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IRIN | Le moment est-il venu de réformer la manière dont on protège les réfugiés?

Le droit des réfugiés est en crise. Ces mots ont été écrits par James Hathaway, professeur spécialisé dans le droit des réfugiés, il y a près de 20 ans. Ils auraient tout aussi bien pu l’être aujourd’hui.

Article de Kristy Siegfried, publié sur le site d’IRIN, le 9 mai 2016. Cliquez ici pour lire l’article sur le site d’IRIN.

Il est tentant de croire que la réponse consternante apportée par l’Europe à l’afflux de près d’un million de demandeurs d’asile l’année dernière représente une nouvelle atteinte à l’obligation des États d’offrir une protection aux demandeurs d’asile. Mais les choses n’ont guère évolué depuis que M. Hathaway a rédigé son article en 1997.

Les gouvernements continuent de proclamer leur volonté de venir en aide aux réfugiés, puis d’essayer par tous les moyens d’échapper à leurs responsabilités juridiques envers eux.

Lorsqu’elle a décidé d’honorer les engagements de son pays vis-à-vis des demandeurs d’asile, Angela Merkel, la chancelière allemande, a été largement décriée pour avoir failli à son devoir de contrôler les migrations. Alors que d’autres pays européens se bornaient à ne faire que cela, l’Allemagne et la Suède ont fini par accueillir une part disproportionnée des nouveaux arrivants de 2015.

En 2016, nous assistons au retour de bâton: des clôtures de barbelés ont été érigées, des lois nationales plus restrictives à l’égard des réfugiés ont été votées, et – de façon largement controversée – l’Union européenne a passé un accord avec la Turquie autorisant le renvoi de tous les migrants arrivant en Grèce.

Pour M. Hathaway, qui officie comme directeur du programme «Droit des réfugiés» de l’université du Michigan, la seule nouveauté dans tout cela est que, pour la première fois de l’histoire récente, «le monde développé entrevoit le lot quotidien du monde en développement». Les politiques qui contribuaient de manière assez efficace à ce que les réfugiés n’atteignent jamais les frontières de l’Europe ont cédé sous la pression des mouvements de masse en provenance de Syrie, et les gouvernements européens sont passés en mode de crise. Le résultat – des réfugiés placés en détention en Grèce ou bloqués aux frontières dans des conditions déplorables des mois durant – a mis en lumière les lacunes préexistantes du régime international de protection des réfugiés.

À quoi pourrait s’apparenter un meilleur système?

En collaboration avec une équipe de juristes, de sociologues, de militants d’ONG et de responsables gouvernementaux des quatre coins du monde, M. Hathaway a passé une bonne partie des années 1990 à inventer des solutions à ces lacunes.

Le principe fondateur du modèle qu’ils ont élaboré était d’assurer un partage plus équitable des responsabilités à l’égard des réfugiés. La méthode: des quotas prédéfinis dont la gestion serait assurée par l’Agence des Nations unies pour les réfugiés (HCR). Avec un système international commun de détermination du statut de réfugié, les réfugiés seraient tous soumis à la même procédure d’évaluation indépendamment de leur point d’entrée. Ils pourraient ensuite être réinstallés, généralement dans la région. Les pays situés hors de la région participeraient par leur financement et avec des places de réinstallation.

Le modèle n’a pas pris. «Faute de champion», se souvient M. Hathaway. «Le HCR n’était pas emballé, et l’idée a été abandonnée.»

M. Hathaway estime que leur modèle est aujourd’hui d’actualité. La prétendue «crise des réfugiés» a enfin polarisé l’attention des dirigeants du monde développé, alors qu’il y a 20 ans les réfugiés étaient avant tout le problème du monde en développement.

«Le modèle que nous utilisons aujourd’hui est caduc; il ne sert ni les intérêts des réfugiés, ni ceux des États», a-t-il dit à IRIN. «À ce stade, le régime de protection des réfugiés est un échec cuisant.»

La convention est-elle elle-même déficiente?

Le fondement du régime actuel est la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés, élaborée pour protéger les réfugiés européens au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, et élargie par la suite pour offrir une protection aux personnes fuyant la persécution à travers le monde. Au fil des ans, des appels en faveur d’une réforme de la Convention ont été lancés de toutes parts.

Les défenseurs des droits des réfugiés lui reprochent son acception trop restrictive du terme de réfugié, et de ne pas énoncer clairement les obligations des États au-delà du principe de non-refoulement (selon lequel un réfugié ne peut être renvoyé dans un pays où sa vie ou sa liberté est susceptibles d’être menacée). Ils dénoncent également l’absence d’un mécanisme de coercition, faute duquel l’application de la Convention repose largement sur la seule bonne foi des 148 pays qui l’ont ratifiée.

La Convention a été accusée par les gouvernements d’être en décalage avec la réalité actuelle des migrations de masse. L’Australie et le Royaume-Uni font partie des pays reprochant à la Convention d’encourager les migrants en situation irrégulière de se soustraire à l’obligation de visa et de contrôle aux frontières.

L’Agence des Nations unies pour les réfugiés, qui est chargée d’en superviser la mise en œuvre, s’est généralement opposée à toute proposition d’amendement.

«Cela fait entre 10 et 15 ans que le HCR est exhorté à reconvoquer la Convention, mais il s’est toujours opposé à la réouverture des débats de peur d’aboutir à quelque chose de pire que ce dont nous disposons à l’heure actuelle», a dit à IRIN Jeff Crisp, l’ancien chef du service d’évaluation et d’élaboration de la politique générale du HCR.

Bill Frelick, le directeur du programme de Human Rights Watch pour les réfugiés, qualifie la Convention de «document limité à de nombreux égards», mais constituant néanmoins un outil essentiel permettant de responsabiliser les gouvernements. «La Convention sur le statut des réfugiés aide ceux d’entre nous qui œuvrons à la défense des droits de l’homme et n’avons pas de pouvoir politique à exercer une influence sur les puissants», a-t-il dit à IRIN.

Mise en œuvre et intégration

Pour M. Hathaway, le problème n’est pas la Convention en elle-même, mais «l’incapacité totale du HCR et des États à réinventer la manière dont est assurée la protection [des réfugiés]».

Son modèle conserverait la Convention sous sa forme actuelle, tout en remaniant entièrement sa mise en œuvre. Cela impliquerait un HCR «redynamisé», ayant autorité pour attribuer des fonds et des responsabilités et pour administrer un système international de détermination du statut des réfugiés. M. Hathaway fait valoir que le budget nécessaire à ce rôle élargi pourrait aisément être dégagé à partir des économies réalisées par les gouvernements qui n’auraient plus à administrer de systèmes nationaux de traitement des demandes d’asile.

Un aspect du modèle imaginé par M. Hathaway en 1997 a dû être adapté à la réalité actuelle. «Le modèle initial partait du principe que la plupart des réfugiés seraient rapatriés relativement vite. Ce n’est plus le cas aujourd’hui», a-t-il expliqué. «Nous avons retravaillé le modèle, et œuvrons avec autant d’énergie à l’intégration locale qu’au rapatriement.»

«Au bout d’un certain temps, les réfugiés qui n’auront pu être ni rapatriés ni intégrés localement auront la garantie d’être réinstallés. De cette manière, nous arrêterons de produire des situations de réfugiés prolongées.»

Le système, seul responsable?

Les personnes travaillant dans le secteur de l’aide aux réfugiés ne considèrent pas toutes que le modèle de M. Hathaway soit pratique ou accessible, surtout face à la montée actuelle des craintes liées à la sécurité – un climat dans lequel réfugiés et terroristes vont de pair dans l’imaginaire collectif.

Roni Amit, chercheuse en chef au Centre africain pour la migration et la société (African Centre for Migration and Society, ACMS) de l’université du Witwatersrand, à Johannesburg, fait valoir que réformer le régime international de protection des réfugiés n’aurait guère d’impact sur la réalité vécue par bon nombre de demandeurs d’asile et de réfugiés coupés de toute protection juridique, même dans un pays comme l’Afrique du Sud possédant l’une des législations les plus progressistes en matière de protection des réfugiés.

«La meilleure législation au monde n’y changerait pas grand-chose, si les personnes cherchant à en bénéficier sont définies comme des migrants économiques ou des menaces à la sécurité», a dit Mme Amit à IRIN.

L’aboutissement de réformes sera soumis à un changement du discours sur les réfugiés, a-t-elle suggéré. «Aborder la question exclusivement en termes de droits et d’obligations ne mènera pas loin», a-t-elle dit. «Quiconque prendra la direction des opérations devra le faire en faisant comprendre aux États que c’est dans leur intérêt; les avantages économiques doivent être évoqués.»

Peut-on convaincre les États de s’engager?

M. Frelick rappelle que la tentative de l’Europe de répartir plus équitablement les demandeurs d’asile nouvellement arrivés entre ses différents États membres au moyen d’un programme de réinstallation a été un échec cuisant, certains pays n’acceptant d’accueillir que quelques centaines de personnes sur les 160’000 devant être transférées.

«Je suis entièrement favorable à l’idée d’un mécanisme établissant une meilleure répartition de la charge», a-t-il dit à IRIN «Si seulement il existait une volonté politique dans ce sens.»

M. Frelick imagine mal les États céder leur autorité à déterminer le statut de réfugié au HCR ou à toute autre autorité supranationale.

M. Hathaway a consacré cette dernière année à présenter son modèle à autant de gouvernements que possible. Pourtant, même lui exprime des doutes quant à l’existence d’une volonté politique suffisante pour que de vraies réformes émergent de la réunion de haut niveau qui se tiendra à l’Assemblée générale des Nations Unies en septembre pour traiter de la question des mouvements massifs de réfugiés.

«J’aimerais qu’il ressorte de cette réunion un engagement en faveur d’un pacte mondial de partage de la charge et d’un processus permettant aux États d’adhérer à ce régime», a-t-il dit. «Mais je redoute qu’il en ressorte des banalités sur la manière dont les États devraient en faire plus pour aider. Si j’ai raison, nous serons passés à côté d’une grande opportunité.»