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IRIN | Grèce: Jeunes, livrés à eux-mêmes, victimes d’abus

Hamza, un réfugié afghan de 16 ans, ne parvient pas à chasser de son esprit le souvenir du corps ensanglanté d’un autre adolescent, agonisant à même le sol à quelques mètres de sa tente. La victime, un autre réfugié afghan âgé de 16 ans lui aussi, souffrait de lésions à la tête et de graves blessures par arme blanche reçues lors d’une bagarre générale.

Article de Tania Karas, publié sur le site d’IRIN, le 1er août 2016. Cliquez ici pour lire l’article sur le site d’IRIN.

Les rixes sont quotidiennes à Elliniko, un camp de réfugiés tentaculaire où 3200 migrants et réfugiés, des Afghans pour la plupart, vivent dans les bâtiments en ruine de l’ancien aéroport d’Athènes et les infrastructures moribondes des Jeux olympiques de 2004. C’est un endroit sordide et surpeuplé, en proie à une insuffisance de nourriture et de services médicaux.

L’adolescent – qui, semble-t-il, vivait à Elliniko avec des proches – est décédé dans un hôpital voisin. D’après la police grecque, trois Afghans vivant sur le camp sont actuellement poursuivis pour son assassinat.

«Dans mon pays, j’ai vu des cadavres dans les rues», a dit Hamza à IRIN. Le jeune afghan ne pensait pas qu’il aurait à revivre ça dans sa nouvelle vie en Europe.

En janvier, Hamza et son oncle ont quitté Kunduz – une ville du nord du pays brièvement tombée aux mains des insurgés talibans en octobre – pour l’Europe.

Le duo s’est séparé en Grèce après être tombé sur une frontière nord fermée. L’oncle d’Hamza a payé un passeur pour continuer sa route, mais Hamza a été contraint de rester sur place par manque d’argent. Il ne possède que les habits qu’il porte, dort sur une couverture en lambeaux et ne prend généralement qu’un repas par jour.

Seul à Elliniko, Hamza est un «mineur non accompagné», terme légal désignant les migrants de moins de 18 ans ayant traversé les frontières seuls, sans parent ni tuteur. Il s’agit essentiellement de garçons âgés de 14 à 17 ans, originaires de pays déchirés par le conflit – Afghanistan, Syrie, Irak et Érythrée – envoyés en Europe par leurs parents comme autant de balises d’espoir pour la famille.

Détention policière et passages à tabac

Les groupes de défense des droits de l’homme et l’Agence de santé grecque elle-même ont estimé que les conditions de vie dans bon nombre de camps de réfugiés du pays étaient inhumaines. Ils sont particulièrement inadaptés à l’accueil d’enfants ou d’adolescents.

En vertu de leur statut de mineurs, ils sont censés bénéficier d’une protection internationale et de droits spéciaux. Mais en Grèce, trouver un abri sûr relève de l’impossible.

Après des mois d’un périlleux voyage par terre et par mer pour rejoindre l’Europe, ils restent confrontés à des menaces dignes d’un pays en guerre. Dans un rapport publié la semaine dernière, Human Rights Watch (HRW) a révélé que les autorités grecques plaçaient régulièrement de jeunes demandeurs d’asile non accompagnés en détention – souvent pour plusieurs semaines ou plusieurs mois. Le week-end dernier, ils étaient 56 à se trouver en cellule.

En Grèce, la détention de mineurs non accompagnés est utilisée comme mesure de protection temporaire en attendant qu’une place leur soit assignée dans un système d’accueil en surcharge chronique. Mais les enfants du rapport de HRW décrivent des conditions «insalubres, des cellules surpeuplées avec des couvertures sales et des bestioles, et un manque d’accès à des informations ou à des services de conseil ou d’aide juridique notamment». Certains d’entre eux ont été retenus plus de 45 jours, le maximum légal.

Sur les îles grecques, ils sont plusieurs centaines à être privés de leur liberté de mouvement dans de vastes centres de détention, et certains récits font état de passages à tabac impliquant la police. Un groupe de juristes grecs a déposé un recours auprès de la Cour européenne des droits de l’homme pour le compte de quatre mineurs afghans non accompagnés, dont l’un est placé en détention policière.

Quelle est l’ampleur du problème?

Environ 90’000 mineurs non accompagnés ont déposé une demande d’asile en Europe l’année dernière, d’après Eurostat – dans le cadre de la vague migratoire qui a vu près d’un million de personnes atteindre le continent par la mer.

Un peu plus de la moitié des demandeurs mineurs non accompagnés étaient Afghans. La Suède en a accueilli la plus grosse part (soit 40 pour cent), suivie de l’Allemagne qui en a reçu 16 pour cent. Seuls 420 ont déposé une demande en Grèce, un pays ne servant traditionnellement que de point de transit vers le nord de l’Europe.

IRIN_MNA_DemandesAsileIRIN_MNA_DemandesAsile_2Mais la fermeture quasi totale de la route migratoire des Balkans a totalement changé la donne. Quatre mois plus tard, la Grèce commence à peine à s’intéresser au cas des mineurs non accompagnés parmi les 57’000 migrants et réfugiés coincés entre ses frontières.

Le Service d’asile grec et l’agence des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) ont lancé un programme conjoint de pré-enregistrement, qui se déplacera de camp en camp cet été pour s’assurer que tous seront convoqués à une audition. Pour l’heure, le programme a permis de découvrir 690 mineurs non accompagnés jusqu’alors inconnus du gouvernement, vivant au milieu des autres migrants et réfugiés.

À l’heure actuelle, la Grèce comptabilise plus de 2000 mineurs non accompagnés et ne dispose que de 407 places d’accueil longue durée, d’après le Centre national de solidarité sociale (EKKA), l’entité gouvernementale responsable de leur prise en charge. Il faut compter trois mois d’attente minimum.

«C’est de loin la plus longue liste d’attente que nous ayons jamais eue, et elle s’est allongée de 30 pour cent avec la procédure de pré-enregistrement», a dit Christos Hombas, qui gère les demandes d’hébergement pour EKKA, à IRIN. « Nous nous attendons à ce qu’elle s’allonge encore. »

La Grèce tarde à prendre en charge ces centaines de jeunes non accompagnés pour qui il est devenu difficile de poursuivre leur périple. La crise financière prolongée a miné la capacité du pays à accroître ses capacités d’accueil.

Des groupes d’aide internationaux (HCR et Save the Children) et des ONG grecques (Praksis, ARSIS et Metadrasi) sont intervenus pour offrir un «refuge transitoire» à environ 270 mineurs dans l’attente d’une solution d’accueil plus permanente. Quelque 360 emplacements supplémentaires sont prévus, notamment par le biais du premier programme national de placement en famille d’accueil, qui a organisé le placement de 12 enfants à ce jour. En Grèce continentale, cinq camps ouverts sont dotés d’«espaces sécurisés» pour les mineurs. Elliniko, dont le démantèlement est programmé, n’en fait pas partie.

La prochaine étape consistera à planifier l’accueil à long terme de ces enfants non accompagnés, compte tenu du peu d’options légales de sortie du pays. À ce jour, seuls 29 mineurs non accompagnés ont été relocalisés dans un autre pays membre de l’Union européenne dans le cadre du mécanisme officiel de relocalisation de l’UE. Les Afghans et les Irakiens sont exclus de ce programme.

Les répercussions

Faute d’une solution d’accompagnement ou d’un accès suffisant à des soins spécialisés, le quotidien des mineurs non accompagnés vivant en Grèce dans des camps ouverts ou dans la rue est marqué par la souffrance.

Nombre d’entre eux souffrent de traumas psychologiques suite aux scènes de violence auxquelles ils ont été exposés dans leur pays d’origine ou lors de leur périple jusqu’en Europe. Leurs conditions de vie actuelles – des endroits souvent surpeuplés, insalubres et peu sûrs – ne leur permettent pas d’initier un processus de reconstruction et encore moins de s’intégrer dans un pays qui pourrait devenir le leur.

«Il existe l’idée qu’en venant trouver refuge en Europe, vous pourrez enfin souffler un peu», a dit Shala Gafary, un juriste américain d’origine afghane qui s’est rendu en Grèce en tant que bénévole, à IRIN. «Il n’ont pas encore pu souffler. Non seulement le traumatisme est toujours présent, mais il est refoulé et la pression monte.»

En tant qu’enfants livrés à eux même, ils sont vulnérables et leur sécurité est menacée. Certains se font entraîner dans le monde sordide de la prostitution infantile et se livrent à des actes sexuels dans le parc Pedion tou Areos, à Athènes, pour des sommes aussi dérisoires que cinq euros, d’après un rapport récent.

Les camps officiels ne sont guère plus sûrs. Des travailleurs sociaux de l’antenne grecque de Médecins du Monde (MDM) et de l’ONG ARSIS ont dit à IRIN avoir recueilli plusieurs récits faisant état d’agressions physiques ou sexuelles sur des jeunes réfugiés dans des camps à travers le pays.

«Ils viennent à nous et nous confient avoir peur de retourner dans leur camp parce que quelqu’un abuse d’eux ou les harcèle», a dit Nancy Retinioti, qui dirige le service d’action sociale de MDM à Athènes.

Bien souvent, les victimes sont réticentes à entrer dans le détail en raison d’un profond sentiment de honte. Certaines agressions sont alimentées par la consommation d’alcool ou de drogue, qui est en hausse dans les centres d’accueil pour réfugiés – officiels ou non – selon les observations des travailleurs sociaux et des médecins. Les drogues les plus répandues sont le cannabis et l’héroïne, d’après Mme Retinioti. Une habitude prise en Grèce, dans la plupart des cas.

«Le problème c’est qu’il n’y a pas de loisirs ni de structure opérationnelle dans ces camps», a dit Mme Retinioti à IRIN. «Il n’y a pas de règles. Les gens vont et viennent. Personne ne sait ce qui est interdit ou autorisé.»

N’importe où, mais ailleurs

Pour de nombreux adolescents non accompagnés, l’aide ne viendra pas assez vite. Beaucoup atteindront les 18 ans avant que l’État grec ne les prenne en charge, ce qui signifie qu’ils auront perdu leur statut de mineur et les droits spéciaux qui y sont associés – le droit à un environnement protecteur sûr, et à la réunification familiale avec tout membre de la famille immédiate résidant dans l’Union européenne, en vertu du Règlement Dublin III.

C’est précisément la crainte d’Abbas Ali Nazaree, un adolescent de 17 ans vivant dans une tente sur le parking d’Elliniko. Il aura 18 ans dans cinq mois. En Afghanistan, son frère aîné travaillait comme cuisinier pour un employeur américain à l’aérodrome de Kandahar, et les talibans l’ont menacé en raison de ses liens avec les Américains. Il est arrivé en Autriche il y a 18 mois. Menacé à son tour, Abbas a quitté l’Afghanistan il y a sept mois, mais son voyage a été brusquement interrompu par la fermeture des frontières.

«J’ai perdu mon téléphone, et donc mon numéro», a-t-il dit. Il ne sait pas comment les autorités grecques le contacteront pour l’avertir de son audition – ou si une place en refuge se libère.

M. Hombas de l’EKKA a reconnu qu’environ 400 personnes étaient dans le cas d’Abbas sur sa liste d’attente pour un hébergement, qui comporte pas moins de 1400 noms: des jeunes avec lesquels l’État, pour une raison ou une autre, a perdu le contact.

«Beaucoup d’entre eux sont totalement à la rue», a dit M. Hombas. «Ils vivent peut-être dans des camps non officiels ou dans des caves. Ils ont peut-être fui la Grèce.»

Tous ne possèdent pas de portable, et ceux qui en ont un se retrouvent parfois à court d’argent pour acheter de nouvelles cartes SIM, si bien que l’EKKA n’a aucun moyen de réaliser un suivi de leur demande de refuge.

De nombreux mineurs non accompagnés finissent par prendre eux-mêmes la situation en main. Les centres d’accueil enregistrent des taux de fugue importants. Certains jeunes se tournent vers des passeurs dans les Balkans, une activité lucrative depuis le durcissement des régimes frontaliers. D’autres se tournent vers d’anciens itinéraires de contrebande partant de ports à l’ouest du pays: les réfugiés et les migrants se cachent sous des camions rejoignant l’Italie par ferry (la semaine dernière, un deuxième rapport de Human Rights Watch a révélé que l’Italie renvoie illégalement des enfants migrants vers la Grèce).

Hamza, lui, souhaite simplement rentrer chez lui. Il a cherché des programmes dits de «retour volontaire».

«Ils m’ont répondu qu’ils ne peuvent pas me laisser rentrer chez moi parce qu’en tant que mineur j’ai des droits spéciaux en Europe», a expliqué Hamza avec une pointe d’ironie dans la voix.

À Kunduz, le père d’Hamza tente de réunir quelques centaines d’euros pour financer le retour clandestin de son fils en Afghanistan. Au moins là-bas, en dépit de la menace constante de la violence, il est avec sa famille.

«Ici, il n’y a pas d’espoir», a dit Hamza. «Personne n’en a rien à faire de nous. Je le vois bien.»