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Journal d’un réfugié syrien | « Absyah »

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Ci-dessous, son dernier billet:

17 juillet 2016

J’ai une bonne nouvelle. Aya, dont j’ai parlé la semaine passée et qui était en prison au Niger, a été libérée. Elle a retrouvé son mari à la frontière algérienne, et ils sont dorénavant tous à Alger. Quelqu’un l’a aidée au Niger. Apparemment, les autorités nigériennes ont compris qu’elle n’avait pas eu d’autres solutions pour rejoindre son mari en Algérie que de passer par le Niger.

Absyah est une autre de ces femmes dont le destin a été broyé par la guerre et dont je veux raconter l’histoire. C’est notre cousine germaine.

Il y a un an, le fils d’Absyah, Hassan, et deux de ses amis, des travailleurs humanitaires, ont voulu venir livrer du pain au village. Ils venaient d’apprendre sa libération par les rebelles. Hassan et ses amis avaient quitté une ville limitrophe de la Turquie, et ils faisaient route en longeant la montagne. Mais alors qu’ils se rapprochaient du village, ils se sont trompés de chemin et sont tombé nez à nez avec un convoi de l’armée, qui venait, lui, de quitter le village.

Ils se sont fait prendre tous les trois. Hassan est né en 1999, il avait 16 ans au moment de son arrestation; ses deux amis sont un peu plus âgés.

Après de longue recherches, Absyah a fini par apprendre que son fils avait été transféré à Damas, où il était détenu. Elle a payé 500 000 livres syriennes contre la promesse qu’il serait libéré, mais rien ne s’est passé.

Alors elle est entrée en contact avec un avocat spécialiste des négociations avec le régime. C’est ce genre d’avocats qui organise notamment des échanges entre les détenus du régime avec les soldats de l’armée loyale captifs de mouvements rebelles.

Elle a versé 800 000 livres. Cette fois, elle a pu voir son fils. Surtout, elle a pu obtenir qu’il soit transféré de la section «Palestine» des services secrets à Damas, qui a une terrible réputation, à la prison de Sednaya à Damas puis dans une prison à Homs. Elle a aussi eu une carte qui lui permet de lui rendre visite. Mais ces dernière semaines, avec le ramadan, elle n’a pas pu le voir.

Dorénavant, on lui proposerait un autre deal: moyennant le versement de 3 millions de livres, l’équivalent de 7000 dollars, elle pourrait obtenir la libération de son fils. C’est une somme considérable, et dans ce genre d’affaire, on ne sait jamais si l’autre partie va tenir sa promesse. Alors l’idée est d’essayer de voir en parallèle, avec d’autres moyens, si il n’est pas possible d’échanger son fils contre des soldats de l’armée de Bachar al-Assad. C’est ainsi que les deux amis d’Hassan ont d’ailleurs été libérés, il y a une trentaine de jours. Ils ont plus de 18 ans et de ce fait, ils ont été considérés comme des rebelles par le régime et donc reconnus comme monnaie d’échange. Paradoxalement, Hassan est desservi par son jeune âge dans cette affaire.

Il faut savoir qu’en Syrie, l’échange de prisonniers est un véritable business. A chaque catégorie de prisonniers sa valeur: je me souviens qu’au début du soulèvement, on disait qu’un ingénieur valait 150 000 livres; un médecin 200 000 ou un avocat, 100 000. Les shabihas, les hommes du mains du régime, se lançaient même dans des expéditions: «Allez, aujourd’hui on va récolter 10 millions de livres». Et ils partaient à la chasse aux médecins, ou d’autres profils, à Idlib, Deir Ezzor ou ailleurs.

Quoiqu’il en soit, si jamais on y parvient, il faudra du temps pour négocier l’échange d’Hassan contre un autre prisonnier. Or Absyah est très inquiète: si nous tardons trop, dit-elle, nous risquons de «perdre» son fils. Hassan est bientôt en âge d’être recruté par l’armée. Plus le temps passe, plus la probabilité qu’il soit enrôlé par l’armée est grande. Et ça, c’est bien sûr une éventualité que sa mère veut à tout prix éviter.