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Notre regard

Aéroport | Welcome to Geneva. Les zones de transit: une détention déguisée

Dans le courant de l’année 2015, 24 demandes d’asile ont été déposées à l’aéroport de Genève. La loi prévoit que durant la procédure de détermination du statut de réfugié, les requérants d’asile sont assignés aux locaux de la zone de transit internationale, au maximum pendant 60 jours. Certains sont renvoyés directement depuis l’aéroport vers leur pays d’origine ou vers un État Schengen/Dublin. D’autres se voient autoriser l’entrée en territoire suisse pour la poursuite de leur procédure.

Dans le cadre de mon mémoire de master, j’ai voulu comprendre comment cet enfermement provisoire au sein de l’aéroport est vécu. On découvre à travers les témoignages des personnes qui l’ont expérimenté et l’analyse qui en découle, que ce cadre se rapproche davantage de la détention administrative que d’une procédure d’examen de la demande d’asile. Un contexte qui entraîne diverses réactions: dépression, résistance, revendications politiques, etc. J’ai voulu savoir quelles ressources ces personnes mobilisent et quelles stratégies elles mettent en place pour tenir dans ce confinement imposé.

L’expérience de l’enfermement

Pour répondre à la première question, un parallèle a été établi tout au long de l’étude entre le témoignage des requérants et la gestion de la procédure d’asile par les autorités. Commençons d’abord par comprendre leur environnement. Les locaux dans lesquels les requérants sont hébergés se situent au sein même de la zone «non Schengen» de l’aéroport: il y a deux dortoirs séparés pour hommes et femmes, un local de vie commune et une terrasse grillagée de 60m2, communément appelée «la volière», donnant vue sur le tarmac. Après avoir fui leur pays pour des raisons politiques, mes interlocuteurs témoignent du caractère carcéral qui se dégage de ces lieux. En effet, à l’incertitude de leur devenir et à leur peur d’être renvoyés dans le pays qu’ils ont fui, s’ajoute le sentiment d’être en prison. Ce sentiment s’explique, selon les propos recueillis, par plusieurs éléments. La difficulté d’obtenir certains droits, l’exiguïté et la froideur des lieux, le contrôle effectué sur leur mobilité, ou encore l’usage d’une certaine violence physique et symbolique à leur égard leur suggère l’idée qu’ils représentent une menace aux yeux des autorités. À titre illustratif, un requérant témoigne des commentaires désobligeants et des intimidations qu’il a reçues de la part du corps de police: «On va te mettre dans un avion que tu le veuilles ou pas, on va te mettre dans un sachet, on t’attache et on te met dans l’avion». Oui, il y a des policiers qui disent que si on refuse de partir, c’est ce qui va se passer.» Et de la parole aux actes, il n’y a qu’un pas: il est arrivé à plusieurs reprises que des requérants soient renvoyés de l’aéroport d’une manière particulièrement violente. Il apparaîtrait également, selon des témoignages, que des requérants soient directement interceptés à leur sortie d’avion et reconduits immédiatement dans un autre, sans avoir été entendus sur une éventuelle demande d’asile (2).

Credit: Matthias Müller/flickr
Credit: Matthias Müller/flickr

Impact durable

L’expérience de ces requérants est alors fortement influencée, et ce, dans une dimension très négative. Certains tombent dans la dépression, d’autres tentent par désespoir de se faire du mal. Venus demander la protection internationale, ils se sentent considérés comme des criminels, parce qu’ils se voient traités comme tels: «Il faut emprisonner les délinquants, il ne faut pas emprisonner n’importe qui. C’est pourquoi je dis que les autorités suisses ont déjà l’idée de nous enfermer dans des endroits où on vit comme des moutons. Il faut nous considérer comme des humains aussi». La façon dont les autorités gèrent la procédure d’asile à l’aéroport trouve ainsi une correspondance dans le comportement des requérants. Les rapports de pouvoirs établis au sein de la zone jouent un rôle dans leur expérience. Cependant, l’effet que cette forme d’autorité provoque en eux dépend également de leur histoire et de leurs ressources personnelles. Face à un cadre qu’ils considèrent comme carcéral, mais surtout incompréhensible et injustifiable, chacun développera une stratégie d’adaptation ou de refus.

Des stratégies de survie

Certains tentent de s’adapter à ces locaux, notamment par l’écriture, la parole ou le sport. D’autres mettent en place des stratégies de résistance pour contester leur assujettissement aux autorités suisses, en contournant et provoquant le règlement par exemple. Ou en entamant une grève de la faim pour dénoncer politiquement leurs conditions de vie. Ils se repositionnent alors en acteurs de leur propre vie, malgré l’expérience de l’enfermement. Au-delà des stratégies déployées, arrêtons-nous sur les ressources qu’ils mobilisent durant leur séjour à l’aéroport. La religion ainsi que les liens de fraternité et d’amitié qu’ils créent dans la zone de transit sont d’une importance primordiale. Telle une famille, ils s’apportent mutuellement l’aide, l’écoute et la solidarité dont ils ont besoin. À cet égard, les aumônières de l’AGORA représentent de véritables figures de soutien. Les requérants d’asile peuvent, grâce à l’intensité des liens noués notamment avec elles, retrouver une reconnaissance et une valorisation dans le regard de l’autre. Ils résument tous leur expérience sur deux pôles opposés, l’un étant profondément éprouvant, l’autre extrêmement humain. De cette analyse ressort un questionnement sur le caractère très hybride des locaux de l’aéroport. Le fait que les requérants mettent autant de stratégies en place ou qu’ils désirent s’en échapper confirme ce caractère ambivalent. Alors que les lieux sont initialement voués à traiter les demandes d’asile comme dans un Centre d’enregistrement et de procédure (CEP), c’est davantage une logique d’enfermement des migrants qui ressort de leur usage. La Commission nationale de prévention contre la torture (CNPT) dénonçait dans son rapport en 2012 l’esprit de détention qui s’en dégage (3). Comment l’expliquer? La préoccupation sécuritaire des États européens, qui tentent par diverses mesures d’empêcher l’arrivée des migrants, imprègne toujours davantage les procédures d’asile. L’enfermement représente une des mesures destinées à dissuader les migrants de vouloir poursuivre leur route. Il permet aux États d’affirmer leur autorité, mais également de préserver leur crédibilité aux yeux de l’opinion publique. Ce faisant, les systèmes du contrôle des frontières et de la protection des réfugiés se chevauchent et entrent en tension. L’un semble assurer la tâche de l’autre, amenant les requérants d’asile en quête de protection à vivre des procédures qui se durcissent sans cesse.

TÉMOIGNAGES

« Il faut que la compassions prenne le pas sur les doctrines, pour que nous ayons un monde meilleur » François

François et Mohamed ont quitté leurs pays pour des raisons politiques. De leurs 60 jours de séjour en zone de transit, ils gardent le sentiment d’un grand tourbillon. Extraits d’entretiens, par Sabrina Giacomino.

Mohamed: «Je connaissais deux pays pour les droits de l’homme. La Suisse et le Canada. Mais quand tu arrives en Suisse, les droits de l’homme, c’est ça? Moi je dis que c’est de l’hypocrisie. C’est une manière de piéger les gens, les gens arrivent et vous faites autre chose! (…) C’était comme une prison pour moi. Une punition. Ca m’a vraiment marqué, blessé. Profondément. Mais prendre ma liberté, c’est ça que j’arrive pas comprendre, car pour moi la liberté, elle n’a pas de prix. Mettre une personne dans une cage! On nous dit de monter en haut, parce qu’il y a la terrasse. Mais tout est barbelé, c’est une cage. L’être humain a besoin de se sentir prendre l’air tu vois. (…) C’est là que ma dépression a commencé, depuis que j’étais à l’aéroport en zone de transit. Parce que je ne supportais pas ça. Personne ne peut te comprendre. C’est pas facile, tu vois les gens qui sortent qui entrent, mais toi tu n’as pas la possibilité de sortir».

Désespéré, il entame une grève de la faim pour revendiquer ses conditions de vie: «Oui, c’est une manière de faire comprendre à la population qu’il y a quelque chose qui existe que beaucoup de gens ne savent pas. Parce que quand on était en haut [sur la terrasse grillagée], on voyait les bus passer, personne ne peut imaginer qu’il y a des gens qui sont enfermés en haut dans cette maison, tu vois? Mais au moins on a fait la grève de la faim et beaucoup de gens savent qu’il y a une maison d’enregistrement ici.»

Si ses revendications ont été vaines, il retient de son expérience également quelque chose de très positif, qu’ont été la solidarité et les liens qu’il a créés avec les résidents et les aumônières: «Dans toute cette situation, ce qui est le plus fort c’est l’amitié que tu vas créer, parce que tu comprends que ça ne tient qu’à la vie et que ce n’est pas facile. Ce n’est pas eux qui sont tes ennemis, tu vois c’est la situation qui vous a fait vous croiser. On partageait cette émotion… Cela a été le côté positif de cette expérience. Donc les idéaux, les paroles que vous échangez, ça m’a donné beaucoup de choses. Même mes parents m’ont pas donné ça».

François: «C’était le chaos, je n’avais pas prévu ce scénario là…(…). Ils ne m’ont pas expliqué mes droits. Ils ont lu des déclarations, des procès verbaux et m’ont dit de donner mes empreintes. Mais j’ai refusé. C’est dans la zone de transit qu’on m’a expliqué ma situation, après que j’ai tout signé. Imaginez-vous l’état dans lequel on est arrivé, les problèmes que nous fuyons et ils vous donnent des tas de papiers à signer! Ils disent que vous êtes assignés dans la zone de l’aéroport pour une durée soixante jours, mais que tu refuses ou pas tu dois signer».

«Les réponses négatives du SEM, nos recours rejetés, la décision du renvoi confirmée par le Tribunal administratif fédéral étaient les moments les plus difficiles de notre détention à l’aéroport. On approchait les 60 jours et avec la pression de la police, on ne vivait plus. Psychologiquement on n’était plus au point. On devenait de plus en plus fous. Certains multipliaient les crises, d’autres, les plus courageux mettaient leurs plans en action; ils se faisaient du mal. J’ai vu un résident qui s’est cogné la tête contre le mur, qui a perdu connaissance et a été transporté d’urgence à l’hôpital. On avait des idées extrêmement négatives. Il y avait une haine poussée en nous.»

SABRINA GIACOMINO

(1) Le terme «autorités» désigne le corps de police, le Secrétariat d’État aux migrations (SEM), ainsi que l’entreprise ORS, chargée de leur hébergement et encadrement.

(2) Voir également VE 157, « Usage de la force à l’aéroport de Genève : deux illustrations de trop », Elodie Debiolles, Elisa-Asile Genève.

(3) Le HCR, la CNPT, entre autres considèrent les zones de transit des aéroports comme des lieux de privation de liberté.

Cet article a été publié dans le cadre du dossier de notre numéro 158 de la revue Vivre Ensemble, sur le thème de la détention administrative, qui comprend également les articles suivants:

Voir aussi sur notre site web asile.ch “La détention administrative en Suisse