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Documentation

Le Courrier | Dans l’angoisse des abris PC

Basé sur des images prises au téléphone portable par des réfugiés, «Bunkers», projeté samedi au FIFDH, livre un vibrant témoignage de la vie en souterrain.

Article de Pauline Cancela, publié dans Le Courrier, le 3 mars 2016. Cliquez ici pour lire l’article sur le site du Courrier.

Sur un mur jaune vif et délabré, se promène un cafard, puis un autre. La rouille et les écailles de peinture ont pris possession des douches, un peu plus loin, à l’abri d’un mince rideau en plastique. Des chaises de conférence font office de canapé dans un «salon» éclairé au néon. Derrière, une chambre renferme les couchettes superposées, dont certaines sont recouvertes d’un drap blanc pour signifier un semblant d’intimité, et de nuit. «Bienvenue en enfer», prévient Mohammad, dans Bunkers, un court documentaire qui a été montré samedi au FIFDH.

Celui-ci n’est pas lointain, mais à Genève, dans les abris de la protection civile d’Annevelle et de Châtelaine, en l’occurrence. Ce film de douze minutes en propose une visite suffocante. Alors que les quidams ne sont pas admis dans ces hébergements souterrains, la jeune réalisatrice française Anne-Claire Adet à donné corps à des images filmées au téléphone portable par des réfugiés. Requérant d’asile soudanais, ancien journaliste, Mohammad vient y superposer son témoignage poignant, lui qui a longtemps vécu sous terre à Genève. «Un monde à part, fait de ronflements, de pleurs et de cauchemars», confie-t-il à la caméra.

[caption id="attachment_30292" align="aligncenter" width="540"]BunkersDocumentaire Anne-Claire Adet à donné corps à des images filmées au téléphone portable par des réfugiés[/caption]

Financement participatif
L’idée a germé au printemps dernier, lorsqu’Anne-Claire Adet, établie à Genève depuis cinq ans, découvre avec effroi des vidéos mise en ligne par le collectif Stop Bunkers.

«Elles constituaient un matériau exceptionnel. Il fallait en faire un film pour qu’elles aient véritablement un impact.»

L’été passé, sa rencontre avec Mohammad au Grütli, en pleine mobilisation populaire contre l’hébergement de migrants en sous-sol, vient sceller le sort du projet. Celui-ci voit définitivement le jour en février 2016, financé à moitié par la Fondation Education 21 et par le financement participatif.

Il faut voir ce petit film sans prétention comme une «expérience sensorielle» qui doit éveiller les consciences, explique la réalisatrice. Dans la bouche de Mohammad, le bunker est un vrai traumatisme.

«Ce n’est pas juste un souterrain, raconte-t-il. C’est un sous-système avec des sous-lois. Ceux qui y vivent sont sélectionnés et gouvernés par des règles qu’on leur impose. Un peu comme les dictatures d’où nous venons.»

Et tout ça au cœur de la capitale de la paix, souligne encore le migrant, entre deux plans séquences qui prennent à la gorge. La bande-son y contribue: triturés par un musicien, les bruits de la vie en abri PC livrent un fond sonore oppressant.

Sous terre depuis un an
Bunkers a été réalisé pour donner la parole aux près de 650 demandeurs d’asile qui vivent dans onze abris PC à Genève (dont deux ouvrent ce mois). Certains y habitent depuis plus d’un an, sans savoir quand ils en sortiront. Ils n’ont ni accès à la lumière du jour, ni la possibilité de cuisiner. Alors qu’on lui demande ce qui lui a manqué le plus à l’intérieur, Mohammad n’a d’ailleurs qu’un mot: «La vie».