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Le Courrier | Un village revit grâce aux réfugiés

Le maire du village calabrais de Riace était invité récemment en Suisse pour parler de l’intégration de 400 réfugiés dans sa commune. Un prix a récompensé ses efforts.  

Article de Laura Drompt, publié dans Le Courrier, le 11 novembre 2015. Cliquez ici pour lire l’article sur le site du Courrier.

Un village renaît grâce aux réfugiés

Laura Drompt, Le Courrier

C’est entre deux airs d’«organetto», accordéon italien, et avec un discours teinté d’accent calabrais que Domenico Lucano a reçu la semaine dernière à Berne le Prix de la Fondation pour la ­liberté et les droits humains (Stiftung für Freiheit und Menschenrechte). Maire du village de Riace, tout au sud de l’Italie, Domenico – dit Mimmo – Lucano se bat pour un accueil digne des réfugiés qui s’échouent sur les plages italiennes. Sur 1600 habitants le village de Riace compte 400 réfugiés. Le tout dans une atmosphère paisible. Face aux interrogations des journalistes, les habitants «d’origine» sont unanimes: alors que leur village se vidait de ses habitants, faute de perspectives d’avenir, les réfugiés l’ont ranimé.

Migrants in Riace. Photo: piervincenzocanale / flickr

Forteresse Europe

«Domenico Lucano et son village ont mis en place un modèle alternatif à la forteresse Europe. Ils n’ont pas fait le choix de l’intégration, mais de l’interaction», ont expliqué les représentants de la Fondation pour la liberté et les droits humains, juste avant de remettre les 10 000 fr. de leur prix qui existe depuis 1973.
Tout juste arrivé en Suisse, le maire de Riace relate l’histoire de son village depuis l’arrivée des premiers bateaux de migrants. Pour «Mimmo» Lucano, il existe un lien très fort entre les départs en masse de ses concitoyens dans les années 1950 et cette journée d’été 1998, où 200 Kurdes se sont échoués à bord d’un petit voilier sur la plage de Riace. La première d’une longue série.

«Je me souviens de cette première fois où nous avons vu des personnes remonter de la plage. C’était l’été, en période d’examens, et j’enseignais à l’époque. Toutes ces personnes ont débarqué dans notre village, qui était passé de quatre mille habitants dans les années 1950 à un peu plus de mille après une émigration massive vers l’Argentine et l’Australie.»

Un village d’émigrés

Alors que tous les jeunes du village rêvent de partir, Domenico voit ces nouveaux arrivants com­me une chance.

«Ils étaient un peuple à la recherche d’un refuge et nous un lieu sur le déclin. Ces voyageurs ont trouvé chez nous des maisons inhabitées, qu’ils ont retapées une à une. Les nôtres avaient embarqué sur des bateaux, partis trouver une vie meilleure en Argentine. Nous comprenions leurs peurs et leurs espoirs.»

Depuis l’été 1998, le village de Riace recueille régulièrement des familles débarquant dans les environs. Beaucoup poursuivent leur route vers le nord. D’autres s’installent durablement. Fermée en 2000 faute d’élèves, l’école a rouvert ses portes et intégré des enfants originaires de plus d’une vingtaine de pays: «Burkina Faso, Ethiopie, Erythrée, Cameroun, Somalie, Egypte, Afghanistan, Syrie… Aujourd’hui, quand on pousse la porte de notre école, on ouvre une fenêtre sur le monde.»

Domenico Lucano entend souvent des questions sur les tensions entre les habitants:

«On fait face aux éternels problèmes du vivre ensemble, mais pas davantage que n’importe quel autre village. Ces personnes qui n’avaient rien à perdre se mêlent très bien aux autres, heureuses d’avoir fui la guerre et la misère.»

Aidant les Italiens à cultiver des terres abandonnées, les nouveaux arrivants travaillent aussi en tandem afin de rouvrir de petits commerces d’artisanat local: poterie, couture… Avec, pour résultat, la création d’un tourisme solidaire.

Un modèle qui aurait tout pour plaire. Mais Riace dérange, dans un pays gangrené par la mafia, qui siphonne les fonds publics destinés à l’aide aux réfugiés. «Le gouvernement a depuis trop longtemps laissé la main à la criminalité organisée. Moi, je fais mon devoir, à mon niveau, c’est tout», commente Domenico Lucano. Pourtant, son fils s’est fait molester et plusieurs de ses chiens ont été empoisonnés, disent les journaux locaux.

Pas du goût de la mafia

Car le modèle de Riace ne rapporte rien à la «pieuvre».

«Dans les CARA (centres d’accueil pour requérant d’asile, dont certains comptent plusieurs milliers de réfugiés, ndlr), une personne coûte 100 euros par jour. C’est un immense démultiplicateur économique, et tout ça est financé par l’Etat italien et par l’Europe. Chez nous, on est à 33 euros par personne.»

Dans ce montant, sont compris les frais pour l’hébergement, les habits, l’assistance sociale et juridique, l’école, les soins, etc. Des euros «directement investis dans le village», indique le syndic, et qui sont complétés par une monnaie solidaire: les Bonus, qui se dépensent localement.

Autant de bons points, pourtant peu repris ailleurs, regrette Domenico Lucano:

«Notre modèle surprend tout le monde et nous paraît pourtant simple. En Italie, on dépense tant d’énergie pour détruire… La Ligue du Nord, Berlusconi et beaucoup d’autres politiciens basent leur discours sur la haine raciale. C’est à cause d’eux qu’il est interdit aux pêcheurs de porter secours aux migrants aujourd’hui.»

Alors, face à un monde «où les anciennes colonies paient le prix de leurs saccages» (il cite l’Ethiopie et l’Erythrée, envahies par l’Italie), il porte la voix de son village.

«Nous avons un message d’espoir. Tous les problèmes ne sont pas résolus, mais nous pouvons tirer une lecture sociale et politique de notre expérience, avec une belle leçon sur les rapports humains. Utilisons notre énergie pour construire ensemble.»