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Journal d’un réfugié syrien | Malak et Aya

En fêtant la fin du ramadan la semaine passée, j’ai pensé à toute la chance que j’avais de pouvoir partager de tels moments avec les miens et des amis qui me soutiennent. En somme, c’est comme si j’avais une vie tout à fait normale, à une nuance près, celle d’être un réfugié et d’avoir eu à abandonner mon pays derrière moi.

Billet paru dans le blog Le réfugié syrien, le 11 juillet 2016. Cliquez ici pour lire le billet sur le blog.

Mais j’ai récemment entendu parler de plusieurs femmes syriennes, qui toutes sont bien loin d’avoir ma chance. J’ai eu envie de raconter leur histoire.

Malak

Malak (l’ange en arabe), sa mère, son mari et leurs trois enfants sont originaires d’Alep. Ils habitaient la partie de la ville qui était sous le contrôle du régime. Ils ont fui la Syrie en 2014 et se sont retrouvés au Bénin. J’ai entendu parler d’eux parce que la belle-mère de Malak, la mère de son mari, habite en France voisine. Elle a tenté sans succès de faire venir sa famille dans la région.

Quand Malak et sa famille sont arrivés à Cotonou, son mari a commencé à se lancer dans le commerce. Mais il a attrapé la malaria, et il en est mort au bout d’un an. Malak s’est donc retrouvée seule, avec sa maman et ses trois enfants, dans un pays très éloigné sur tous les plans de la Syrie. Elle ne subsiste que grâce à l’argent que lui envoie sa belle-mère. Cette dernière a réfléchi à la manière de faire venir sa famille par des voies autres qu’officielles en Europe. L’idée aurait été de leur faire prendre l’avion pour Ismir, en Turquie. Ensuite, la famille aurait trouvé un moyen de passer les frontières européennes. Le problème, c’est qu’il aurait d’abord fallu traverser la mer entre la Turquie et la Grèce, et ça, c’est un risque que Malak n’a pas voulu prendre avec ses enfants.

La voilà donc condamnée à rester au Bénin.

J’ai tenté d’entrer en contact avec un Béninois, avec qui j’avais suivi le cours de politique commerciale avancé à l’OMC. Mais il n’a pas donné suite, et nous n’avons pas pu faire grand chose pour aider cette pauvre famille.

Un jour, j’en parlais devant mon amie Catherine. Elle m’a dit que l’un de ses collègues, Jacques, était Béninois, J’ai pris rendez-vous avec lui, et je lui ai expliqué le cas de Malak. Jacques s’est récemment rendu à Cotonou. Il a rencontré Malak, mais j’ai l’impression qu’il n’a rien pu faire, et pour l’heure, les choses en sont restées là.

Aya

Il y a quelques jours, pour la fête de l’Aïd, j’ai appelé l’un de mes frères qui est réfugié en Algérie. Je lui ai demandé comment les choses allaient pour lui, et il m’a appris que la femme du fils de l’un de nos cousins, Aya, était en prison au Niger. Le mari d’Aya s’appelle Mohammad.

Il y a deux ans, Mohammad a quitté Alep pour se replier au village avec sa femme et ses deux enfants. Puis il est parti en Algérie et il a trouvé du travail à Alger. Sa femme et ses enfants, eux, sont d’abord resté au village avant de fuir vers la Turquie où elle a suivi son frère.

Pendant un temps, Mohammad a tout essayé pour obtenir un visa pour l’Algérie pour sa famille. Cela s’est révélé impossible. Il a alors entendu dire qu’en payant quelqu’un, il pourrait avoir un visa pour le Niger, et qu’ensuite, un passeur ferait franchir la frontière à sa famille pour lui permettre d’entrer en Algérie.

Il a déboursé la somme, et il a obtenu le visa nigérien. Il a envoyé les documents en Turquie. Sa femme et les enfants ont pris l’avion. Effectivement, il semble bien qu’un passeur les attendait, mais Aya a été attrapée par les responsables du contrôle. Son passeport ne comportait pas de tampon d’entrée en Algérie; ils ont douté de la validité de son visa. Aya a été jetée en prison avec ses deux enfants, au Niger.

En apprenant ça, Mohammad s’est mis en route: il a traversé toute l’Algérie pour se rendre à la frontière du Niger dans l’espoir d’aller chercher sa femme. On ne lui a pas laissé traverser la frontière. Alors il est là-bas, à 1700 km d’Alger, sans savoir quoi faire. Il attend, pendant qu’Aya croupit en prison, loin de tout et seule avec ses enfants.

Le destin de cette famille a été complètement bouleversé par la guerre. Autrefois, le père de Mohammad, notre cousin, était général dans l’armée de Bachar al-Assad. Comme il était sunnite, Ibrahim, c’est son nom, s’est retrouvé dans l’impossibilité de progresser en grade. Après avoir été général pendant huit ans, il a donc été forcé de prendre sa retraite. Cela a eu lieu quelques années avant le soulèvement. Pourtant, quand on discutait avec lui, il affichait clairement sa position pro-régime: pour lui, il était inimaginable que quiconque puisse gagner contre le régime syrien vu comment il était construit.

Ibrahim a deux filles, qu’il a mariées à deux neveux. Ces deux hommes ont été arrêtés au tout début du soulèvement, après une manifestation. Ils ont été détenus 60 jours, puis libérés, avant d’être à nouveau arrêtés quand l’armée a repris le contrôle de Jesr Al-Shugur, une ville dans la province d’Idlib, en 2013. En 2015, lors de la libération de la province, les deux filles d’Ibrahim, les soeurs de Mohammad donc, ont fui avec leurs enfants vers un village chrétien, sur la frontière avec la Turquie. Pendant qu’ils étaient en route, un missile a touché leur convoi. C’était en juin 2015. Sept personnes de la familles ont été tuées, dont deux enfants. Les deux soeurs sont dorénavant réfugiées en Turquie. Ibrahim et sa femme, eux, vivent à proximité de Damas.

La vie de Malak et d’Aya a été ravagé par la guerre. Elles sont bien loin d’être les seules. Je raconterai d’autres histoires de femmes une prochaine fois.