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ForumAsile | Série Portraits: Elisa-asile – trois juristes sur le terrain

Article de Jasmine Caye, publié sur le blog ForumAsile, le 15 avril 2015. Cliquez ici pour lire l’article sur le blog ForumAsile.

[caption id="attachment_28017" align="aligncenter" width="640"]De gauche à droite: Elodie Debiolles, Marisa Pardo, Anne-Cécile Leyvraz. Photo: ForumAsile De gauche à droite: Elodie Debiolles, Marisa Pardo, Anne-Cécile Leyvraz. Photo: ForumAsile[/caption]

ELISA-Asile (www.elisa.ch) est une association genevoise qui existe depuis plus de vingt ans (1). Son travail est d’assister juridiquement les requérants dans leur procédure d’asile. L’Association est active aux Foyer des Tattes (Vernier) avec une permanence juridique les lundi après-midi et les mercredi après-midi, à l’aéroport avec une permanence dans la zone de transit qui fonctionne sur demande et à la rue Liotard avec une permanence les vendredi matins.

Cette association fonctionne avec peu de moyens et pourtant elle fait un travail admirable grâce aux juristes salariés et aux nombreux bénévoles, juristes-mandataires ou conseillers. Ces personnes travaillent souvent des heures durant sur des dossiers épineux en rédigeant des recours ou des demandes de révision au Tribunal administratifs fédéral (TAF), en faisant des demandes de réexamen au Secrétariat d’Etat aux migrations (SEM), en accompagnant les requérants aux auditions (à l’aéroport ou à Berne), en collaborant avec les médecins pour obtenir des rapports médicaux, en représentant les mineurs non-accompagnés comme Personne de confiance (Mandat aéroport) et en exécutant une multitudes d’autres tâches en coopération avec la police, l’organisation internationale des migrations, les ambassades et bien d’autres interlocuteurs précieux pour un accompagnement serein des requérants d’asile dans leur procédure.

Depuis deux ans l’association dispose d’une page  Facebook que je vous invite à consulter.

Dans la série portrait j’ai choisi d’interviewer une équipe charmante, motivée et professionnelle constituée d’ Elodie Debiolles, Marisa Pardo et Anne-Cécile Leyvraz toutes juristes de formation. Elles ont répondu par écrit à mes questions. Voici leurs réponses.   

1. Comment vous est venu l’envie de travailler dans l’assistance juridique aux requérants d’asile?

Anne-Cécile: «Au départ, les choses se sont faites un peu par hasard. Il aura fallu une rencontre, une discussion avec une personne travaillant dans ce milieu, puis une expérience en tant que stagiaire pour que s’opère une prise de conscience de la réalité de l’asile en Suisse. Ce système qui semblait a priori fonctionnel de l’extérieur a pris une toute autre dimension une fois que je l’ai connu de l’intérieur. De là est né un sentiment qu’il fallait se consacrer à ce travail. Cependant, ce sentiment de devoir aurait pu ne pas se matérialiser s’il n’avait pas été accompagné des nombreux aspects positifs générés par la dimension relationnelle de l’assistance juridique. Malgré la lourdeur des situations que nous rencontrons, les échanges avec les personnes qui viennent chercher conseil sont riches, le rire et l’humour sont présents et les petites victoires ont une saveur toute particulière quand on sait l’effet qu’elles auront sur le quotidien de certains. Je crois que c’est la conjonction de la prise de conscience et des instants positifs volés à une réalité bien sombre qui sont à la base de l’envie de travailler dans l’assistance juridique aux requérants d’asile, et surtout qui constitue un moteur dans le fait de continuer!»

2. Quels sont les aspects que vous trouvez difficile dans votre travail?

Marisa: «Certains aspects ‘humains’ sont délicats, notamment lorsque nous devons expliquer à une personne que des considérations juridiques bien précises ne s’appliquent pas à sa situation particulière, avec parfois de lourdes conséquences. Par exemple, lorsque le recours que nous avons interjeté auprès du Tribunal administratif fédéral est rejeté, il nous revient la tâche d’expliquer à la personne ce que les juges ont retenus comme n’étant pas pertinent du point de vue du droit. Il peut notamment s’agir d’expliquer à une personne qu’elle doit retourner dans son pays d’origine car ses propos relatifs aux persécutions subies ou craintes n’ont pas été considérés comme vraisemblables. Il peut également s’agir d’annoncer à un parent que ses enfants ne pourront pas le rejoindre, du moins pas avant plusieurs années, faute de remplir les critères pour demander le regroupement familial. Il n’est alors pas rare de voir la personne s’effondrer et ne pas être en mesure d’accepter ce que nous tentons de lui expliquer. Ces moments sont particulièrement difficiles, car nous devons à la fois expliciter des critères juridiques précis en tachant de les vulgariser, tout en nous montrant empathiques face aux conséquences parfois très lourdes qu’ils provoquent dans la vie des personnes. Il arrive ainsi que ces personnes viennent ensuite nous trouver à plusieurs reprises avec les mêmes questions, incapables d’accepter les réponses que nous leur donnons. Nous nous sentons alors bien démunies face aux limites des lois et à la détresse des personnes».

3. Quels sont les instants qui vous apportent le plus de satisfaction dans votre travail?

Marisa: «Sans aucune hésitation, le fait de pouvoir annoncer de bonnes nouvelles est un sentiment qui ne se compare à aucun autre. Et savoir que nos actions et notre persévérance contribuent à voir les droits des personne respectés, de permettre à des familles de se retrouver ou à des personnes d’améliorer leur situation administrative est sans conteste ce qui permet de reprendre des forces et de continuer nos activités. Savoir que notre travail amène une amélioration notable dans la vie des personnes qui nous sollicitent est un sentiment tout particulier, une motivation à nulle autre pareille!»

4. Êtes vous souvent confrontées à des décisions que vous trouvez injustes? Pourquoi sont elles injustes à vos yeux? Comment parvenez vous à combattre ces décisions.

Élodie: «Les décisions prises en vertu du règlement Dublin ou des accords de réadmissions entre les États partis à l’espace Schengen me semblent souvent terriblement injustes. Ces décisions relèvent d’un traitement purement administratif de l’asile au plan européen. On peut noter pour quasiment chacune de ces décisions l’absence de considération de la situation personnelle du requérant. Beaucoup de réfugiés ayant transités par l’Italie qui retrouvent leurs femmes et leurs enfants en Suisse sont renvoyés en Italie, des femmes seules avec enfants ayant vécues dans des conditions extrêmement précaires sont également renvoyées. Ce qu’ils y ont vécu ou ce qu’ils risquent importe peu. Nous sommes souvent des témoins impuissants face à leurs situations. Les autorités suisses font preuve d’une indifférence totale à leur égard en les renvoyant systématiquement. En outre, une application de la clause de souveraineté reste l’exception. Son utilisation par les autorités suisses est imprévisible et ses critères d’application ne sont pas définis. C’est un peu comme si la politique d’asile offrant aux victimes des conflits ou de la répression militaire de réelles perspectives de trouver refuge avait disparu au profit d’une gestion administrative et européenne de dossiers avec un numéro. Malgré tout, face à ces décisions, j’essaye – quand c’est possible – de présenter des arguments devant le Tribunal administratif fédéral qui pourrait faire pencher les juges en faveur d’une application de la clause humanitaire. Obtenir gain de cause est illusoire mais déposer de tel recours me paraît nécessaire pour deux raisons: La première est qu’il est important de porter à la connaissance des juges ces situations humanitaires graves. C’est uniquement en continuant à montrer qu’elles existent et que l’on ne peut pas les ignorer que -peut être – les choses changeront. La seconde c’est que quand bien même l’administration et les juridictions restent indifférentes à ces drames, nous ne pouvons pas être seulement témoins de ces situations. Notre travail est aussi de montrer aux personnes victimes de ce système que nous les comprenons et que nous voulons aussi que les autorités les comprennent.»

5. Si vous aviez une baguette magique et que vous pouviez changer une chose dans la procédure d’asile que choisiriez vous de changer?

Élodie: «Peut être de permettre que les requérants puissent être entendus sur leurs motifs d’asile devant les juges du Tribunal administratif. D’une part, la procédure écrite devant le TAF est extrêmement juridique pour un requérant qui ne maîtrise pas encore la langue du pays, et le fonctionnement du système suisse. Beaucoup de choses lui échappent et il n’est pas assez maître de sa requête. Une audition lui permettrait de pouvoir répondre aux questions des juges, et aux reproches de l’administration de vives voix. Ceci changerait sûrement sa perspective sur le traitement de son dossier. A mon sens, il est important que les requérants soient davantage acteur dans le cadre de leur procédure d’asile. D’autre part, certains arrêts du TAF – je pense notamment en ce moment à des arrêts relatifs aux populations goranes au Kosovo ou aux personnes venant d’Afghanistan –  sont quelques fois pris de manière systématique et qu’une audience permettrait de voir la situation sous un angle plus personnel. L’idée n’est pas de jouer sur la corde sensible du juge mais plutôt de permettre une analyse individuelles de chaque recours, ce qui n’est – à la lecture de certains arrêts – pas toujours le cas selon moi.»

 6. Pensez vous pouvoir travailler longtemps dans ce domaine? Si oui pourquoi? Si non pourquoi?

 Anne-Cécile: «Oui, bien sûr, il est possible de travailler longtemps dans ce domaine, sans perdre sa motivation, sa capacité d’écoute et son humanité. Comme partout, il faut cependant que certaines conditions soient réunies pour ne pas atteindre ses limites. Pour ma part, je pense que les relations que l’on entretient avec ses collègues jouent un rôle important. Ils faut pouvoir compter les uns sur les autres (les unes sur les autres dans notre cas) lorsque nous sommes fatigués, ou confrontés pour la énième fois à une décision choquante. Savoir rire de certaines situations entre nous constitue une bonne soupape quand la pression devient trop importante. Il faut également être capable de marquer une différence entre la sphère privée et la sphère professionnelle. Les besoins sont tellement importants que si cette frontière devait disparaître, nous serions constamment sollicitées, également hors des heures de travail. Chez Elisa, nous sommes toutes employées à 50%, ce qui nous laisse l’opportunité de nous consacrer à d’autres choses, de nous ressourcer quand le travail devient trop lourd».

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(1) ELISA participe, entre autre, au travail de la Coordination Asile.Ge et de la COPERA. La Coordination asile genevoise réunit les représentants d’une dizaine de groupements qui sont directement actifs auprès des candidats à l’asile dans le canton de Genève. Elle fonctionne comme une plateforme d’échange d’information et de prise de positions en commun. Elle se réunit au CSP deux mardi par mois. La COPERA se réuni une fois par mois et réuni les collaborateurs romands des permanences juridiques pour requérants d’asile.