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Notre regard

Le Courrier | Une fratrie menacée de renvoi se réfugie au Temple des Pâquis

La fratrie devrait être séparée et expulsée de Suisse au nom des accords de Dublin avant le 7 septembre. Solidarité Tattes et Lisa Mazzone condamnent.

Article de Laura Hunter, publié dans Le Courrier, le 5 septembre 2016. Cliquez ici pour lire l’article sur le site du Courrier.

Walat, Slava, Hazma et Redur sont frères et sœurs. Kurdes de Syrie, ils ont entre 18 et 25 ans, mais leurs yeux en ont déjà trop vu. Ce matin, la police est venue à leurs foyers respectifs (non mixtes). Comme elle ne les a pas trouvés, elle est partie toquer chez leur tante. Les trois aînés sont en effet menacés d’un renvoi imminent vers la Croatie, à la suite de la non-entrée en matière du Secrétariat d’Etat aux migrations. La date butoir pour l’application du renvoi selon les accords de Dublin étant fixée au 7 septembre, la famille s’est réfugiée au Temple des Pâquis depuis vendredi midi avec l’appui des militants de l’association Solidarité Tattes et de Lisa Mazzone, conseillère nationale. Ces derniers dénoncent une décision «inhumaine et absurde» et un manque de bon sens. Ils demandent aux autorités cantonales de ne pas exécuter ce renvoi et au Secrétariat d’Etat aux migrations d’entrer en matière sur cette demande d’asile.

Traces

Les quatre frères et sœurs sont partis de la Syrie à cause de la guerre. Walat, l’aîné, a déserté l’armée  «car il ne voulait pas tuer de civils». Sa famille risquant des représailles et lui-même la peine de mort pour trahison, décision a été prise de partir. Les parents, trop âgés, sont restés en Syrie, où ils se cachent. L’objectif, dès le départ, était la Suisse où la tante des jeunes gens est établie depuis dix ans.

Partis vers la Turquie, les quatre frères et sœurs sont arrivés en Grèce, d’où ils ont été envoyés en Croatie. C’est là qu’ils ont eu «le malheur de créer une trace», ces traces tant chéries par les technocrates des accords de Dublin. Non que les jeunes aient laissé leurs empreintes digitales, non, mais ils ont reçu et surtout conservé un avis d’expulsion des autorités croates, dont ils n’ont d’ailleurs pas compris le contenu. Ils ont donc naïvement présenté ce papier aux douaniers suisses. Si Redur était mineur lors de son entrée en Suisse en octobre 2015 et a pu bénéficier d’un permis N qui lui assure de rester en Suisse jusqu’à la fin de la guerre en Syrie, les trois autres se sont vu refuser leur demande d’asile au printemps passé.

En vertu des accords Dublin, bien que ces trois jeunes n’aient déposé aucune demande d’asile en Croatie, ils devraient donc y être renvoyés, après un an passé en Suisse.

Vulnérabilité

C’est le premier argument avancé par Lisa Mazzone et Massimo Usel, de Solidarités Tattes. Lors du long voyage qui les a menés de leur terre en guerre à la Suisse, les quatre frères et sœurs ont connu «l’enfer», selon les mots de Hazma, 22 ans.  Les filles sont suivies depuis leur arrivée par un psychiatre qui leur a prescrit des antidépresseurs. «J’ai tout le temps peur», confie Slava.

«Ce renvoi des trois aînés signifie la séparation d’une fratrie ayant déjà subi d’importants traumatismes», relève Massimo Usel. Pour Lisa Mazzone, c’est d’autant plus absurde qu’ils ont ici de la famille prête à s’en occuper, en la personne de leur tante et de son mari qui sont établis depuis dix ans en Suisse et leur assurent soutien moral et matériel.  Ce n’est pas le cas de la Croatie. «La Croatie n’offre aucune garantie d’asile pour la fratrie. Pas plus que la Turquie, où ils pourraient bien être renvoyés et où leur identité de Kurdes est un facteur de discrimination certain à l’aune de l’actualité», ajoute la conseillère nationale. De plus, les quatre jeunes ont tenté de s’intégrer durant cette année passée en Suisse, notamment en prenant des cours de français. «Quel futur les attend en Croatie?», s’indigne Massimo Usel.

 «Un système aveugle»

Solidarité Tattes et Lisa Mazzone – en qualité de «marraine» – ont accompagné durant ces derniers mois la famille Musa en tentant d’exercer une pression politique et médiatique. «Force est de constater que nos démarches n’ont pas abouti. Nous avons donc décidé de les soutenir dans ces jours très difficiles», regrette Lisa Mazzone. Pour elle, la famille Musa est une nouvelle mise en évidence des dysfonctionnements occasionnés par le système de Dublin, «un système aveugle de par son refus du cas par cas», assène-t-elle. Si la conseillère nationale assure que le canton possède une marge de manœuvre pour refuser l’application de la décision de Berne, le service de Pierre Maudet affirme que cette dernière est contraignante et que seule une contre-indication médicale au transfert pourrait empêcher le renvoi. Face à ce mur bureaucratique, décision a été prise de se réfugier au Temple des Pâquis (49, rue de Berne). Des permanences ont été organisées jour et nuit et on réfléchit à la meilleure stratégie à adopter dans les jours suivants. La population est invitée à venir soutenir la fratrie.