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Comptoir

L’expression du jour | « Appel d’air »

Les tics de langage et les clichés en toc, le journaliste Frédéric Pommier les piste, les attrape, les secoue dans tous les sens et en révèle les absurdités! Ses chroniques sur les mots, diffusées sur France Inter, sont réunies dans L’assassin court toujours et autres expressions insoutenables paru dans la collection Le goût des mots aux éditions Points.

Propos recueillis par Maya Blanc et publié dans le numéro 86 de Causes Communes, le journal de la Cimade (p. 9).

1041590_fPourquoi l’expression «un appel d’air» est-elle ambivalente?

À l’oreille, l’expression appel d’air sonne bien. L’appel évoque l’appel de la forêt et l’appel du large. L’air évoque le ciel et l’oxygène. Un appel d’air, c’est une respiration. En poésie, ces deux mots peuvent inspirer de très beaux vers. Mais l’appel d’air est aussi un terme technique employé par les pompiers. En cas d’incendie dans un immeuble, il faut éviter tout appel d’air. Il faut rester calfeutré chez soi et ne pas ouvrir les fenêtres, sinon on risque l’explosion ou la propagation du feu.

Comment est employée cette image au sujet des migrants?

On n’entend jamais parler d’appel d’air pour les patrons de l’industrie numérique, les mannequins ou les joueurs de tennis… Non, seuls les migrants sont associés à ce phénomène. Et dans une projection toujours négative. Surpeuplée de non-Européens, l’Europe risque d’exploser, de s’enflammer. L’image provoque une sensation d’étouffement. Les immigrés ne sont plus accusés de venir manger notre pain mais de nous priver d’air. Alors les «Français qui souffrent» – selon la formule de François Hollande – peuvent souffrir davantage quand ils entendent parler de cette menace…

De quel discours relève, au fond, la métaphore de l’appel d’air?

En les comparant à des flammes, on nie l’humanité de ces hommes et de ces femmes. On nie aussi leurs spécificités, la misère et les situations politiques de leurs pays d’origine, qui les conduisent à l’exil. Pourtant cette métaphore est devenue commune. Les journalistes la reprennent parfois sans guillemets et le plus souvent dans des citations attribuées car l’appel d’air est d’abord un cliché politique. Le Front national et la droite dite «décomplexée» parlent d’invasion. La gauche préfère invoquer l’appel d’air pour justifier des mesures de fermeture. L’appel d’air est la version polie, policée, aseptisée, politiquement correcte de l’invasion.