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swissinfo.ch | «L’Occident est coresponsable de la misère des réfugiés»

Depuis l’entrée en vigueur de l’accord entre l’Union européenne et la Turquie le 20 mars, la situation des réfugiés dans les îles grecques de la mer Egée s’est encore aggravée. Ils ne savent pas si et quand ils seront renvoyés en Turquie. Les travailleurs humanitaires aussi se sentent déstabilisés et impuissants. Des bénévoles suisses se disent indignées par la situation sur place. Reportage.

Article de Gaby Ochsenbein, publié sur swissinfo.ch, le 29 mars 2016. Cliquez ici pour lire l’article sur le site swissinfo.ch.

Patricia Ponte Pérez, une jeune femme de 19 ans, a démissionné en février – quasiment du jour au lendemain – de son travail au restaurant de son père, afin d’aller apporter son aide à Samos en compagnie d’autres volontaires. Parmi eux se trouvent des jeunes, des plus vieux, des hommes et des femmes venus du monde entier, dont beaucoup font partie de la scène alternative bernoise.

«Nous avons cuisiné ensemble avec les femmes de là-bas pour jusqu’à 1000 personnes – une fois du riz, une fois des lentilles ou encore des pâtes. Nous avons aussi collecté des jouets et des vêtements et avons joué avec les enfants. Nous avons même dansé ensemble. Nous leur avons fait une place dans nos cœurs. C’est bien si les enfants peuvent se changer les idées. Les parents sont soulagés pour un moment.»

Aider ceux qui aident

Depuis l’introduction de l’accord sur les réfugiés entre l’UE et la Turquie le 20 mars, la situation a dramatiquement changé: les nouveaux arrivants sont enregistrés et conduits dans un centre d’accueil entouré de barbelés. Ils n’ont pas la possibilité de quitter le camp. «Nous sommes enfermés comme dans une prison», raconte un Pakistanais, qui avant pouvait se déplacer comme les autres réfugiés.

Des centaines de migrants, qui sont arrivés avant la date limite du 20 mars à Samos, ont été emmenés en bateau sur le continent. Patricia Ponte Pérez a ainsi dû leur dire au revoir. Pour la jeune Suissesse, c’était un moment de tristesse: «On a tissé des liens relationnels et gagné leur affection. Maintenant, nous ne savons pas ce qui leur arrive.»

L’armée et la police sont maintenant responsables de l’approvisionnement dans le centre d’accueil de Vathi, le chef-lieu de l’île. Ainsi, les bénévoles sont presque au chômage, et beaucoup sont déjà repartis. «Je vais rester ici provisoirement», confie Paticia Ponte Peréz. «Je veux savoir ce qui va arriver aux réfugiés et comment je peux continuer à aider.»

Peuple grec solidaire

Eliane Apostolou, qui s’est mariée en Grèce avec son amour de vacances, vit depuis 22 ans sur l‘île. Elle et son mari louent un appartement de vacances aux touristes. Eleni, comme elle est surnommée ici, admire le dévouement de ces jeunes gens. Elle leur a fait la lessive. La Suissesse de Berne-Bümpliz, âgée de 53 ans, s’engage pour les réfugiés, comme le font de nombreux grecs de Samos. Elle leur a procuré des matelas, a récolté des dons et distribué des vêtements. L’automne dernier, lorsqu’il commençait à faire froid et que les réfugiés de la ville de Karlovasi devaient dormir dehors, elle s’est engagée fermement pour que les autorités municipales leur mettent un bâtiment vide à disposition.

Samos n’a pas seulement affaire aux réfugiés depuis l’an dernier, mais déjà depuis 2002, comme l’explique l’Helvète: «Jadis, ce sont des réfugiés de guerre en provenance d’Irak ou des Palestiniens qui sont venus, bien sûr pas aussi massivement qu’aujourd’hui.» Selon Eliane Apostolou, la vieille génération se montre particulièrement sensible au sort des réfugiés, elle qui a encore en mémoire la Seconde Guerre mondiale ou encore le déplacement forcé de plus d’un million de Grecs depuis l’Asie mineure au début des années 20.

Et après?

«Depuis la date limite du 20 mars, il y a nettement moins de réfugiés qui arrivent», remarque un policier allemand qui nettoie son bateau au port. Il patrouille depuis un mois pour Frontex, l’agence chargée des frontières extérieures de l’UE. «Ils arrivent toutefois toujours à bord de bateaux pneumatiques bon marché. Il suffit qu’une personne ait un objet pointu dans sa poche et le bateau coule.»

Le dimanche de Pâques par exemple, 73 femmes, hommes, beaucoup de petits enfants et même des bébés ont été conduits dans le camp. Ils étaient trempés, sales, épuisés et gelés. Des heures se sont écoulées jusqu’à ce qu’ils reçoivent finalement quelque chose à manger, des habits et des chaussures secs. L’ambiance est tendue, les gens ne se sentent pas en sécurité, de temps à autre des bagarres éclatent. Pour protester contre leur détention et une éventuelle expulsion vers la Turquie, certains bloquent l’entrée du camp aux véhicules de transport de nourriture. 500 personnes ou plus sont logées là; ce n’est pas clair. Le poste de police de Samos ne donne pas de chiffres plus précis. A la place, elle nous interroge: «Que cherchez-vous à Samos? Etes-vous seule? Avez-vous parlé hier avec un policier du camp? (J’ai essayé, oui, sans succès.) Finalement, la police m’indique que je dois m’adresser au Ministère concerné à Athène, par écrit.

Patricia Pérez Ponte est consternée par le sort des réfugiés. Eleni Apostolou, elle, est outragée:

«Des  droits humains sont violés de manière crasse, et l’Occident est coresponsable de la misère des réfugiés. Aussi longtemps que l’UE et les pays membres de l’OTAN exportent des armes et larguent des bombes, nous avons notre part de responsabilité.»