut que l’Europe accueille les Syriens qui ont besoin de protection. Pas avec des fils barbelés, mais avec des institutions qui puissent les protéger et leur garantir un futur.» (RTS, 19:30, 26.08.15)

L’appel du Haut Commissaire aux réfugiés, Antonio Guterres, alors que les visages d’enfants terrifiés par les tirs de grenades lacrymogènes de l’armée macédonienne crevaient l’écran, a finalement trouvé écho dans une partie des opinions publiques européennes. Il aura encore fallu la découverte du camion en Autriche et l’image du petit garçon kurde, symbolisant l’innocence assassinée par ces fils barbelés. Des scènes qui témoignent du déni de l’Europe face à l’échec d’une politique migratoire commune essentiellement sécuritaire. (1) 15 ans passés à investir des sommes considérables à rendre – illusoirement – les frontières étanches. Poussant les migrants et réfugiés à prendre des risques toujours plus grands, dans les bras de passeurs de moins en moins scrupuleux.

En Macédoine, la réponse la plus efficace aux dangers de la route et aux réseaux de trafiquants a été de délivrer un laissez-passer aux migrant-e-s pour sécuriser leur périple. Une réponse insuffisante à elle seule, tant la suite du parcours est bloquée. Le système Dublin, et sa logique d’imposer aux pays de première entrée la responsabilité d’examiner les demandes d’asile, montre ici son inadéquation. Et son absurdité.

La Hongrie, la Grèce, l’Italie, Malte n’ont cessé d’appeler leurs «partenaires» au partage du «fardeau». En vain. En mai, le rapporteur spécial de l’ONU sur les droits de l’homme des migrants, recommandait aux dirigeants européens de «dresser le bilan de l’échec systémique du mécanisme de Dublin. Inverser la logique actuelle en permettant aux demandeurs d’asile de déposer leur demande dans le pays de leur choix à l’intérieur de l’Union européenne et en apportant aux pays qui reçoivent ces demandes d’asile un appui financier et technique suffisant et proportionné». (2)

Cela signifie mettre en place une véritable politique de solidarité et d’hospitalité, qui doit passer par une harmonisation des conditions d’examen, d’accueil et d’intégration des réfugiés. Une politique à laquelle l’Europe elle-même a intérêt. L’Allemagne l’a bien compris en décidant unilatéralement de ne pas appliquer le Règlement Dublin aux réfugiés syriens et en ouvrant ses frontières. Une mesure démographiquement et économiquement pragmatique, soit. Et discriminatoire vis-à-vis des non-Syriens. Mais qui tranche avec les velléités de fermeture des frontières qu’annonçait l’Autriche avant de se résoudre à les ouvrir à son tour. Des actes qui s’accompagnent d’un discours moral et sans équivoque d’Angela Merkel, appelant ses homologues européens à assumer leurs responsabilités: « Si l’Europe échoue sur la crise des réfugiés, [le] lien avec les droits civils universels sera cassé, il sera détruit », a-t-elle dit. Un discours rare à ce niveau politique. Il évoque des valeurs sur lesquelles l’Europe, et nous, les Européens, les Suisses, nous nous sommes construits, nous avons grandi. Des valeurs qu’ébranlent chaque jour ces images d’exode et de fils barbelés. Des valeurs que nos choix terminologiques, en particulier pour «étiqueter» les personnes, portent aussi atteinte (notre dossier pp 16-28).

Sophie Malka


Notes:

(1) France Culture, « Les Enjeux internationaux, L’immigration en Europe: la marge de manœuvre de l’Union européenne », 15.05.15, Yves Pascouau (European Policy Center)

(2) A/HRC/29/36, 8 mai 2015. Le rapport évalue la gestion des frontières extérieures de l’Union européenne et ses incidences sur les droits de l’homme des migrants.