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HRW | UE/UA: Il faut placer les droits humains au cœur des politiques migratoires

Le Sommet de La Valette devrait aboutir à un meilleur contrôle des frontières sans remettre en cause le droit à la protection.

Article publié sur le site de Human Rights Watch (HRW), le 10 novembre 2015. Cliquez ici pour lire l’article sur le site de HRW.

Les dirigeants des pays européens et africains devraient s’assurer que le renforcement de leur coopération en matière de politique migratoire ne se fasse pas aux dépens du respect des droits humains, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. Plus de 60 chefs d’État des deux régions doivent se réunir le 11 novembre à La Valette, capitale de Malte, pour un sommet de deux jours afin de discuter de la crise causée par l’afflux sans précédent de réfugiés et de migrants en Europe.

«Faire en sorte que les personnes puissent vivre dignement et en sécurité devrait être le principal objectif de la coopération en matière de migration et de l’aide au développement », a déclaré Judith Sunderland, directrice adjointe de la division Europe et Asie centrale à Human Rights Watch. « Pour que cet objectif soit atteint, il est vital que lors du Sommet de La Valette et au-delà, les droits humains et la protection des réfugiés soient les principes directeurs de tout effort conjoint entre l’Union européenne et l’Afrique.»

Ce sommet réunira les pays membres de l’UE, les institutions de l’UE, l’Union africaine et les pays africains membres des Processus de Rabat et de Khartoum, deux forums de dialogue et de coopération sur la migration et le développement. Les participants sont censés adopter une déclaration politique et un plan d’action en matière de développement, de protection des réfugiés et de migration.

Les efforts des institutions de l’UE – notamment par les processus de Khartoum et de Rabat – visant à renforcer la capacité des pays africains et autres d’accueillir humainement les demandeurs d’asile et les réfugiés et de traiter leurs demandes de manière équitable, constituent des efforts de long terme méritoires. Mais ils devraient venir en complément d’autres efforts de l’UE afin de protéger les droits des migrants et des demandeurs d’asile à l’intérieur de ses frontières et d’augmenter le nombre de canaux permettant des entrées sûres, légales et ordonnées sur le territoire européen, a déclaré Human Rights Watch.

Des versions préliminaires de la déclaration et du plan d’action ayant fait l’objet de fuites contiennent des éléments positifs, comme la promotion de canaux de migration légale à des fins professionnelles, d’étude ou de recherche; l’augmentation de l’aide au développement et de l’assistance humanitaire; et le renforcement des capacités afin d’améliorer l’État de droit, la gouvernance et la protection des réfugiés et des autres personnes déplacées; ainsi que le renforcement des efforts de recherche et de secours.

Le projet de plan d’action, daté du 26 octobre, met fortement l’accent sur le renforcement de la coopération aux frontières, l’amélioration de la gestion des migrations, la lutte contre les passeurs clandestins et les mesures visant à faciliter le retour des migrants clandestins dans leurs pays d’origine.

Bien que de tels efforts ne soient guère critiquables en soi, le fait que les gouvernements de l’UE mettent constamment l’accent sur les moyens de contenir les flux migratoires suscite des préoccupations concernant la possibilité qu’ils cherchent à utiliser le Sommet de La Valette et les autres cadres de coopération avec les gouvernements africains pour obtenir leur appui afin d’empêcher les migrations. Une telle approche risquerait d’aboutir à acheminer des fonds et du savoir-faire vers des institutions ou des agences connues pour avoir commis des abus, et pourraient dissuader ou entraver la fuite de personnes persécutées de pays africains collaborant avec l’UE sur ses programmes en matière de migration.

L’idée directrice des efforts de l’UE en matière de migration au cours de la dernière décennie a été de faire porter aux pays extérieurs la responsabilité de contrôler les migrations, de contenir le flux de migrants et de demandeurs d’asile et de faciliter le rapatriement de ceux qui peuvent être renvoyés dans leur pays d’origine, par des accords de réadmission. Cette approche a été soulignée par les récentes déclarations de l’UE sur l’actuelle crise des réfugiés et par les efforts de l’UE en vue d’adopter un plan d’action en matière de migration avec la Turquie, dans le but d’empêcher le flux de réfugiés d’atteindre l’Europe.

Le Processus de Khartoum, qui réunit l’UE, l’Érythrée, l’Éthiopie, la Somalie, le Soudan du Sud, le Soudan, Djibouti, le Kenya, l’Égypte et la Tunisie, suscite une inquiétude particulière concernant la possibilité que l’UE achemine des fonds en quantités substantielles vers des gouvernements qui commettent des abus, dans le but de dissuader les migrations, y compris de la part de ressortissants de ces pays qui souhaiteraient fuir des persécutions.

Peu d’informations sont disponibles dans le domaine public sur les projets qui sont envisagés ou en cours de réalisation dans ces pays. Cependant, un document du Conseil de l’UE datant d’avril dernier, que Human Rights Watch a pu se procurer, indique que l’un de ces projets consiste à renforcer la capacité du gouvernement très répressif de l’Érythrée à combattre le trafic et la traite de personnes. Reconnaissant la très mauvaise situation en matière de droits humains en Érythrée, les États membres de l’UE ont accordé l’asile ou d’autres formes de protection, en 2014 et dans la première moitié de 2015, à 82% des demandeurs d’asile érythréens qui ont réussi à fuir leur pays et à surmonter les obstacles pour parvenir sur le territoire de l’UE.

«Quoique les objectifs de ces projets puissent être louables, il est alarmant de voir accorder des financements à des agences et à des forces de sécurité de pays comme le Soudan, l’Érythrée, l’Éthiopie et la Somalie, qui sont parmi les principaux pays d’origine des réfugiés, justement à cause de leurs violations des droits humains», a affirmé Judith Sunderland. «Tous les projets doivent être soigneusement étudiés et soumis à des examens réguliers afin de détecter les éventuels problèmes en matière de droits humains.»

La liste des projets soutenus par l’UE comprend également la formation de responsables soudanais aux questions relatives aux migrations en vue de trouver un emploi. Les forces de sécurité soudanaises ont été accusées à maintes reprises de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité et le président soudanais Omar el-Béchir fait l’objet d’un mandat d’arrêt de la Cour pénale internationale pour crimes de guerre, crimes contre l’humanité et génocide au Darfour. Un centre de formation pour agents chargés de l’application des lois en provenance de tous les pays africains membres du Processus de Khartoum doit être basé en Égypte, pays dont les forces de sécurité jouissent d’une impunité généralisée pour les abus qu’elles commettent, notamment pour des disparitions de force, des actes de torture et des exécutions extrajudiciaires.

Le Processus de Rabat est un partenariat entre les gouvernements de l’UE et d’Afrique, dont l’objectif est de «créer un cadre de dialogue et de consultation» sur la migration et le développement. Son site internet note que «l’Union européenne a demandé à ses partenaires africains d’appliquer une politique visant à empêcher et à réduire les migrations illégales» mais souligne aussi qu’elle «vise à améliorer l’organisation des migrations légales et à promouvoir l’interconnexion entre migration et développement.»

Le projet de plan d’action du Sommet de La Valette couvre cinq domaines généraux:

  1. Les bénéfices de la migration en termes de développement, et le traitement des causes profondes des migrations illégales et des déplacements forcés;
  2. Migration légale et mobilité;
  3. Protection internationale et droit d’asile;
  4. Empêcher et lutter contre les migrations illégales, le trafic de migrants et la traite de personnes; et
  5. Effectuer des progrès dans le domaine des accords de retour et de réadmission.

Les gouvernements de l’UE devraient mettre au point, mettre en œuvre et superviser leur coopération en matière de migration avec les pays africains et les autres pays tiers afin de s’assurer qu’elle n’aboutit pas à enfermer des personnes dans des situations où elles subissent des abus, à leur barrer l’accès à des procédures équitables d’octroi de l’asile, ou à les renvoyer dans des lieux où elles seraient exposées au risque de persécutions ou de traitements inhumains ou dégradants, a affirmé Human Rights Watch.

Les gouvernements de l’UE devraient également éviter une coopération dans le domaine migratoire avec des pays qui produisent des réfugiés, étant donné le risque important que de tels efforts soient utilisés pour empêcher les départs et dénier l’accès à une protection, a ajouté Human Rights Watch. La non-prise en compte des violations des droits humains contredirait l’un des fondements de la politique étrangère de l’UE telle que l’exige le plan d’action de l’UE en matière de droits humains et serait contreproductive à l’égard de l’objectif à long terme de l’UE consistant à gérer les migrations et à traiter les causes profondes des flux de réfugiés.

«Tout comme les barrières de barbelés qui sont érigées à travers l’Europe, les arrangements visant à contenir les flux migratoires aux dépens des droits humains ne seront efficaces qu’à court terme», a conclu Judith Sunderland. «Les gouvernements de l’UE devraient donner l’exemple, prendre en charge les demandeurs d’asile sur leur territoire et s’assurer que le respect des droits humains demeure une pierre angulaire des relations de l’UE avec ses partenaires, africains et autres.»

Voir également:
Appel conjoint de Migreurop: « Lettre ouverte au président de la République à propos du sommet de La Valette des 11 et 12 novembre 2015 »