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Notre regard

Editorial | Une autre réponse

On aurait pu croire à un élan éphémère de solidarité, né d’images chargées émotionnellement que d’autres instantanés auraient tôt fait de remplacer. Mais c’était plus profond que cela. Aux discours de haine et de rejet, aux réflexes de peurs assourdissant toute autre forme d’opinion, l’affirmation d’une volonté d’accueil émanant de particuliers, de gens ordinaires n’ayant jamais milité, a émergé et occupé le terrain local.

Dans les réunions communales annonçant l’ouverture de lieux d’hébergement, des groupes d’habitants sont venus non pas fustiger les autorités et appeler au tout sécuritaire, mais avec des propositions d’aide, d’idées, d’envies que l’accueil se passe le mieux possible. Elles ont donné un nouveau signal à certains responsables politiques jusqu’ici tétanisés par la peur de perdre de futures échéances électorales avec un discours trop ouvert sur l’autre, sur l’étranger.

Alors oui, les attentats de Paris et les événements de Cologne ont plombé l’ambiance et la récupération politique n’y a pas manqué. Mais sur le terrain, le premier pas avait été franchi, timidement. Et les autres se sont enchaînés, plus naturellement.

A la lecture des témoignages de citoyennes ou de citoyens qui ont décidé de s’engager, il est frappant de voir combien le passage à l’acte a été réfléchi, parfois discuté en famille. (p.2 et VE 156)

C’est cette autre réponse à la crise des politiques migratoires que nous avions envie de donner à voir dans cette édition. Des mains tendues qui font et qui feront toute la différence, aujourd’hui et demain. Des portes ouvertes, et non ces barbelés derrière lesquels sont maintenus des hommes, des femmes, des enfants sans aucune perspective, qui sont autant d’outrages à notre propre humanité. Se défausser sur l’épouvantail du passeur n’est qu’une façon, pour les gouvernements européens, de se donner bonne conscience (p. 26). Ou de justifier le marchandage auquel ils se livrent avec le gouvernement d’Erdogan –on vous prend un réfugié contre un migrant renvoyé depuis l’Europe.

Aujourd’hui, en Suisse, sous l’impulsion de la société civile, des communes font le pari du changement d’attitude. Elles se positionnent du côté de l’ouverture, anticipant l’arrivée de réfugiés. Elles ont choisi de regarder les choses en face et d’en assumer les conséquences : les per- sonnes fuyant la guerre vont venir dans nos contrées parce que la paix, la stabilité et la sécurité y règnent. Et nous avons la responsabilité et la capacité non seulement de les protéger, mais aussi de leur offrir les conditions nécessaires pour retrouver une place dans le monde. Une place qui se construit d’abord par le lien social, la dignité et le respect.

La société civile a contribué à montrer, le 28 février dernier, que l’UDC n’avait pas le monopole du « peuple » dans le débat sur les étrangers. Dans un combat où les autres grands partis traditionnels étaient partis résignés et avec peu de moyens, elle a montré que la mobilisation peut payer.

Le combat est loin d’être gagné. Les écueils sont nombreux, au premier rang duquel l’indifférence ou la peur induite par les discours haineux. Mais il est possible.

SOPHIE MALKA