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Aldo Brina | La politique d’asile suisse ou le verre à moitié plein

Notre politique d’asile n’a pas bonne image: un truc cassé, qui ne marche plus, inhumaine pour les uns, laxiste pour les autres, déplore Aldo Brina, du Centre social protestant.

Opinion de Aldo Brina, chargé d’information sur l’asile au Centre social protestant, publiée dans Le Temps, le 26 janvier 2017. Cliquez ici pour lire le texte d’Aldo Brina sur le site du Temps.

Le débat sur l’asile est si chaud, qu’à l’image d’un mirage au-dessus du désert, sa réalité se tord dans tous les sens: les ONG dévoilent des situations qui vous dressent les cheveux sur la tête; l’extrême droite joue sa partition de la menace d’une invasion mélangeant pêle-mêle réfugiés, travailleurs européens, personnes établies en Suisse depuis trois générations et femmes en burqa; la droite, le centre… et bientôt tout le spectre politique, à l’exception de quelques irréductibles, exige, pour ne pas laisser trop de parts de marché à l’UDC, de nouveaux durcissements législatifs. Dans ce vaudeville désormais bien connu, notre politique d’asile n’a pas bonne image: un truc cassé, qui ne marche plus, inhumaine pour les uns, laxiste pour les autres.

Notre représentation des réfugiés est biaisée

Pourtant, pendant ce temps, un miracle se produit, loin du débat et de son tumulte. Statistiquement d’abord: nous avons tenté de produire un chiffre que nous n’avions trouvé nulle part, et sommes allés fouiller dans les archives du Centre social protestant pour éplucher les statistiques aussi loin qu’elles remontaient. Résultat: de 1968 au 30 novembre 2016, la Suisse aurait accordé une protection (asile ou admission provisoire) à quelque 293’061 personnes. Nous passerions la barre des 300’000 en 2017.

Si ce chiffre peut surprendre par son ampleur – mais alors où sont tous ces gens? –, c’est que notre représentation des réfugiés est généralement biaisée: par les peurs et les préjugés d’une part, mais d’autre part aussi par la focale de l’actualité, réglée sur les demandeurs d’asile les plus fraîchement arrivés. Ceux-ci, bien malgré eux, monopolisent l’attention, au point qu’on oublie facilement que des centaines de milliers de réfugiés sont arrivés avant eux et que ceux-là, et encore moins leurs enfants, ne se distinguent plus vraiment du reste de la population.

Notre pays a une grande capacité d’intégration

Si nous prenions davantage le temps de nous intéresser à ces strates plus anciennes de populations réfugiées, nous pourrions tirer une grande confiance dans la capacité d’intégration de notre pays. Parce que l’immense majorité des 300’000 personnes protégées a disparu de nos écrans radars, mis à part quelques Valon Behrami, Antonio Hodgers, ou encore Jakob Hlasek, qui rappellent parfois haut et fort – et on ne les remerciera jamais assez – qu’ils ont fait un jour partie de ces réfugiés qui n’ont pas toujours bonne presse.

La politique d’asile suisse a donc sauvé des centaines de milliers de vies en quelques décennies seulement, mais la plupart de ces existences se sont fondues dans le décor au point que le miracle est devenu banal. Devant le phénomène d’une population mettant en œuvre une politique, et donc un effort collectif, permettant à autant d’individus d’échapper à des persécutions ou à des dangers imminents, il y aurait pourtant de quoi se réjouir, voire de quoi être fiers.

«Une fois que les demandeurs d’asile sont là, il faut les protéger»

Et cette fierté, d’ailleurs, devrait transcender les clivages politiques habituels. Le 1er janvier dernier, la «NZZ am Sonntag» a publié un reportage sur Riggisberg, un village de la campagne bernoise. L’UDC y a obtenu 55% des suffrages aux élections nationales de 2015. Malgré ce soutien massif au parti le plus critique sur l’asile, un fort groupe de villageois bénévoles s’est constitué pour soutenir les réfugiés, en organisant des points de rencontre, en proposant des cours, en faisant des pieds et des mains pour que «leurs» réfugiés trouvent du travail. Le président de la commune, UDC lui aussi, déclare: «Pour la politique d’asile je représente une ligne clairement UDC». Avant de préciser: «Une fois que les demandeurs d’asile sont là, il faut les protéger.»

Si beaucoup de Suisses redoutent les abus, ou que leur pays change avec l’arrivée d’immigrants, il existe aussi, au cœur de nos identités suisses, un pragmatisme pour l’accueil – qui comme toute chose «Swiss made» doit être bien conçu – doublé d’une générosité pudique. Voire une affinité historique, si on pense au contexte d’émergence de la Suisse, avec les petites gens persécutées par les dictateurs et menacées par les jeux de pouvoir des grandes puissances.

Le droit d’asile, un droit dont nous sommes fiers

En 1848, le général Dufour déclarait: «Nous avons donc le droit de donner asile à des réfugiés étrangers, c’est un droit dont nous sommes fiers. Nous le considérons comme un devoir vis-à-vis du malheur. Mais à une condition: que le réfugié se soumette à nos lois, qu’il n’entreprenne rien qui mette en danger notre sécurité intérieure et extérieure.» (Citation de Bernard Lescaze, dans «Dufour et les réfugiés politiques».

A-t-on vraiment inventé quelque chose depuis? Nous ferions bien, parfois, de nous rappeler ces traits identitaires, parce qu’ils nous rendent dignes et qu’ils redonnent du sens à une politique d’asile débattue avec tellement de fougue sur la forme qu’on en perd de vue le fond.