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Documentation

Interview de Jet d’encre suite à la table ronde sur la terminologie organisée par Vivre Ensemble

Les mots comptent. Ils dessinent les contours de nos systèmes de représentation et structurent notre rapport collectif aux réalités sociales qu’ils désignent. En ce sens, les choix langagiers ne sont jamais « naturels » ou « neutres », encore moins anodins. Et ceci est d’autant plus vrai lorsqu’il s’agit de sujets aussi contentieux que les migrations et l’asile. Face à l’emploi récurrent d’une terminologie flottante, aux effets parfois stigmatisants, tant dans le discours médiatique qu’institutionnel, l’association Vivre Ensemble a organisé une table ronde visant à mûrir en commun des approches plus cohérentes et productives pour envisager les réalités du phénomène migratoire. Jeudi 13 octobre, plusieurs acteurs de la scène politique, médiatique et associative, dont Jet d’Encre, se sont ainsi donné rendez-vous pour échanger sur ces questions et finaliser de manière participative un manuel-glossaire à l’intention des journalistes au sujet des problématiques afférentes à l’asile et aux réfugiés. L’occasion de s’entretenir avec la géographe Cristina Del Biaggio, responsable chez Vivre Ensemble du «Comptoir des médias», un projet d’action et de sensibilisation des médias romands aux préjugés sur l’asile.

Billet publié sur le site Jet d’encre, le 4 novembre 2016. Cliquez ici pour lire l’entretien complet sur le site Jet d’encre.

Les participants à la table-ronde, durant un des ateliers
Les participants à la table-ronde, durant un des ateliers. Photo: Alberto Campi

L’un des ateliers proposés dans le cadre de la rencontre avec les médias portait spécifiquement sur les statistiques et les discours étatiques. Quels enjeux de catégorisation structurent notre compréhension des chiffres officiels qui rendent compte du thème de l’asile en Suisse?

CDB: Il y aurait beaucoup à dire sur le sujet. Nous venons de voir qu’une des catégories utilisées par les autorités, inscrite dans la loi, est celle des personnes en «séjour illégal». Un mot criminalisant les personnes n’ayant commis aucun crime, si ce n’est celui de ne pas posséder les bons papiers.

Un autre exemple est constitué par la catégorie des personnes «admises provisoirement» en Suisse, lesquelles obtiennent un permis F. Tout d’abord, il y a un problème avec l’emploi de l’adjectif «provisoire». Les chiffres montrent en effet le peu de pertinence de ce mot: en 2015, il n’y avait pas moins de 21’451 personnes étiquetées «provisoires» depuis 7 ans ou moins, et 11’608 qui l’étaient depuis plus de 7 ans!

[caption id="attachment_35753" align="alignnone" width="1024"]Source: SEM Source: SEM[/caption]

Les personnes admises provisoirement sont soumises à de nombreuses contraintes socio-économiques, ce qui a poussé l’Observatoire romand du droit d’asile et des étrangers (ODAE romand) à poser une question rhétorique à l’heure de choisir le titre d’une exposition dédiée au sujet: «Permis F: admission provisoire ou exclusion durable?». (Pour en savoir plus sur l’admission provisoire, cliquez ici.)

Au niveau statistique, les autorités compétentes, soit le Secrétariat d’État aux migrations (SEM), considèrent les admissions provisoires comme un rejet de la demande d’asile. Les personnes ayant obtenu un permis F sont donc comptabilisées parmi les réponses négatives de demande d’asile. Les tableaux statistiques officiels les placent dans une colonne appelée «rejet avec admission provisoire». Or, l’admission provisoire est un statut octroyé à des personnes n’ayant certes pas prouvé avoir été victimes de persécutions, mais qui, dans leur très grande majorité, fuient des conflits et/ou des régimes totalitaires. Il s’agit de personnes que l’on ne peut pas légalement renvoyer parce qu’un renvoi mettrait leur vie en danger.

Dès lors, les inclure dans les «rejets» ne reflète non seulement pas la réalité, mais alimente par ailleurs le discours bien à la mode des «faux réfugiés» qui, clairement, ne représentent qu’un minime pourcentage des demandeurs d’asile. En réalité, comme nous l’avons vu, les chiffres de 2015 montrent que lorsque la Suisse a examiné les motifs d’asile, elle a reconnu un besoin de protection (statut de réfugié ou admission provisoire) dans 79,2% des cas. Pour les trois premières nationalités de provenance – dans l’ordre Érythrée, Afghanistan et Syrie – ce taux atteint 95,6% pour les ressortissants érythréens, 92,2% pour les Afghans et 97,5% pour les Syriens.

[caption id="attachment_35754" align="aligncenter" width="1024"]Source: SEM Source: SEM[/caption]

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