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Notre regard

Dublin | Contestation de l’âge: méthodes contestées

A l’heure où le Règlement de Dublin permet à la Suisse des renvois à tour de bras vers les pays d’entrée dans l’Union européenne (1), la détermination de la minorité des requérants d’asile est devenue un enjeu plus crucial que jamais. L’allégation de minorité constitue en effet un des derniers grains de sable susceptible d’enrayer les rouages implacables de ce règlement. Son article 8 dicte aux Etats membres de les rapprocher des adultes susceptibles de les prendre en charge dans l’Etat où ceux-ci résident, en dépit de la responsabilité constatée d’un autre Etat. Ou encore de les admettre dans le pays où ils manifestent expressément leur volonté de demander l’asile, même s’ils sont passés auparavant dans un autre Etat.

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Source: OpenStax

Face à cette obligation, les autorités suisses ont tout intérêt, pour prononcer un renvoi, à retenir un âge adulte. Même lorsque le demandeur se déclare mineur. La bonne foi leur interdit d’en faire ainsi en présence d’enfants manifestement jeunes. Mais lorsqu’ils approchent de l’âge adulte, présentent un comportement ou un faciès plus mûr à force de débrouillardise sur les routes de l’exil et qu’ils ne disposent pas de moyens fiables attestant leur âge, le doute est systématiquement retenu contre eux, contrairement aux recommandations internationales. La jurisprudence en la matière donne le ton, puisque le Tribunal administratif fédéral retient qu’il incombe au mineur de prouver sa minorité. En l’absence de preuve, il sera donc considéré comme majeur pour sa procédure d’asile.

Des preuves impossibles…

Or, un demandeur d’asile mineur est souvent dépourvu de documents d’identité susceptibles d’établir son âge. Parce que ceux-ci ne sont pas délivrés avant 18 ans dans son pays ou qu’il est né dans un pays de transit où sa famille vivait déjà dans l’illégalité sans pouvoir enregistrer sa naissance. Ou encore parce que ses papiers ont été détruits en mer, durant la guerre ou dans d’autres circonstances propres au périlleux voyage qui l’aura conduit en Suisse.

Et lorsqu’il peut miraculeusement produire un tel document, l’authenticité de celui-ci est souvent mise en cause, sans autre forme de procès. Dans le doute quasi-systématique qui anime la pratique du Secrétariat d’Etat aux migrations (SEM) à l’égard de cette catégorie de jeunes, celui-ci applique le principe dit du « faisceau d’indices sérieux » pour apprécier la vraisemblance de la minorité du requérant.
Elle inclut, à des degrés de preuve variables, l’appréciation des déclarations du demandeur, celle des raisons de l’absence de documents d’identité, de l’apparence physique et s’appuie sur des expertises osseuses des mains, largement pratiquées.

… ou contestées

Une méthode de détermination de l’âge pourtant très approximative selon le monde médical  (2), puisque les échelles comparatives utilisées pour expertiser l’ossature de la main d’enfants d’origine étrangère ont été élaborées sur la base d’une population essentiellement caucasienne, ouvrant la voie à l’erreur.

C’est pourquoi de nombreuses instances internationales, à l’instar du Haut Commissariat aux réfugiés (HCR), de l’ONU ou encore du Conseil de l’Europe recommandent d’en abandonner l’usage. Lorsque l’enfant approche de sa majorité, la marge d’erreur, de l’ordre de 3 ans, est effectivement grande. C’est pourtant sur la base de ces examens que le SEM tranche et renvoie de probables mineurs sur les routes, sans encadrement, sans recensement et sans protection.

MARIE-CLAIRE KUNZ

(1)  Le Règlement Dublin prévoit que le premier pays d’entrée de l’espace Schengen est responsable du traitement de la demande d’asile.

(2) Position des Sociétés suisses de radiologie pédiatrique (SSRP) et d’endocrinologie et diabétologie pédiatriques (SSEDP), « L’âge osseux ne permet pas de déterminer l’âge des jeunes requérants d’asile », in Paediatrica, vol. 27, n.3, 2016.

Amin* est un jeune afghan arrivé en Suisse après avoir transité par la Grèce et par la Hongrie avant de déposer sa demande d’asile en février 2015. Dans ces deux pays, de même qu’en Suisse, il déclare être né en 1999. Il dépose sa carte d’identité (tazkira), qui confirme ses 16 ans. Le Secrétariat d’Etat aux migrations (SEM) procède pourtant à une expertise osseuse de la main qui conclut à un âge osseux de 19 ans. Sur la base de celle-ci, le SEM rend en avril 2015 une décision de non-entrée en matière Dublin et prononce son renvoi en Hongrie. Un pays vers lequel de nombreux autres pays européens ont suspendu les renvois.

Dans sa décision, le SEM se fonde sur l’expertise osseuse, écartant d’emblée la valeur probante du document d’identité déposé par Amin contre lequel il retient une présomption générale de falsification, sans l’expertiser. Pour le SEM, ce type de document serait en effet « aisément accessible contre rémunération dans le pays d’origine ou sur les marchés pakistanais ». Le SEM lui reproche finalement de présenter « clairement la physionomie d’une personne majeure ». Son visage est effectivement marqué et parsemé de petites cicatrices : Amin a travaillé dès l’âge de 7 ans comme soudeur en Iran, sans aucune protection, exposé à la chaleur directe et aux éclats de métaux.

Son recours contre cette décision est toujours pendant auprès du Tribunal administratif fédéral. Amin atteindra sa majorité en janvier 2017. Si sa minorité au moment du dépôt de sa demande est finalement reconnue, il pourra poursuivre sa procédure d’asile en Suisse, sans être renvoyé en Hongrie. Il n’aura cependant bénéficié à aucun moment des garanties procédurales prévues pour les mineurs et de son droit à l’éducation durant ces deux années passées comme prétendu majeur en Suisse.

*prénom fictif

MCK

Adulte et enfant? Entre conséquences juridiques, représentations symboliques et réalités.

Le 9 novembre 2016, l’EPER et le CHUV organisaient un symposium interdisciplinaire sur la détermination de l’âge des mineurs non accompagnés (MNA). Entre incertitude scientifique et besoin judiciaire de détermination, les intervenants ont esquissé une voie médiane, respectueuse des droits de l’enfant.

Premier pavé sur la route : la procédure d’asile elle-même, où la parole de l’enfant, prise en compte pour la détermination de son âge, doit être adéquatement recueillie, par un personnel formé et à l’aide de méthodes pluridisciplinaires adaptées à son degré de développement. Une créativité juridique encouragée par la Convention relative aux droits de l’enfant, mais qui fait encore cruellement défaut en Suisse, constate Julie André, avocate spécialiste de ce domaine.

Une créativité cependant indispensable face à la subtile complexité de ces enfants qui se laissent difficilement catégoriser. Jean-Claude Métraux, pédopsychiatre, le rappelle : les MNA refusent souvent eux-mêmes leur relégation au monde de l’enfance, synonyme d’une vulnérabilité menaçante qu’ils ont appris à dissimuler derrière une maturité surdéveloppée et perçue comme vitale. Mais lorsqu’ils recherchent protection auprès des autorités, elle se retourne soudainement contre eux, faute de pouvoir rentrer dans les cases toutes faites que leur réserve la procédure d’asile : adulte ou enfant ?

Car même dans le doute, le juge devra trancher entre les deux pour déterminer quelles seront les règles juridiques applicables, souligne Mathieu Corbaz, assistant diplômé en droit. Les méthodes scientifiques existantes ne lui seront que d’un maigre secours pour ce faire, puisque, pour Sarah Depallens, pédiatre au CHUV, à partir de 14 ans, aucune d’elles ne permet de différencier catégoriquement un adolescent d’un jeune adulte.

Un inconfort qui se ressent jusque dans les décisions du Tribunal administratif fédéral, dont la pratique oscille avec pour seule constante que le doute dessert le demandeur. Une règle que proposent précisément d’inverser les intervenants, invitant les autorités à abandonner des pratiques médicales discutables au profit d’une approche pluridisciplinaire de la détermination de l’âge.

MCK