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Notre regard

Le Courrier | Des jeunes migrants «piquent une tête»

Des occupants de l’abri PC de Bon Séjour, à Versoix, suivent des cours de natation.

Article de Florian Erard, paru le 26 juillet 2016 dans Le Courrier. Cliquez ici pour lire l’article sur le site du Courrier.

Vendredi matin, 10h30, centre sportif de Versoix. Quatre jeunes Érythréens, d’environ 25 ans, se préparent pour suivre un cours de natation organisé par Versoix accueille. L’association de bénévoles vise à favoriser l’intégration des habitants de l’abri PC de Bon Séjour et leur propose des activités. Marise, la maître-nageuse du jour, attend les jeunes hommes aux abords des bassins. «Je me réjouis!» glisse-t-elle en les voyant arriver. Ils se présentent et échangent avec elle quelques mots, en français et en anglais, complétés par des gestes.

Objectifs de la matinée? Flotter, effectuer des petites traversées, s’immerger ou encore plonger.

Mauvais souvenirs

Ces quatre jeunes ont fui les violences de leur pays. «Ils ont vécu des moments terribles. Certains ont vu leur famille se faire massacrer», explique Patrick Falconnet, coprésident de Versoix accueille. Depuis l’Érythrée, ils ont passé par l’Éthiopie, le Soudan et la Libye afin de pouvoir prendre le large sur une embarcation de fortune et traverser la mer Méditerranée.

Au départ, l’eau n’était donc pas l’élément le plus apprécié des quatre jeunes puisqu’il les renvoyait à leur long et périlleux périple. «Arrivant en Sicile, l’un d’eux est tombé de l’embarcation qui les avait amenés jusque-là et ne savait pas nager. Il a été repêché par un compatriote, sans quoi il ne serait pas ici ce matin», relate M. Falconnet. Et d’ajouter que tous ont des traumatismes liés à l’eau, certains ayant vu des proches se noyer. «Il n’est pas commun d’apprendre à nager, en Érythrée. L’important pour nous, c’est qu’ils flottent et sachent nager un peu puisqu’ils se rendent parfois seuls à la piscine ou au bord du lac», dit-il encore.

En dépit de leurs mauvais souvenirs, les quatre jeunes sont désormais assidus: ils se rendent à tous les cours de natation, soit deux fois par semaine si le temps le permet. Deux d’entre eux commencent à se sentir à l’aise. Les autres doivent encore dompter leurs peurs. «J’ai envie de continuer et d’apprendre, même si c’est difficile», dit l’un d’eux en s’approchant du bassin.

Des élèves très demandeurs

Une fois dans l’eau, la première consigne qui leur est donnée est de flotter sur le dos. Le plus craintif des quatre se redresse dans la précipitation, ne parvenant pas à s’étendre suffisamment à la surface de l’eau. Puis, défi suivant: passer entre les jambes d’un partenaire. Certains restent bloqués quelques secondes sous l’eau, les camarades à la surface éclatent de rire. Quelques échanges en tigrinya fusent.

Au bout d’une demi-heure, il est temps de passer au grand bassin. Ayant emprunté l’échelle, ils s’agrippent ensuite au bord pour avancer, les plus craintifs s’aident des deux mains. La maître-nageuse leur demande de toucher le fond de la piscine. Deux se lancent, un observe et le quatrième prend peur. La prof l’aide en le tenant par la main et en exécutant la consigne avec lui. Une fois l’exercice accompli, tous semblent satisfaits. Enthousiastes, les deux plus avancés entament une longueur.

Pour terminer: initiation au plongeon. À la piscine, sont également présents des écoliers. Deux filles, debout au bord du bassin, encouragent les jeunes hommes à sauter dans l’eau. «Allez! Regarde, on fait comme ça», lance l’une des deux avant de plonger. Au moment où les jeunes Érythréens se jettent, les élèves les acclament.

Le cours prend fin et Marise salue sa petite classe. «C’est très intéressant de travailler avec eux, ils sont vraiment demandeurs», déclare-t-elle en adressant un large sourire aux quatre élèves.

S’évader un peu

Outre l’apprentissage de la natation, ces jeunes Érythréens prennent plaisir à se rendre à la piscine comme à toute autre activité proposée par Versoix accueille: entraînements de foot, sorties culturelles, cours de français, ateliers de réparation de vélos. Des résidents de Bon Séjour ont même épaulé les bénévoles d’une compétition d’athlétisme et prêté main-forte à un paysan. «Nous aimons participer à des activités, ça nous change du contexte difficile de l’abri de Bon Séjour où nous sommes septante personnes», explique l’un des quatre jeunes au bord du bassin. Il raconte que les journées sous terre, en cas de mauvais temps ou à l’entre-saison, sont parfois interminables. Certains sont là depuis plus de dix mois, dans l’attente d’une décision administrative.

«Ces activités détendent l’atmosphère au sein de l’abri, créent des liens et permettent aux migrants de s’intégrer à la vie de la commune», explique M. Falconnet. À un point tel que les migrants déplacés dans des foyers ailleurs dans le canton reviennent souvent à Versoix et participent aux activités. «Espérons que notre exemple inspirera des habitants d’autres communes, nous ne pouvons pas rester là sans rien faire», conclut-il.