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Notre regard

Éditorial | Considérer ces enfants comme les nôtres

Il y a un peu plus d’un an, une photo a déclenché un haut-le-cœur chez un nombre incalculable de personnes. L’image d’un enfant comme endormi. Un enfant qui n’avait rien demandé à personne. Transbahuté et échoué sur les rives de la Méditerranée. Victime des frontières et de l’indifférence, d’être né là-bas plutôt qu’ici.

En 2015, sur près de 40’000 demandes de protection déposées en Suisse, 10’000 émanaient de mineurs. Certains sont nés ici ou sont venus rejoindre un proche, parfois après une longue attente dans le pays d’origine, ou dans un camp de réfugiés. D’autres ont suivi leurs parents dans un long périple, fait de dangers et d’incertitude. Et un quart de ces mineurs sont des enfants « séparés », arrivés en Suisse sans famille.

«Je ne sais pas comment je suis arrivé en Suisse» (1.)

Ils sont là. Parfois pour quelques mois. Souvent pour la vie. Ils sont là, et comme le petit Aylan, ils n’ont pas eu leur mot à dire sur les a aires du monde, sur leur situation familiale, sur le lieu dans lequel ils vont vivre, grandir, apprendre, aimer, travailler.

Aujourd’hui, les signaux d’alarme se multiplient. Des milieux médicaux et scolaires, en première ligne pour recevoir les symptômes des défaillances du système de prise en charge des enfants réfugiés (2.). Les sept tentatives de suicide d’adolescents, dans le canton de Vaud pourtant cité en exemple jusqu’à peu, témoignent de l’urgence de prendre des mesures.

«Entendons-nous ces cris?», s’insurge une journaliste de 24 heures dans un éditorial appelant la société, le monde politique, à «considérer ces jeunes comme les nôtres» et à adapter les moyens à leurs besoins d’enfants. Une référence directe au taux d’encadrement des mineurs non accompagnés, ridiculement bas par rapport aux enfants suisses vulnérables (3.).

Qui, de l’enfant ou de l’Etat, est responsable de la situation administrative, sociale ou économique de ces jeunes?

2017 marquera les 20 ans de la ratification par la Suisse de la Convention des droits de l’enfant. Une Convention qui prescrit à l’Etat de considérer leur intérêt comme primordial, qu’ils soient suisses ou étrangers, avec ou sans leurs parents, avec ou sans statut légal, réfugié-e-s ou débouté-e-s de l’asile. Elle induit des devoirs envers ces jeunes. Des obligations que nous ne saurions nier à nos propres enfants, sous peine de passer pour des maltraitants.

S’intéresser à la façon dont on traite les enfants réfugiés, accompagnés ou non, c’est prendre conscience d’une dérive grave de notre société. L’étiquette du «migrant» ou du «demandeur d’asile» a effacé leurs visages, pour mieux faire accepter leur exclusion. Réhumaniser ces enfants, adolescents, adultes en devenir est un premier pas vers le refus de cette exclusion. C’est, plus largement, le refus d’une société à deux vitesses, terreau du populisme et de tous les radicalismes.

Un engagement qui nous concerne toutes et tous. Aujourd’hui, pour demain.

SOPHIE MALKA

  1. Arton, 12 ans, parti d’Albanie et arrivé en Suisse à l’âge de 6 ans, extrait de l’excellent « Manuel de prise en charge des enfants séparés en Suisse » publié par le Service social international en 2016.
  2. Société suisse de psychiatrie chez l’enfant et l’adolescent, «Soigner les traumatismes psychiques, surtout chez les réfugiés mineurs», 2 novembre 2016.
  3. Stéphanie Arboit, «Etre bon élève ne suffit pas», 24 heures, 11 novembre 2016.