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Notre regard

Le Courrier | Genève: Un centre de renvoi voisin de la piste

Les autorités veulent construire un centre pour requérants déboutés à quelques mètres de l’aéroport. Et s’arrangent avec les normes contre le bruit.

Article de Eric Lecoultre, publié dans Le Courrier, le 6 mars 2017. Cliquez ici pour lire l’article sur le site du Courrier.

Les requérants d’asile déboutés seront prochainement logés dans un nouveau centre en attendant leur renvoi. Avec des voisins pour le moins bruyants: les avions de ligne de l’aéroport international de Genève. Lors de sa dernière session, le Grand Conseil genevois a avalisé le crédit d’investissement ainsi que le déclassement de cette zone, située à seulement quelques mètres de la piste de décollage. La gauche dénonce des conditions d’hébergement indignes.

Ce projet de centre de détention administrative de cinquante places s’inscrit dans un paquet comprenant également des locaux pour la police internationale, le centre de coopération policière et douanière franco-suisse ainsi qu’une zone industrielle. Précisons que les personnes logées dans ce lieu ne seraient pas libre d’en sortir.

Valeurs dépassées

Pour franchir toutes les étapes législatives, ce projet bénéficierait d’un régime d’autorisation plutôt complexe. Pas question évidemment de construire du logement dans une zone aussi exposée au bruit. Ce centre de renvoi répondra aux normes de bruit relatives à l’hôtellerie, pour des séjours de courte durée, qui tolèrent 5 décibels de plus. Des mesures drastiques d’isolation phonique devront en plus être prises lors de la construction du bâtiment, à savoir des fenêtres qui ne s’ouvrent pas et un système de ventilation pour permettre à l’air de circuler. Or même avec ce dispositif, les valeurs admises seraient dépassées entre 22 et 23 heures. Une dérogation devrait être obtenue. Enfin, le Service cantonal de protection contre le bruit fonde son évaluation du projet sur des mesures datant de 2009, alors que l’activité de l’aéroport a augmenté depuis et que le bruit a suivi cette tendance.

«Un bocal hermétique»

Devant le Grand Conseil, la députée socialiste Caroline Marti a dénoncé cette situation, au nom de la minorité de gauche. Elle critique la notion floue de «séjour de courte durée», alors que les requérants déboutés peuvent être placés jusqu’à 140 jours dans un tel centre, en attendant leur renvoi. La moyenne est de six semaines.

«Cumulées, les entorses au règlement aboutissent à créer des conditions d’hébergement indignes, estime-t-elle. Des migrants seront placés dans un bocal hermétique à respirer un air artificiel, tout en subissant le bruit des avions.»

Pour la majorité de droite qui a accepté le projet, cette situation ne pose pas de problème. Elle relève les avantages pratiques d’un centre à proximité de l’aéroport, alors que les renvois sont effectués par avion. «Les séjours dans ce centre ne dureront pas des années, tempère Christophe Aumeunier, député PLR. Les conditions seront supportables. Surtout que les avions produisent moins de bruit avec les années.»

Face à la création de ces nouvelles places de détention administrative, la gauche fustige par ailleurs la volonté du Conseil d’Etat de faire de Genève un pôle romand spécialisé dans le renvoi des étrangers. Ce lieu devrait remplacer un autre centre de trente places, interne à l’aéroport, accueillant les requérants d’asile qui n’ont pas l’autorisation de pénétrer sur le territoire suisse. «Ces conditions d’hébergement ne sont ni fonctionnelles ni conformes», précise Nathalie Riem, chargée de communication au Département de la sécurité et de l’économie.

Les besoins des cantons romands

Le dispositif genevois compte également 40 places disponibles dans les centres de Frambois et Favra. A terme, le gouvernement souhaite affecter les cent places de la prison de la Brenaz à la détention administrative. Ce développement répondra «aux besoins du canton de Genève ainsi qu’à ceux des autres cantons romands sur la base d’une évaluation quantitative prudente du Secrétariat d’Etat au migrations», ajoute Nathalie Riem.

«Ce dossier semble davantage piloté par une recherche de ‘pole position’ en matière de détention administrative que par des besoins pragmatiques en la matière», regrette Lydia Schneider Hausser, députée PS. «Cette évolution est inquiétante, estime Léonard Micheli, de l’association elisa-asile. Genève se positionne de plus en plus comme une ville d’expulsion plutôt que d’accueil.» En 2014, l’association s’était opposée à la création du centre interne à l’aéroport car il isolait les requérants d’asile de la zone de transit où ils pouvaient se déplacer. Faute de connaissances suffisantes sur le futur projet, les associations pro-asile ne peuvent pas indiquer si elles lanceront une procédure d’opposition au projet actuel.