Aller au contenu
Documentation

Passeurs d’hospitalité | Mais qui a mis les migrants là?

La maire de Calais vient d’annoncer la destruction de la partie nord du bidonville de Calais, sans qu’on soit certain si elle annonce la première quelque chose qui est déjà décidé pour apparaître comme au cœur du processus, ou si elle essaye de forcer la main d’un gouvernement encore indécis. Ses arguments portent sur les nuisances causées par les exilé-e-s là où est le bidonville. La direction du port demande aussi la destruction du bidonville en argumentant sur l’impact négatif de sa présence à cet endroit, certains syndicalistes du port en raison des dangers pour l’emploi. La préfète du Pas-de-Calais avait basé son arrêté d’expulsion de la partie sud du bidonville sur le trouble à l’ordre public que causait ce rassemblement de «migrants» au pied de la rocade conduisant au port.

Billet publié sur le blog Passeurs d’hospitalité, le 13 juillet 2016. Cliquez ici pour lire le billet sur le blog.

Mais qui a mis les «migrants» là?

Revenons en arrière. À la rentrée 2014, la maire de Calais annonce la création d’un centre d’hébergement de 400 places, obligeant le ministre de l’intérieur à préciser qu’il ne s’agira que d’un accueil de jour. Le préfet d’alors fait sa rentrée en contournant un peu plus le projet, puis vient l’annonce du lieu: le centre de loisir Jules Ferry. Le 17 septembre nous nous étonnions de cette localisation dans un billet intitulé «Le projet de centre de jour est-il sérieux?»: «La localisation prévue pose question. […] Les images de groupes importants d’exilés entourant les camions et forçant l’entrée du port, c’est là. Le lieu prévu pour le centre d’accueil de jour, le camp Jules Ferry, est immédiatement de l’autre côté de la rocade. Fixer les exilés à cet endroit est contradictoire avec l’objectif de faire baisser la tension à l’entrée du port, qui apparaît comme une des priorités du préfet.»

Nous n’étions pas spécialement clairvoyants, les autres acteurs associatifs partageaient la même incrédulité. Nous étions dans une période, qui a duré jusqu’en juin 2015, pendant laquelle il y avait plusieurs fois par semaine des embouteillages de camions sur la rocade d’accès au port et sur la bretelle d’accès au Tunnel sous la Manche, avec des exilé-e-s tentant de monter dans les camions à l’arrêt et la police tentant de les en empêcher. Au cours des mois suivants, il s’est avéré que les autorités voulaient non seulement créer là un centre de jour, mais regrouper tou-te-s les exilé-e-s dispersé-e-s dans différents squats et campement sur le terrain où est actuellement le bidonville, juste au pied de la rocade d’accès au port. L’expulsion des anciens lieux et le regroupement des exilé-e-s sur le terrain actuel ont eu lieu fin mars – début avril 2015.

Et on s’étonne un an après, les fameux embouteillages ayant disparu, le port et le périmètre du Tunnel étant entourés de nouvelles grilles et faisant l’objet d’une surveillance policière renforcée, qu’il y ait des tensions autour de la rocade et que des exilé-e-s tentent de bloquer les camions pour y monter, et on en rend responsable le fait que le bidonville soit là où il est.

Certes il n’y avait pas forcément beaucoup de terrains disponibles pouvant accueillir plusieurs milliers de personnes. La maire de Calais voulant que les exilé-e-s le plus loin possible du centre-ville, les communes voisines n’étant pas intéressées pour accueillir un bidonville de plusieurs milliers d’habitant-e-s (la solidarité inter-communale a des limites), on se serait de toute façon trouvé à proximité de la rocade portuaire ou de l’autoroute A 16.

Et puis la situation créée n’a pas eu que des inconvénients, les images spectaculaires d’exilé-e-s tentant de monter dans les camions, tout comme la médiatisation à l’été 2015 des tentatives de et passage par le Tunnel sous la Manche (voir ici, ici, ici et ), ont aidé à un changement d’attitude du gouvernement britannique. Il accusait jusque-là les autorités françaises de ne pas faire leur travail de surveillance de la frontière, et il a au contraire ces deux dernières années fait plusieurs chèques de plusieurs dizaines de millions d’euros – on doit en être maintenant à un total aux alentours de 80 millions d’euros. Soit dit en passant, si on y additionne les dépenses non chiffrées engagées du côté français pour fermer la frontière, on aurait largement de quoi financer une politique d’accueil.

Donc, s’il doit être question d’expulsion, expulsons d’abord les responsables de la situation, qui ont forcé les exilé-e-s à s’installer sur ce terrain, particulièrement inhospitalier, où ils et elles ne voulaient pas aller: la maire de Calais et le ministre de l’intérieur.