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AEDH | Note d’analyse: réforme du système d’asile proposée par l’UE

AEDHNote d’analyse de l’AEDH: « Coercition et exclusion ne font pas une politique d’asile équitable »! L’association européenne de défense des droits de l’Homme offre une analyse de la réforme du système Dublin proposée par l’Union européenne. A ses yeux, les «pistes» de la Commission européenne pour une réforme de l’asile sont, pour les unes, inacceptables, pour les autres, irréalistes!

Article publié le 4 mai 2016 par l’AEDH. Pour consulter l’article directement sur le site de l’association, cliquer ici.

4 mai 2016 – Pour la deuxième fois en moins d’un an, la Commission européenne a présenté un «plan» visant à juguler la crise européenne sur la question des migrations et de l’asile. Observant l’échec patent de l’agenda proposé aux États membres le 13 mai 2015 et ses deux mesures phares, le système de relocalisation et la réinstallation, on peut se demander si ce nouveau projet – qui ne vise pas moins qu’à réformer de fond en comble un système d’asile tout juste adopté par les États membres! (1), témoigne du cynisme ou de l’inconscience de la Commission européenne… Le projet, ambitieusement intitulé «Vers une réforme du régime d’asile européen commun et une amélioration des voies d’entrée légale en Europe », a été rendu public le 6 avril.

Dans un exposé touffu – et souvent confus – la Commission entend fixer cinq priorités, assorties de moyens:

  1. Mise en place d’un système durable et équitable pour déterminer l’État membre responsable envers les demandeurs d’asile.
  2. Renforcer le système Eurodac.
  3. Parvenir à une plus grande convergence dans le régime d’asile de l’UE.
  4. Empêcher les mouvements secondaires au sein de l’UE.
  5. Un nouveau mandat pour l’agence européenne chargée de l’asile.  

Outre la reconnaissance explicite des défauts du règlement Dublin et, donc, la nécessité de le réformer, voire le supprimer, les différentes facettes de ce projet s’articulent autour d’un point commun, la volonté explicite d’une «politique de fermeté»:

  • Fermeté à l’égard des États membres dont la Commission n’apprécie guère les carences et orientations discrétionnaires dans leurs applications du droit d’asile européen.
  •  Fermeté à l’égard des demandeurs d’asile et réfugiés, soupçonnés d’abuser d’un système trop généreux, de pratiquer «un shopping» source de mouvements secondaires et dont la présence sur le territoire devrait être limitée au temps strictement nécessaire aux nécessités d’une protection

* Aménager le règlement Dublin… Voire le supprimer …

La Commission prend (enfin?) acte de ce que ce règlement porte en lui le fondement des coups de boutoir donnés au règles européennes régissant le droit d’asile et la liberté circulation au sein de l’Espace Schengen. Elle reconnaît que le déséquilibre initial entre les EM (États membres) selon leur situation géographique par rapport aux frontières extérieures de l’UE n’a pu que s’aggraver avec l’augmentation des flux provenant de régions de conflits, entrainant des chaines de défaillances et des mouvements secondaires des demandeurs d’asile. Elle juge «fort probable que le système actuel demeurerait intenable face à la pression migratoire persistante». Quant à laisser aux requérants le choix de l’État où demander l’asile – comme le proposent l’AEDH mais aussi plusieurs groupes politiques du Parlement européen, voire le Comité économique et social européen (CESE) –, elle estime que cela «agirait comme un facteur d’attraction, même s’il existait une égalité parfaite entre États membres sur le plan des conditions d’accueil des demandeurs d’asile et du traitement de leur demande». Elle propose donc de seulement aménager le dispositif selon une alternative entre deux systèmes, offrant eux-mêmes plusieurs variantes que l’on ne détaillera pas ici:

◊ Option n°1: Un «Dublin bis» complété par un mécanisme de relocalisation

Dans cette hypothèse, le règlement serait maintenu en modulant la charge reposant sur le premier pays d’entrée dans l’UE par un «mécanisme d’équité correcteur», mis en œuvre en période de « crise ». Serait donc recyclé le système actuel de relocalisation, en élargissant cependant le nombre de catégories au-delà des demandeurs d’asile qui viennent de pays pour lesquels le taux de reconnaissance est supérieur à 75%. Les pays aux frontières extérieures ne devant pas pour autant être déchargés de leur «responsabilité», l’activation du «mécanisme» pourrait être subordonnée au soutien opérationnel qu’ils apportent au futur Corps européen de garde-frontières et de garde-côtes. La clause de cessation de responsabilité serait supprimée.

◊ Option n°2: Un nouveau système de répartition, généralisant les relocalisations et éliminant la règle du «premier pays d’arrivée»

Reprenant les propositions qu’elle avait formulées au cours des mois précédents, la Commission suggère de mettre un terme au principe de la responsabilité du premier pays d’arrivée et d’opter pour un nouveau mécanisme de « distribution » des demandeurs d’asile entre les États Membres.

La «clé» de répartition reprendrait des critères de taille, de richesse et de capacités d’accueil, notamment, mais pourrait aussi intégrer «la population de réfugiés présente dans les États membres et le taux de chômage ainsi que les autres efforts consentis notamment dans le cadre de la réinstallation».  Cette généralisation pérenne du système de relocalisation dessiné en juin dernier serait associée à certaines clauses du règlement Dublin concernant la réunification familiale ou l’intérêt supérieur de l’enfant, pour guider le choix du pays de destination des demandeurs d’asile. En outre, dès la responsabilité d’un État établie de façon certaine, celui-ci demeurerait seul responsable de l’examen de la demande d’asile; ceci afin de décourager les mouvements secondaires.

◊ La méthode hotspot généralisée

Dans l’une et l’autre de ces hypothèses, les États de premier point d’entrée resteraient tenus d’identifier et d’enregistrer tous les migrants, de relever leurs empreintes digitales, puis d’organiser le retour de ceux n’ayant pas besoin d’une protection. L’objectif est de faciliter la mise en œuvre rapide des décisions de retour les concernant et de maintenir la pression pour que les EM surveillent leurs frontières. En particulier, les pays de première entrée sur le territoire de l’UE demeureraient responsables pour l’examen des dossiers de requérants venant de pays sûrs.

◊ L’abandon programmé de la directive sur la protection temporaire

Enfin, puisque cette réforme est censée pouvoir répondre aux «afflux massifs», la Commission considère que la directive de 2001 relative à l’octroi d’une protection temporaire pourrait être abrogée (2). Elle peut le justifier par le fait que les États membres se sont toujours obstinés dans leur refus de l’activer! Mais on peut aussi observer que sa mise en œuvre, en ouvrant l’accès à une certaine autonomie des migrants, aurait indéniablement soulagé les États sous «pression migratoire».

Il est particulièrement regrettable que, dans un projet de réforme qui se voudrait d’envergure, la Commission refuse d’examiner l’hypothèse du libre choix du pays d’asile par les demandeurs. Ce faisant, elle risque fort de ne pas pouvoir circonvenir les mouvements secondaires des demandeurs entre les États membres, … sauf à développer une panoplie d’instruments coercitifs (voir ci-dessous). Il est, en outre, très inquiétant qu’elle propose d’abroger une directive (sur la protection temporaire) au prétexte que celle-ci n’a jamais été appliquée, au lieu de faire le forcing nécessaire pour faire entendre raison aux États membres. On peut aussi s’interroger sur la faisabilité des dispositifs envisagés comme alternative au règlement Dublin. Dans l’une et l’autre hypothèse, ils reposent sur un système de relocalisation dont on a pu mesurer l’échec patent alors qu’il ne concernait qu’un effectif de 160 000 personnes. Il fait peu de doute que les critères qui devraient fonder «la répartition» des personnes en recherche de protection, seront aussi mal accueillis par les États membres que lors de la présentation de l’Agenda de la Commission en mai 2015… À moins que ces États ne retrouvent enfin le sens de la «communauté» qu’ils sont censés former!

* Règlementer et centraliser le système d’asile pour qu’il soit véritablement «commun»

La Commission observe que la mauvaise volonté des États membres et leur crainte permanente de créer «un appel d’air», les ont conduit à adopter des normes nationales fondées sur l’objectif du moins-disant. Le projet d’un système d’asile européen efficace, équitable et commun s’en retrouve vidé de son sens et les procédures en manquement qu’elle a engagées ne produisent guère d’effet. En outre, la «loterie» à laquelle sont soumises les personnes en recherche de protection ne peut qu’accroître leur incitation aux mouvements secondaires. L’objectif serait donc de limiter, voire de rendre impossible, l’application de normes différentes dans les États membres. Gageons que la méthode ne recueillera pas l’adhésion des intéressés, toujours soucieux de leur souveraineté nationale, mais elle a le mérite de «mettre les pieds dans le plat»!…

◊ La voie réglementaire pour passer à des normes identiques dans tous les États membres 

Pour parvenir (enfin, serait-on tenté de dire!) à un régime véritablement commun, la Commission propose de remplacer les directives «procédures» et «qualification» par des règlements.

L’uniformisation porterait, par exemple sur les conditions d’admissibilité, l’usage des procédures accélérées, les procédures aux frontières, le droit de séjour et surtout la durée de ces procédures. C’est également par règlement que seraient établies des «règles uniformes sur les procédures et les droits devant être offerts aux bénéficiaires d’une protection internationale», la distinction entre statut de réfugié et protection subsidiaire étant maintenue. La Commission n’exclut pas la possibilité, à terme, de «développer la reconnaissance mutuelle de la protection accordée dans les différents États membres, ce qui pourrait jeter les bases d’un cadre pour les transferts de protection». Remarquons que le projet d’une liste commune de «pays d’origine surs» actuellement en débat s’inscrit déjà dans cette démarche d’uniformisation: les EM devront tous appliquer la même liste, sans exception. La Commission entend poursuivre avec l’adoption d’une liste commune de «pays tiers sûrs», afin de limiter la recevabilité de demandes dont elle estime qu’elles pourraient être examinées dans lesdits pays tiers … à l’exemple de la Turquie. Dans l’un et l’autre cas, elle juge que le pouvoir discrétionnaire des États membres d’y recourir ou non devrait être abrogé.

Les normes d’accueil aussi devront être harmonisées. Tout en assurant un «traitement humain» des demandeurs d’asile, il faudra veiller à «réduire les incitations à la migration vers l’Europe et aux déplacements vers d’autres États membres au sein de l’Europe». D’ores et déjà l’EASO a été chargé, «avec un réseau nouvellement créé d’autorités d’accueil de l’UE en matière d’asile et l’Agence des droits fondamentaux» d’élaborer des normes techniques communes.

◊ Une autorité unique et européenne de décision 

L’autre divergence entre États membres tient à leurs différences d’appréciation du besoin de protection des demandeurs d’asile. Les publications d’Eurostat ou du HCR en apportent régulièrement la démonstration. Pour unifier les décisions d’octroi (ou de refus) d’un statut protecteur, la Commission suggère que l’EASO (le Bureau européen d’appui en matière d’asile) devienne « une agence décisionnaire de première instance à l’échelle de l’UE, avec des antennes nationales dans chaque État membre» ; une structure d’appel serait également organisée à l’échelle européenne. «Cela permettrait d’instituer un processus décisionnel unique et centralisé, (…) et d’assurer ainsi une harmonisation complète des procédures ainsi qu’une évaluation cohérente des besoins de protection au niveau de l’UE», estime-t-elle. Il y a cependant un hic, reconnaît la Commission. «En plus de rendre nécessaire une transformation institutionnelle d’envergure, il faudrait allouer des ressources considérables à ces nouveaux organes de l’UE compétents en matière d’asile aux fins du traitement d’un très grand nombre de demandes actuellement traitées par les autorités des États membres. Une solution aussi radicale serait, dès lors, difficile à envisager à court ou à moyen termes».

◊ L’application des normes européennes sous surveillance de l’EASO 

C’est l’un des points marquants des propositions de la Commission. La «gardienne des traités» entend s’appuyer fortement sur le Bureau d’appui en matière d’asile pour, d’une part, définir les normes juridiques communes (en matière d’accueil, par exemple) et, d’autre part, appuyer les réformes appropriées dans les États membres et en évaluer le respect. C’est à ce prix que pourrait être obtenue une convergence réelle des normes nationales vers un modèle européen unique. En somme, l’EASO serait censé mener auprès de tous les États membres des activités de soutien et de remédiation comparables au programme mis en place en Grèce depuis 2011. Avec plus de succès, espérons-le…

Apparemment, la Commission entend reprendre la main sur la question de l’asile. Et elle entend le faire avec fermeté, en limitant le pouvoir discrétionnaire des États membres. Reste à voir si ceux-là apprécieront d’abandonner ainsi une part de leur souveraineté.

En tout état de cause, la nature des réformes suggérées est telle qu’elles ne pourraient être mises en œuvre qu’après un accord à la majorité qualifiée des membres du Conseil de l’UE et un vote conforme du Parlement européen. … Autant dire que l’échéance prévisible pour une telle réforme ne sera pas immédiate!

* La régression programmée des droits des demandeurs d’asile et des réfugiés

Outre la trop grande autonomie des États membres, la Commission estime que les perturbations du système européen sont imputables aux «mouvements secondaires de demandeurs d’asile et de bénéficiaires d’une protection internationale vers l’État membre de leur choix». D’un œil critique, elle observe que «le régime d’asile de l’UE compte parmi les plus protecteurs et les plus généreux au monde et (que) l’octroi du statut conféré par la protection internationale dans les États membres de l’UE a, en pratique, presque invariablement entraîné l’installation permanente des intéressés dans l’UE, alors que sa finalité première à l’origine était de n’accorder une protection qu’aussi longtemps que persistait le risque de persécution ou d’atteinte grave».

◊ Des mesures punitives, jusqu’à la rétention

La réforme des directives accueil, qualification et procédures devrait donc contribuer à «réduire les facteurs d’attraction injustifiés qui encouragent les départs vers l’UE», mettant à mal un socle de droits pourtant âprement débattu et difficilement acquis lors de la dernière réforme.

Pour y parvenir, les propositions ne manquent pas ; elles n’ont rien à envier aux pires dispositions souhaitées par certains États membres soucieux de «se protéger des réfugiés»!

  • Sanctions «proportionnées» appliquées aux demandeurs qui ne restent pas dans l’État responsable du traitement de leur demande.
  • Procédure accélérée appliquée lors de leur retour dans ledit pays «responsable» ;
  • Droit au séjour éventuellement suspendu pendant la période de recours.
  • En cas de fuite ou de risque de fuite, assignation à un lieu désigné, les conditions matérielles d’accueil n’étant offertes qu’en nature ; voire placement en rétention.
  • La sortie irrégulière du territoire pourrait entacher la crédibilité de la demande de protection, au même titre que lorsque le demandeur ne s’est pas présenté dans le délai fixé par la législation.

En «contrepartie», la Commission insiste sur le fait que ces informations, comme les éléments plus généraux sur la procédure et les droits et obligations des requérants, devront être explicitement fournies aux demandeurs d’asile.

◊ Une protection plus précaire

Les restrictions concernent également les bénéficiaires d’une protection internationale.

Alors que la refonte de la directive qualification avait souhaité gommer certaines différences entre statut de réfugié et protection subsidiaire, la Commission remet en cause cette évolution. Elle entend mieux différencier et hiérarchiser les droits des deux catégories, ce qui ne manquera pas d’avoir une incidence sur les conditions de réunification familiale déjà fort difficile à réunir. La liberté de quitter le pays ayant accordé sa protection sera également encadrée. Toute infraction à cette disposition reculera l’admission au bénéfice du statut de résident de longue durée. Enfin, «les réfugiés» n’auront pas vocation à demeurer sur le territoire européen, dès lors que la situation dans leur pays et leur situation personnelle ne justifieront plus un besoin de protection. Des «vérifications systématiques et régulières» seront donc assurées et l’application de la directive relative aux résidents de longue durée sera révisée pour que l’accès à ce statut soit reporté aussi souvent que l’intéressé aura contrevenu à cette règle de maintien dans un État donné. Autant dire simplement que les réfugiés n’auront pas vocation à s’intégrer à la communauté des résidents européens! Ce qui ne manquera pas de plaire à certains chefs de gouvernement…

La légèreté avec laquelle la Commission s’engage dans une voie qu’elle avait pourtant contribué à combattre lors de la révision du système d’asile est stupéfiante. Sans doute espère-t-elle ainsi rallier les plus farouches opposants à l’accueil des réfugiés par l’Union européenne.


Mais, ce faisant, elle joue avec le feu. En alimentant cette vision du réfugié encombrant, profiteur et indésirable, elle offre une nouvelle ouverture aux discours et pratiques xénophobes qui contribuent largement à la situation de «crise» dans laquelle se vit l’UE.

* L’ouverture de voies de «migrations légales et sûres»

Ce deuxième volet de la communication a sans doute pour objectif de contrebalancer l’effet produit par le désastreux projet de réforme de l’asile qui précède. Il n’y parvient pas vraiment … Alors que sur l’asile la Commission explore de multiples pistes, ici elle se contente de revenir sur certaines lignes directrices qui figuraient déjà dans le programme de J-C Juncker lors de sa nomination à la tête de l’exécutif bruxellois. Il est certes important de reconnaître «la contribution positive des migrants à une croissance inclusive et la réalité multidimensionnelle de la migration qui nécessite une réponse cohérente et globale», mais rien n’est dit ou pratiquement sur la façon dont ce «souffle» pourrait s’appliquer aux enjeux actuels en matière de migration.

Trois objectifs sont évoqués, pour un terme plus ou moins proche:

  • «ouvrir un plus grand nombre de canaux légaux pour permettre aux personnes ayant besoin d’une protection internationale d’arriver dans l’UE d’une manière ordonnée, structurée, sûre et dans la dignité et pour contribuer à sauver des vies tout en réduisant la migration irrégulière et en brisant le modèle d’activité des passeurs».
  • «attirer les qualifications et les talents dont (l’UE) a besoin pour faire face à ses défis démographiques et à sa pénurie de qualifications, afin de contribuer à la croissance économique et à la pérennité de (son) système de protection sociale».
  • «renforcer (l’action de l’UE) en matière d’intégration des ressortissants de pays tiers».

S’y ajoute un élément de méthode: «renforcer (la) coopération avec les principaux pays tiers d’origine, afin d’assurer une gestion améliorée et plus globale des migrations et de la mobilité».

◊ Pour les réfugiés, un système structuré de réinstallation … et des voies d’accès légales

Dans l’immédiat, s’agissant des enjeux d’accueil de réfugiés, la Commission propose de passer à  «un système structuré de réinstallation» qui sera activé «une fois que les franchissements irréguliers entre la Turquie et l’UE auront pris fin ou tout au moins que leur nombre aura été substantiellement et durablement réduit». Sur la durée, elle estime que «la politique de l’UE dans le domaine de la réinstallation devrait avoir pour objectif prioritaire de veiller à ce que l’Union assume une part équitable de la responsabilité mondiale de fournir un abri sûr aux réfugiés du monde entier». Sans doute faudrait-il alors envisager de quelque peu dépasser le programme prévu de 22 504 places de réinstallation… et contraindre les EM à y participer … Quant aux autres moyens d’entrée légale pour les personnes ayant besoin d’une protection internationale, on retrouve les items déjà largement évoqués par la Commission ou d’autres organes de l’UE: l’admission humanitaire ; l’admission régulière d’étudiants, de chercheurs ou de travailleurs. Toutes propositions dont la mise en œuvre tarde à produire des effets … La Commission insiste aussi particulièrement sur les atouts du «parrainage privé» déjà mis en œuvre dans certains États membres ou dans des pays tiers (Le Canada), où les coûts de l’aide à l’installation des réfugiés sont assumés par des groupes ou organisations privés. L’UE pourrait s’inspirer «des bonnes pratiques» existantes.

La question des visas humanitaires n’est que très rapidement évoquée. Au moins est-ce de façon positive puisque la Commission se propose de réfléchir «aux moyens de promouvoir une approche européenne coordonnée à cet égard». On peut quand même regretter qu’elle ne soit pas plus proactive sur ce point alors qu’est en cours la réforme du code des visas et que les débats au Parlement européen ont fait une large part à l’usage de ce titre d’entrée sur le territoire.

◊ Une migration de travail qualifiée … et utile

L’autre volet concerne la migration de travail. Là aussi, le discours de la Commission reste sans surprise. Observant que «l’Europe est un continent vieillissant, caractérisée par un déclin de sa population active (et que) l’évolution des compétences requises par le marché du travail de l’UE entre 2012 et 2025 fait apparaître un besoin croissant de capital humain hautement qualifié (de 68 à 83 millions de personnes, soit une augmentation de 23 %), elle fixe trois objectifs:

  • Réformer la carte bleue européenne pour mieux attirer des migrants hautement qualifiés.
  • Examiner les moyens d’attirer les entrepreneurs innovants pour stimuler la croissance économique et contribuer à la création d’emplois.
  • Intégrer la migration légale aux discussions sur la coopération avec les pays tiers en matière de «gestion des flux migratoires».

Dans le même temps, la lutte contre la migration irrégulière se verra dotée d’instruments supplémentaires, notamment par l’extension du champ d’application d’Eurodac. L’objectif est d’accélérer l’identification des migrants, de mieux évaluer le risque de fuite et, partant, de renforcer «l’efficacité et la rapidité des procédures de retour et de réadmission».

Quant à la question de l’intégration, nul ne doute que la Commission l’appelle de ses vœux. Nous savons qu’elle tente d’y contribuer par des programmes d’échanges d’informations entre les États membres et la mise en commun de «bonnes pratiques». Mais elle n’a pas vraiment la main sur cette matière qui demeure du ressort des législations nationales.

L’annonce d’une «politique proactive de création de voies d’entrée légales viables, transparentes et accessibles» qui introduit la dernière partie de la communication de la Commission ne contrebalance pas vraiment l’esprit désastreux du projet de réforme du système d’asile qui la précède…

La réforme du règlement Dublin pour un système de répartition plus juste des réfugiés entre les États membres, l’objectif de transférer à des règlements les dispositions de certaines directives actuellement en vigueur, voire l’institution de l’EASO en juge européen de l’asile, notamment, visent clairement à déposséder les États membres de leur pouvoir discrétionnaire en matière de droit d’asile. Ce n’est pas ce que l’AEDH critiquerait, tant est insupportable la course au moins-disant de nos pays.

Mais la nature des mesures suggérées par la Commission est telle qu’elles ne pourraient être mises en œuvre qu’après un accord à la majorité qualifiée des membres du Conseil de l’UE et un vote conforme du Parlement européen. Autant dire qu’elles ne risquent pas de voir le jour dans l’immédiat!

Il suffit de voir comment le système de relocalisation a échoué pour comprendre que la réforme du règlement Dublin devra attendre.

Ce n’est donc pas une bonne nouvelle pour les personnes en recherche de protection qui continuent d’arriver de Syrie, d’Irak, ou d’Afghanistan et qui, de façon croissante, sont rejointes par des Somaliens ou des Erythréens, pour se retrouver dans les limbes des hotspots grecs ou sur les routes européennes. Pour elles, l’abandon du règlement Dublin pour un système généralisé de relocalisation entre États membres serait, évidemment, un moindre mal.

Mais, si l’urgence est telle, on peut se demander pourquoi la Commission, au lieu de se lancer dans cette entreprise difficile, non seulement ne fait aucun forcing pour que soit enfin activée la directive de 2001 sur «la protection temporaire» qui pourrait indéniablement soulager certains États membres mais, au contraire, envisage son abandon.

Cela étant, on peut aussi considérer que le délai qu’imposera nécessairement le débat interinstitutionnel, n’est pas non plus une mauvaise nouvelle pour les réfugiés.
À bien les regarder dans leurs détails, en effet, nombre des propositions de la Commission européenne visent moins à insuffler un introuvable esprit d’accueil aux États membres qu’à décourager les arrivées de demandeurs d’asile et leur maintien sur le territoire.

Reprenant le leit motiv d’une Europe jugée trop généreuse et donc trop attractive, elle s’arc-boute contre les mouvements secondaires des requérants et entend placer sous contrôle celles et ceux qui persisteront dans leur projet de trouver un espace de protection dans l’UE. Faire moins accueillant serait difficile…

La Commission y parvient pourtant en prévoyant de précariser la durée de la protection internationale qui sera accordée!

En fait, il semble bien que, lasse de ne pas pouvoir obtenir la coopération des États membres pour mener une politique d’asile «commune, solide et durable» mais aussi «humaine et efficace», l’exécutif européen ne se soit résolu à endosser les pires positions que l’on pouvait imaginer en matière d’asile. Sans doute dans l’espoir d’obtenir ainsi leur coopération … C’est un jeu dangereux.

Pour aller plus loin:

  • Dans la Newsletter d’avril de l’AEDH, voir une synthèse en anglais: [ENG].
  • “La Commission présente des options de réforme du régime d’asile européen commun et de développement de voies sûres et légales d’entrée en Europe”, Communiqué de presse, 06.04.2016, [ENG] [FR].
  • En français: Communication de la Commission au Parlement européen et au Conseil: «Vers une réforme du régime d’asile européen commun et une amélioration des voies d’entrée légale en Europe» ; Bruxelles, 6 avril 2016, [FR] .
  • En anglais: “Towards a Reform of the Common European Asylum System and Enhancing Legal Avenues to Europe”, Communication de la Commission Européenne, 06.04.2016, [ENG].

 

Contacts AEDH:

Dominique Guibert, président

Catherine Teule, vice-présidente

Suzanne Seiller, assistante migration-asile

AEDH, Association Européenne pour la défense des Droits de l’Homme

Email: info@aedh.eu

 

(1) Le «nouveau» RAEC (Régime d’asile européen commun) devait être transposé dans sa totalité par les États membres à la mi-juillet 2015.

(2) Directive 2001/55/CE du Conseil du 20 juillet 2001 relative à des normes minimales pour l’octroi d’une protection temporaire en cas d’afflux massif de personnes déplacées et à des mesures tendant à assurer un équilibre entre les efforts consentis par les États membres pour accueillir ces personnes et supporter les conséquences de cet accueil – http://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/ ?uri=URISERV%3Al33124