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Notre regard

Loi sur l’asile | Quels changements après l’adoption de la restructuration?

Le 25 septembre dernier, le Parlement suisse a mis un point final à la restructuration du domaine de l’asile. Si le processus législatif a été mené au pas de charge, avant même l’évaluation finale de la phase-test, le débat n’est pas clos pour autant, puisque l’UDC a d’ores et déjà lancé un référendum. Le parti d’extrême-droite, champion des tours de vis, mène cette fois la fronde contre la révision, seul. Au Parlement, il a été minorisé par un front plutôt inédit s’étendant du PLR au PS (les Verts se sont abstenus). Les promesses de la ministre de tutelle avaient en effet de quoi séduire largement: une accélération des procédures permettrait aux réfugiés d’obtenir plus vite un statut, tandis qu’une protection juridique gratuite garantirait l’accès à une procédure équitable malgré les délais de recours réduits. A y regarder de plus près, la réalité s’annonce pourtant moins reluisante.

La restructuration en bref

  • Transfert de compétences des cantons à la Confédération (plus de centres fédéraux)
  • Système à deux vitesses: une «procédure étendue» avec attribution à un canton comme aujourd’hui (40% des cas) selon les projections du Conseil fédéral) et une «procédure accélérée» menée dans les centres fédéraux (60% des cas)
  • Délais de recours réduits de 30 à 7 jours en procédure accélérée
  • Protection juridique gratuite en procédure accélérée / limitée en procédure étendue
  • Séjour maximal en centre fédéral prolongé de 90 à 140 jours, prolongeables
  • Regroupement de tous les acteurs dans les centres fédéraux (demandeurs d’asile, fonctionnaires du SEM, représentants juridiques, etc.)
  • Nouveaux durcissements: sanctions financières si les cantons n’exécutent pas assez de renvois ; aide au retour dégressive pour dissuader les demandeurs d’asile d’aller au bout de la procédure ; nivellement par le bas de l’aide d’urgence, etc.

Le cœur de la restructuration repose sur un système d’asile à deux vitesses. Les critères de distinction entre la procédure accélérée et étendue ne sont toutefois pas définis précisément dans la loi. (1) Or, la pratique récente du SEM donne un aperçu désastreux de ce à quoi pourrait ressembler un tel système: accélération des décisions de non-entrée en matière Dublin (2), rendues à la pelle dans un but de dissuasion, alors que le traitement des demandes ayant le plus de chances d’aboutir à une décision positive est, lui, fortement ralenti, laissant des réfugiés présumés sur le carreau, faute de décision des autorités (3). Si c’est là un avant-goût de la restructuration, on est loin d’un système favorisant l’intégration et réduisant l’attente passée dans l’incertitude! Un problème structurel risque aussi de se poser: les autorités tablent sur 40% de « cas  Dublin », censés fournir le gros des demandes traitées en procédure accélérée. Or, le système Dublin est fortement remis en cause : en 2014 déjà, le taux de «cas Dublin» était tombé à 21,6%. Que se passera-t-il si ce nombre diminue, voire disparaît? Quelles demandes seront dès lors traitées en procédure accélérée? La restructuration ne s’avère-t-elle pas ici déjà caduque?

Une accélération, à quel prix?

Si une décision rapide est souhaitable pour tout le monde, l’accélération ne doit pas se faire au détriment de la qualité de l’instruction. Or, plusieurs fonctionnaires et représentants juridiques du centre-test de Zurich évoquent une «cadence de travail infernale liée aux délais très serrés», intenable sur le long terme. (4) Si les employés sont sous pression, ce sont les réfugiés qui en pâtissent le plus: dans une procédure où il est souvent question de vie ou de mort, pourront-ils faire venir des moyens de preuve de leur pays d’origine en seulement 10 jours (5)? Surmonter leurs traumatismes pour livrer dès leur arrivée un récit complet de leurs persécutions? Réunir des arguments pour un recours en 7 jours au lieu de 30, comme prévu par la réduction des délais de recours?

Dans le cas contraire, les demandes de réexamen et secondes demandes d’asile risquent de pleuvoir – pas vraiment de quoi obtenir l’accélération souhaitée. Préoccupant également, ce constat qu’au centre-test de Zurich, 23,5% des demandeurs d’asile – 49% lors de procédures Dublin – ont disparu avant la décision, soit deux fois plus qu’actuellement. Que penser des coûts humains et sociaux d’une procédure qui pousse un quart des demandeurs d’asile dans la clandestinité? Réduire le nombre de personnes relevant de l’asile pour grossir les rangs des plus précaires, est-ce cela la solution du Conseil fédéral?

Une protection juridique garantie?

Manifestation contre les renvois Dublin, Lausanne 15/09/2015. Photo: Gustave Deghilage Le 27 octobre, Amnesty International, Solidarité sans Frontières, l’OSAR, la Coordination des permanences juridiques pour requérants d'asile et le Collectif R ont demandé l'arrêt des renvois Dublin et le traitement rapide des demandes d'asile par la Suisse des personnes susceptibles d'obtenir une protection, critiquant les priorités du SEM en la matière. Voir le dossier de presse : "La Suisse doit stopper les renvois Dublin", www.asile.ch
Manifestation contre les renvois Dublin, Lausanne 15/09/2015. Photo: Gustave Deghilage
Le 27 octobre, Amnesty International, Solidarité sans Frontières, l’OSAR, la Coordination
des permanences juridiques pour requérants d’asile et le Collectif R ont demandé l’arrêt
des renvois Dublin et le traitement rapide des demandes d’asile par la Suisse des personnes
susceptibles d’obtenir une protection, critiquant les priorités du SEM en la matière.
Voir le dossier de presse 

Pendant indispensable de l’accélération des procédures, l’assistance juridique répond
à une revendication de longue date des œuvres d’entraide. Pourtant, à l’heure où elle est enfin votée, trop de doutes subsistent pour se réjouir. La réduction du délai de recours n’est pas formellement conditionnée à l’assistance juridique.

L’ «accélération» pourrait donc être maintenue et la protection juridique supprimée. C’est particulièrement inquiétant au vu de la nouvelle composition du Parlement et de l’offensive que l’UDC mène contre cette aide juridique, cible de son référendum. De plus, une telle protection doit absolument être indépendante et dotée de moyens suffisants pour permettre une procédure équitable. Or, le mandat prévu ne garantit pas l’absence de conflit d’intérêt, selon les avocates Laurence Mizrahi et Camille Maulini (6). La cohabitation entre fonctionnaires du SEM et défenseurs juridiques est problématique, tandis que le paiement au forfait et le «contrôle de qualité» imposé par les autorités risquent de dissuader les défenseurs de faire recours. Au centre-test de Zurich, la moitié des recours ont été déposés par des mandataires externes et indépendants suite au refus du représentant légal mandaté par les autorités. Certains ont obtenu gain de cause, prouvant qu’ils n’étaient pas voués à l’échec ! Au vu des résultats des dernières élections et du référendum à venir, l’enjeu sera d’éviter que cette nouvelle loi ne fasse office de boîte de Pandore ouvrant la voie aux propositions les plus extrêmes: procédures expéditives pour certains et attente interminable d’un statut pour d’autres, le tout sans protection juridique et dans des centres isolés de tout comme aux Rochats ou à Glaubenberg . La seule solution acceptable est d’engager des moyens suffisants pour traiter toutes les demandes, de garantir des conditions de vie adaptées à un séjour prolongé dans les centres fédéraux ainsi qu’une aide juridique de qualité qui soit plus que l’alibi d’un nouveau durcissement.

Camille Grandjean-Jornod
CSP-Genève

Priorités du SEM | L’intégration entre parenthèses

«Le SEM maintient sa pratique consistant à traiter de manière prioritaire les cas Dublin et les demandes d’asile faiblement motivées déposées par des requérants provenant d’Etats libérés de l’obligation du visa et de pays pour lesquels le taux de reconnaissance est très faible (procédure en 48 heures et procédure «fast track»). Si les premiers entretiens et l’enregistrement des requérants d’asile en provenance d’Erythrée, de Syrie et d’Afghanistan ont été accélérés, les auditions et décisions concernant ces ressortissants sont en revanche reportées jusqu’à nouvel ordre, à l’exception des cas prioritaires prévus par la loi tels que les cas de mineurs non accompagnés.»

Communiqué du SEM,  24.09.2015


Notes:

(1) Cf. art. 26d LAsi.

(2) Lors d’une décision de non-entrée en matière Dublin, la Suisse n’examine pas les motifs d’asile de ces personnes, qui obtiendraient sinon pour la plupart une protection, mais prononce leur renvoi vers un autre pays européen comme l’Italie.

(3) Communiqué de presse du SEM du 24.09.15 et dossier de presse des ONG du 27.10.15: La Suisse doit suspendre les renvois Dublin, OSAR, Amnesty, Copera, CSP, Solidarités sans frontières, Collectif R (www.asile.ch)

(4) « Centre-test de Zurich: beaucoup de bruit pour rien?« , Aldo Brina, Vivre Ensemble, n°152, avril 2015.

(5) Rapport d’évaluation intermédiaire du CSDH sur la protection juridique (Vivre Ensemble, n°152): «Plusieurs représentants légaux ont attiré l’attention sur le fait que le délai de dix jours qui est généralement fixé par l’ODM durant le premier entretien pour se procurer des moyens de preuve dans le pays d’origine n’est pas toujours suffisant. Les demandes de prolongation du délai feraient l’objet d’un traitement restrictif.»

(6) « Phase test: les failles de la protection juridique étendue« , Camille Maulini, Laurence Mizrahi, Vivre Ensemble, n°149, septembre 2014.