Aller au contenu
Notre regard

Valais | Détention ou « rétention »? La Suisse participe à la descente aux enfers d’une mineure

La Suisse aurait dû la protéger. La logique juridique a conduit une jeune demandeuse d’asile mineure arrivée seule en Suisse à passer à la clandestinité. Une précarité extrême qui lui a valu deux ans et demi de prostitution forcée, dans nos rues. Victime identifiée de la traite fin 2015, elle est malgré tout placée en détention par les autorités valaisannes. Une situation scandaleuse.

Céline* est arrivée en Suisse en août 2012. Elle n’avait pas encore 18 ans. Elle a été placée au RADOS, structure réservée aux mineurs non accompagnés. Elle a été entendue sur ses motifs d’asile le 27 août 2012 puis lors d’une seconde audition qui s’est déroulée le 22 mars 2013. Considérée comme «enfant sorcier» suite au décès en couche de sa mère, elle a été élevée par sa grand-mère. Battue, agressée et menacée de mort par les villageois en raison de son «statut d’enfant sorcier» (1), elle a finalement quitté son pays d’origine, le Bénin. Arrivée en Suisse, elle a sollicité la protection de ses autorités en invoquant les motifs d’asile mentionnés ci-avant. L’Office fédéral des migrations, aujourd’hui Secrétariat d’État aux migrations, a rendu une non-entrée en matière le 27 mars 2013 et le Tribunal administratif fédéral a rejeté le recours déposé par nos soins le 15 avril de la même année.

La Suisse lui refuse sa protection

A noter que le représentant d’œuvre d’entraide (EPER) présent lors de son audition fédérale du 22 mars 2013 avait indiqué dans son rapport que le renvoi dans le pays d’origine s’avérait inexigible dans la mesure où il représentait un danger concret pour la requérante. A partir de ce moment, elle plonge dans la clandestinité par peur d’être renvoyée dans son pays d’origine où elle risque d’être victime de persécutions, de discrimination, voire d’être tuée. Elle est déclarée disparue par le RADOS le 22 mai 2013.

detentionbrochure
Extrait de la brochure Il y a ce qu’on dit sur les réfugiés. Et il y a la réalité. La réponse, ainsi que des développements sont proposés sur notre site asile.ch ainsi que sur le quiz en ligne: asile.ch/prejuges

Deux ans et demi de calvaire

Elle est alors enrôlée dans un réseau de prostitution par une femme africaine à Zurich. Elle doit se prostituer dans la rue et dans les voitures à Zurich, à Lausanne et à Neuchâtel. Elle tombe enceinte suite à des relations sexuelles imposées sans préservatifs. Elle doit avorter au CHUV en août 2013. Elle est finalement interpellée par la police à Lausanne le 20 novembre 2015 après avoir vécu durant deux ans et demi un véritable calvaire. Transférée en Valais le 24 novembre, elle est immédiatement incarcérée à la prison pour femmes de Martigny en vue de son renvoi. Nous recevons alors un courrier dans lequel elle nous demande de l’aider. Madame Catherine Ferrari, membre du comité du CSI, lui rend visite le 30 décembre 2015 et le 7 janvier 2016. Par la suite, elle la verra chaque semaine afin de lui apporter réconfort et amitié. Un représentant de la Croix-Rouge Valais, deux aumôniers de prison et une représentante de la LAVI lui apportent également leur soutien tout au long de sa détention. Nous déposons une demande de réexamen le 11 janvier 2016, requête considérée comme deuxième demande d’asile. Le 20 du même mois, le Secrétariat d’Etat aux migrations (SEM) informe par fax les autorités cantonales de cette requête, indique qu’il convient de renoncer à la mesure de renvoi et de suspendre les démarches visant à l’obtention de papier. Le 2 février, la prolongation de détention est confirmée.

Une détention injustifiée

Nous adressons alors un courrier au SEM afin de faire part de notre étonnement. On ne saurait en effet invoquer le risque de fuite dans la mesure où la jeune femme se sent aujourd’hui accompagnée et que sa situation est prise en charge par la LAVI: la requérante est en effet considérée comme victime de traite humaine. A noter que la LAVI est en contact direct avec le SEM. Notre courrier étant resté sans réponse, nous appelons le SEM qui indique que la détention est légale et qu’une audition fédérale est prévue au sein même de l’établissement pénitentiaire. L’audition se déroule le 18 mars, à la prison de Martigny, de 9h30 à 16h00. La jeune femme n’est pas libérée. La détention n’étant pas levée, la LAVI interpelle le SEM afin de savoir à quel moment sera rendue sa décision. «Dans le courant du printemps…» lui répond le SEM. A ce jour, le SEM ne s’est toujours pas déterminé! Le 8 avril, la LAVI excédée mandate une avocate afin qu’elle intervienne auprès du Service de la population et des migrations du canton du Valais. Un courrier adressé le même jour au Chef de Service demande la libération immédiate de la jeune femme et souligne que le lieu de détention, une prison préventive, n’est légalement pas adéquat alors qu’il s’agit d’une rétention administrative. La requérante est libérée la semaine suivante, après quelque 5 mois de détention. Elle est aujourd’hui suivie par les associations Point du Jour à Martigny et Astrée à Lausanne et essaie de reprendre goût à la vie en attendant que le SEM se détermine sur sa situation.

Françoise Jacquemettaz
Centre suisses immigrés Valais

(1) Sur la problématique des enfants sorciers, voir « RDC | Enfants sorciers, enfance sacrifiée » paru dans Vivre Ensemble n° 148, juin 2014. Le phénomène se retrouve également au Bénin.

 

Cet article a été publié dans le cadre du dossier du numéro 158 de la revue Vivre Ensemble, sur le thème de la détention administrative, qui comprend également les articles suivants:

 

Voir aussi sur notre site web asile.ch “La détention administrative en Suisse