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Notre regard

Post 5 juin | Après l’euphorie, business as usual

Retour aux fondamentaux après le Oui à la 11ème révision de la loi sur l’asile, dimanche 5 juin 2016, à 66% des votants?

Voilà ce que déclarait Philippe Nantermod, conseiller national valaisan et vice-président du Parti libéral-radical (PLR), lors d’une conférence de presse qui s’est tenue le lendemain matin (écouter ses propos sur le site de la RTS).

On comprend que l’on accorde une forme d’asile à quelqu’un qui fuit les bombes. On comprend moins qu’on l’accorde à un réfugié économique. On ne veut pas appliquer à tout le monde les mêmes droits, car cela reviendrait à ouvrir trop largement les frontières.

PLR_RTSLa revoilà donc, la rengaine de la droite consistant à jouer avec l’image du «faux réfugié» ou du «réfugié économique». Et les personnes obtenant de la Suisse une «admission provisoire» (permis F) sont toutes trouvées pour jouer ce rôle de bouc-émissaire.

Que le PLR veuille rapidement se faire sa place sur le thème fétiche de l’Union démocratique du centre (UDC) ne nous étonne pas. On n’en attendait pas moins des alliés de circonstances du Parti socialiste suisse (PSS): une bonne attaque après le vote du 5 juin 2016.

De là à aussi vite flirter avec le mensonge…

Car évidemment, ce n’est pas la première fois que le PLR s’attaque à ce statut. Le 24 septembre 2013, dans un postulat, le PLR se demandait déjà si la Suisse n’accordait pas trop d’admissions provisoires. Le Conseil fédéral, dans un rapport circonstancié de 14 pages, y répondait par des définitions très claires des motifs d’octroi d’un permis F et fournissait des statistiques éclairantes sur les cinq dernières années. L’une de ses conclusions était que la très grande majorité des permis F avaient été octroyés en raison de ces fameuses bombes (guerres, violence généralisée) ou des risques de torture en cas de renvoi au pays…
Voir également:  La majorité sont des réfugiés: on vous l’avait bien dit! , Vivre Ensemble 153, juin 2015

Alors, des raisons économiques?

De fait, il faudrait plutôt se demander si la Suisse n’accorde pas trop d’admissions provisoires à des personnes qui mériteraient l’asile ou un statut leur octroyant davantage de droits et d’autonomie, clefs de l’intégration et de l’accès au marché du travail: ils émargeraient moins de l’assistance sociale. Ainsi des Syriens, qui reçoivent davantage d’admissions provisoires que de statuts de réfugié. Ainsi, par le passé, des Somaliens, ou des Sri Lankais, dont certains vivent depuis plus de 20 ans avec un permis F…
Lire également notre décryptage: Permis F : subsidiaire et provisoire ? Retour sur une stratégie politique à double tranchant, Vivre Ensemble n° 156, février 2016

Le PLR s’étonne que les personnes restent longtemps à l’admission provisoire? Peut-être devrait-il se demander pourquoi les conflits durent si longtemps, interdisant à la Suisse de renvoyer des hommes, femmes et enfants vers la guerre!

Là où le PLR est retors, c’est dans sa proposition de recourir à la «protection provisoire» pour des personnes qui pourraient potentiellement obtenir un statut de réfugié, tels que les Erythréens. Ce statut -jamais activé par la Suisse- est octroyé sans examen individuel des motifs de fuite et suspend la procédure d’asile pendant 5 ans. Par définition précaire, cette protection provisoire prétéritera la capacité d’une partie des personnes d’accéder rapidement à une autonomie. Quid de l’intérêt de la société suisse? Voilà 20 ans que révision après révision, le Parlement a réduit les montants d’assistance, les marges d’autonomie, d’accès au travail des personnes relevant de l’asile, au point qu’aujourd’hui, on se retrouve à un taux d’emploi catastrophique…

Au moment où la population montre une volonté de créer des liens, une volonté d’intégration des réfugiés, la posture du PLR va à contresens. Elle s’inscrit évidemment dans l’arène politique de l’après-5 juin où chacun voudra imprégner la loi d’application de sa vision, pour renforcer ou atténuer les durcissements législatifs entérinés par une majorité des votants.

A cet égard, on connait la vision affichée par la droite: accélérer pour renvoyer et dissuader. On attend de voir si les promesses de campagne de Madame Sommaruga et du PSS – une accélération visant à permettre à celles et ceux qui peuvent rester de s’intégrer plus rapidement sur le marché du travail – seront suivies de résultats. On espère aussi que l’OSAR ou Amnesty, qui ont largement soutenu la campagne de Simonetta Sommaruga, auront davantage de succès dans le processus législatif qui s’annonce que dans celui ayant ayant abouti à cette loi.

Notre positionnement sur ce vote était qu’un OUI critique n’était pas plus audible qu’un NON critique.

Nous espérons sincèrement nous être trompés et nous militerons évidemment aux côtés de celles et ceux qui travaillent à l’accueil et à l’intégration des demandeurs d’asile et des réfugiés dès leur arrivée en Suisse. Autrement dit, à la cohésion sociale et au fameux «vivre ensemble».

Sophie Malka

Vu la teneur des débats et les contre-vérités qui s’amorcent, nous ne pouvons que rappeler l’existence de notre brochure et notre quiz en ligne «Il y a ce qu’on dit sur les réfugiés. Et il y a la réalité»: 9 questions-réponses illustrées sur ces préjugés sur l’asile qui polluent le débat public. Lisez-le, relisez-le, diffusez-le et twittez-le!

Enfin, petit rappel sur ce qu’est l’admission provisoire, un statut qui n’existe qu’en Suisse, l’Union européenne ayant une définition plus large et une appellation autrement plus positive:

Les admissions provisoires

En Suisse, une admission provisoire est prononcée suite à un rejet de l’asile et une décision de renvoi, lorsque des motifs juridiques s’opposent à l’exécution de ce renvoi.

Trois types d’obstacles au renvoi sont réglementés dans la Loi sur les étrangers:

  • L’impossibilité du renvoi (art.83 al.2) est avant tout liée à des questions techniques, et représente une portion congrue de ces admissions provisoires.
  • L’illicéité du renvoi (art. 83 al.3) concerne des personnes dont la qualité de réfugié est reconnue mais dont l’asile est refusé pour «motifs postérieurs à la fuite». Cela concerne en particulier les Erythréens et les Tibétains: «Le simple fait de quitter la République populaire de Chine pour les Tibétains ou l’Erythrée pour les ressortissants érythréens entraîne une mise en danger des personnes concernées qui justifie la reconnaissance du statut de réfugié», explique le Conseil fédéral dans un rapport. Ces personnes reçoivent alors une admission provisoire pour réfugiés (admission provisoire – réfugiés).
  • L’inexigibilité du renvoi (art. 83 al.4), définie par la Suisse comme un obstacle «humanitaire» à l’exécution du renvoi. Soit parce qu’il «met l’étranger concrètement en danger, par exemple en cas de guerre, de guerre civile, de violence généralisée». Soit en raison de la vulnérabilité des personnes (âge, maladie, absence de réseau familial, etc.). Dans la majorité des cas, c’est la situation dans le pays d’origine qui motive l’octroi d’une admission provisoire, selon un rapport du Conseil fédéral.

La protection provisoire (Chapitre 4 de la loi sur l’asile) est un statut créé au moment de la guerre en ex-Yougoslavie et prévoit l’octroi d’une protection sans examen individuel de la demande d’asile. Elle est supposée permettre au Conseil fédéral d’offrir une protection collective à un groupe menacé, en cas d’arrivée en nombre. Mais elle suspend l’examen individuel d’une demande d’asile. Cette protection provisoire (permis S) n’a jamais été appliquée.

Sur les différents types de statuts octroyés par la Suisse, cliquez ici.

Législation européenne: la protection subsidiaire

La législation européenne prévoit une protection subsidiaire (art. 15 de la directive Qualification) aux personnes n’étant pas éligibles au statut de réfugié, mais pouvant risquer des atteintes graves à leur intégrité. Ces «atteintes graves» sont le risque de peine de mort, risque de torture ou traitement inhumain et dégradant ou encore le risque lié à la guerre ou à une situation de violence généralisée. Les protections offertes pour «raisons humanitaires» relèvent de la législation des Etats et sont essentiellement liées à des situations de vulnérabilité (notamment âge et santé).

Article à paraître dans le prochain numéro de la revue Vivre Ensemble