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Etienne Piguet | Combien de demandeurs d’asile ont gagné l’Europe?

La question de l’effectif des demandeurs d’asile qui se présentent en Europe semble essentielle dans le contexte actuel de «crise migratoire», tant pour des raisons de logistique d’accueil que pour éviter des récupérations politiques infondées sur le thème de l’invasion ou du déferlement. La réponse n’est cependant pas aisée, même si certains organismes internationaux comme L’OIM ou FRONTEX se profilent en présentant leurs chiffres, parfois à l’unité près.

Article d’Etienne Piguet, publié sur le blog « Politique migratoire », le 27 octobre 2015. Cliquez ici pour lire l’article sur le blog, hébergé sur le site de L’Hebdo.

C’est FRONTEX – l’agence européenne de surveillance des frontières – qui s’est récemment trouvée au cœur d’une polémique en affirmant que 710’000 migrants avaient franchi les frontières de l’UE durant les 9 premiers mois de 2015 contre 282’000 sur l’ensemble de l’année 2014.

Un chercheur de l’Université de Birmingham a immédiatement mis le doigt sur un piège classique des statistiques de migration dans lequel est tombé FRONTEX: le double comptage. Ainsi la route des Balkans implique au moins deux entrées dans l’UE: l’une entre la Turquie et la Grèce, l’autre entre la Serbie et la Hongrie ou la Croatie. FRONTEX avait additionné ces entrées sans sourciller, ce qu’elle a ensuite admis en bas de page de son communiqué de presse révisé.

L’information a eu un certain succès dans les médias qui en ont souvent conclu que les chiffres de la «crise migratoire» étaient exagérés. Le Matin de mercredi 21 octobre titrait ainsi en une «Les chiffres sont gonflés» tandis que le TJ de la RTS  rapportait aussi l’erreur. Le fait que les médias cherchent à mieux comprendre le dessous des chiffres est en soi à saluer mais, dans ce cas précis, la conclusion est hâtive. Si le double comptage par FRONTEX présente un risque de surestimation, d’autres caractéristiques de sa méthode vont en sens inverse. Ainsi les passages «véritablement» clandestins sont par définition ignorés car les données proviennent des gardes-frontières des pays membres.

De manière générale les comptages basés sur les détection/appréhension aux frontières sont problématiques, car ils sont influencés par l’intensité des contrôles. Le problème est le même avec les statistiques des douanes suisses sur les «séjours illégaux». Les statistiques des demandes d’asile effectivement déposées sont – sans être parfaites – plus fiables, car elles supposent un acte administratif officiel et on peut, en général, éviter les doubles comptages grâce au système EURODAC. On doit constater à cet égard que les chiffres d’EUROSTAT ne sont pas très éloignés des 710’000 de FRONTEX. Ainsi en incluant la Suisse et la Norvège (UE+) mais en ne comptant que les demandes d’asile déposées pour la première fois, on atteint environ 730’000 demandes entre janvier et septembre 2015 dans l’UE+.

Ceci n’empêche pas que les méthodes de comptage de FRONTEX doivent être révisées en ce qui concerne les entrées sur le territoire  mais montre qu’en termes d’ordres de grandeur de la crise migratoire, 700’000 aujourd’hui et – au rythme actuel – peut-être 1 million de demandes d’asile à la fin de l’année n’est pas exagéré. Cela reste très peu en comparaison de la population de l’UE (0.2%) mais si ces demandes sont concentrées dans quelques pays cela devient beaucoup.