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Notre regard

En savoir plus | Frontières physiques, linguistiques, mentales et sociales

Frontières physiques, linguistiques, mentales, sociales. Nous vous proposons ci-dessous des courts résumés de textes abordant la thématique des frontières. A lire ou à relire.


Le droit de migrer, un bien public mondial

Brève présentation de la conférence intitulée «Le droit de migrer, un droit de l’homme» donnée par Catherine Wihtol de Wenden, directrice de recherche au CNRS, spécialiste des migrations internationales et professeure à Sciences Po à Paris. Le texte intégral de cette conférence peut être consulté sur le site de Vivre Ensemble.

Après un rapide historique des circuits migratoires et de la gestion des frontières d’avant le XXIe siècle, l’auteure décrit la profonde transformation que connaît aujourd’hui la réalité migratoire à travers le monde. Chiffres à l’appui, elle procède à une déconstruction des idées toutes faites sur les déplacements des personnes migrantes. Seul est imaginé le mouvement du Sud vers le Nord, avec ses prétendus dangers d’invasion, alors que la très grande part des flux migratoires se passent du Sud au Sud, et que l’on observe aussi une nette augmentation des déplacements Nord-Nord et Nord-Sud. Une «mondialisation des migrations» qui de fait pose le problème des droits à la circulation à l’échelle planétaire.

Or, simultanément à cette réalité, s’établit de façon totalement contradictoire et perverse une «hiérarchie entre pays par rapport au droit à la migration».
La sociologue analyse ce paradoxe et ses dangers en montrant le développement croissant de différents types de frontières. Alors que les «barrières» sont beaucoup plus perméables dans les axes Sud-Sud et Nord-Sud, elles deviennent toujours plus sophistiquées quand il s’agit d’aller du Sud au Nord: frontières à distance (visas, hotspots,…), obstacles physiques presque infranchissables ou rendus comme tels (murs, grilles, traversées sans protection en mer), frontières intérieures dans les Etats d’immigration (zones d’attente, centres de rétention, centres de procédure isolés, discriminations,…)

Ces mesures de contrôle et de répression toujours plus nombreuses et violentes créent d’immenses inégalités dans les possibilités de se déplacer. Pourtant la mobilité des personnes fut de tout temps un facteur de développement humain, contribuant en particulier à atténuer les injustices à travers le monde. L’auteure s’attache à démontrer la chance que représentent ces mouvements de population. La migration doit être considérée comme un «bien public mondial» et doit être gérée en tant que tel.

DANIELLE OTHENIN-GIRARD


Réfugié, migrant, demandeur d’asile?

Derrière les mots, des contextes et des volontés politiques. Analyse historique. Crise des réfugiés, ou des politiques d’asile? Par Karen Akoka

Qu’est-ce qu’un réfugié? Comment le distinguer du migrant ou du demandeur d’asile? Comment ces notions ont-elles évolué au cours du XXe siècle? La sociologue Karen Akoka revient sur le travail institutionnel de distinction entre «bons» et «mauvais» réfugiés pour éclairer l’actuelle «crise» des migrants en Europe.

Exemples à l’appui, elle montre à quel point cette dichotomie, considérée comme acquise, est loin d’aller de soi. Akoka rappelle que la définition du réfugié a évolué à travers le temps au gré des priorités politiques, économiques et des bouleversements géopolitiques.

Au début des années 1920, le concept de réfugié était pensé collectivement : l’asile était accordé à des groupes de même nationalité, à l’instar des Russes fuyant l’URSS en proie à la guerre et à la famine. La définition telle qu’énoncée dans la Convention de Genève de 1951 tend à rompre avec cette reconnaissance collective en instituant la persécution individuelle comme seul critère de reconnaissance. Loin d’être neutre politiquement, ce critère a eu pour fonction, au plus fort de la guerre froide, de décrédibiliser le bloc communiste qui défendait l’idée d’une protection contre les inégalités économiques.

«La définition du réfugié comme persécuté telle que retenue dans la Convention de Genève […] confirme la hiérarchie propre au bloc occidental qui place les droits civiques au-dessus des droits socio-économiques; les droits individuels au-dessus des droits collectifs, et les violences politiques au-dessus des violences économiques», explique Akoka.

Mais l’enjeu n’est pas seulement dans les définitions. Il réside aussi dans l’interprétation des textes et l’application des catégories, souligne la chercheuse. Hongrois, Boat people indochinois, Zaïrois, Yougoslaves. A chaque contexte politique et économique répond une lecture différente de qui est réfugié et a droit à une protection. La majorité des Hongrois d’hier n’aurait pas passé le filtre des critères contemporains. Depuis la fin des années 1980, on assiste au passage à une interprétation rigide du réfugié.

Akoka explique que ce développement, dont la conséquence a été l’augmentation des taux de rejet, est lié à une construction du mythe du « faux réfugié » fuyant la misère économique, dans un contexte où la question de l’immigration a été instituée en tant que problème public.

ALEXIS THIRY

Référence: Karen Akoka, « Crise des réfugiés, ou des politiques d’asile?« , La Vie des idées, 31 mai 2016.


Qu’est-ce qu’une frontière? Par Etienne Balibar 

Qu’est-ce qu’une frontière? C’est à cette question que le philosophe Etienne Balibar tente de répondre, dans un texte publié il y a 20 ans, mais toujours pertinent.

craintedesmasses_balibarBalibar affirme qu’il est complexe, sinon impossible, de définir les contours du concept de frontière. Loin d’être un frein, l’absence de définition claire et universellement admise permet de mieux saisir la complexité du monde instable dans lequel nous vivons. Il propose d’appréhender les ambigüités du concept en prenant compte de quatre caractéristiques propres aux frontières: surdétermination, polysémie, hétérogénéité et ubiquité. Une frontière politique n’est jamais qu’une simple ligne entre deux Etats. Les démarcations géopolitiques, telles qu’elles ont pu se manifester à l’époque coloniale et durant la guerre froide, participent d’un processus de détermination multiple. Par ailleurs, les frontières n’existent pas de la même manière pour des individus appartenant à des groupes sociaux différents. Pour un ressortissant aisé du Nord, la frontière n’est qu’une formalité d’embarquement qui se franchit au pas de course, alors que pour un migrant du Sud, la frontière est perçue et vécue comme un lieu quasi infranchissable où l’on revient sans cesse et que l’on passe au gré des expulsions. Balibar parle ici d’un double régime de circulation, qualifié d’apartheid mondial, remplissant des fonctions de discrimination et de tri. Enfin, la frontière remplit des fonctions de démarcation et de territorialisation. Certaines d’entre elles «ne sont ainsi plus situées aux frontières géographico-politico-administratives, mais partout où s’exercent des contrôles effectifs». Balibar conclut son propos en suggérant un contrôle démocratique de la frontière afin d’en faire un espace de rencontre où se développent des intérêts et un langage communs entre les peuples.

ALEXIS THIRY

Référence: Étienne Balibar, « Qu’est-ce qu’une frontière? », in E. Balibar (dir.), La crainte des masses. Politiques et philosophie avant et après Marx, Paris, Galilée, 1996.