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Notre regard

Le Courrier | Dans la peau d’un migrant

Des élèves genevois ont participé à un atelier un peu spécial. Au programme: réflexion sur les valeurs qui devraient fonder l’asile et jeux de rôles entre requérants et douaniers.

Reportage de Christiane Pasteur, publié le 6 mars 2017 dans le Courrier. Cliquez ici pour lire l’article sur le site du Courrier.

Ils sont élèves de troisième année, option philo, à l’Ecole de culture générale Jean-Piaget, à Genève. Tour à tour, leurs classes participaient il y a quinze jours à un atelier autour du thème de l’éthique de la migration. Le succès est au rendez-vous malgré qu’il s’agisse d’un sujet sensible dans le contexte politique actuel. Les étudiants ont ainsi le loisir de réfléchir aux valeurs qui fondent, ou plutôt qui devraient – dans un monde idéal –, fonder notre société. Mais aussi de changer de perspective en jouant le rôle d’un migrant ou d’un douanier.

«Ici, nous n’attaquons personne, nous échangeons sur des idées», annonce d’emblée Arnaud Dubois, animateur de l’atelier qu’il a imaginé avec Johan Rochel, par ailleurs vice-président de Foraus (1). Devant nous, deux murs composés de cartons forment l’arène dans laquelle s’apprêtent à débattre, ce matin-là, une quarantaine d’élèves.

[caption id="attachment_38446" align="aligncenter" width="1024"] Photo: Cristina Del Biaggio[/caption]

Viser la société idéale

Rapidement, ils sont répartis en quatre groupes. Deux d’entre eux se mettent dans la peau de migrants et réfléchissent aux critères qui leur permettraient d’obtenir l’asile. «Maladie», «famille», «guerre», «persécution», «famine», notent les élèves, appliqués, sur des post-it de couleur. «Faut faire chialer», glisse un jeune homme. «L’esclavage? C’est fini ça», affirme un autre. Outre la notion de danger, apparaît celle de liberté, en particulier la liberté de se déplacer pour motifs économiques ou politiques: «études», «emploi», «crise financière»… ou «Trump»! Avec des avis partagés, il est vrai.

«On vise la société idéale, sans se baser sur les lois et procédures qui régissent l’asile en Suisse», rappelle Arnaud Dubois. L’objectif affiché est de stimuler le débat et la conscience citoyenne. Pendant ce temps, les élèves des deux autres groupes se glissent dans le costume des douaniers et listent les critères justes, selon eux, leur permettant, ou pas, d’accepter un réfugié. «Mineurs», «études», «climat», «santé», «guerre», «casier judiciaire»,… La question de la crédibilité est abordée. Comment savoir si quelqu’un dit la vérité, s’interroge une élève. L’excision, un juste motif ou pas, continue sa voisine. Et le viol? Et les gens seuls? Et les familles, jusqu’à combien de personnes? C’est quoi trop nombreux? Et les riches, on les accepte?

La barrière s’ouvre facilement

Le débat est passionnant, les élèves inspirés. Cet atelier traverse toute la Suisse et compte quatre villes étapes en Suisse romande (2). Après chaque exercice, les bonnes idées qui émergent sont transmises aux autorités concernées. Avec quelques spécificités. «A Neuchâtel comme à Genève, je précise d’emblée que nous ne parlerons pas des frontaliers…», précise Arnaud Dubois. «Je constate que les jeunes sont en général assez ouverts aux questions d’asile. A Neuchâtel, par exemple, le droit de vote des étrangers est une évidence, alors que ce n’est pas du tout le cas en Valais.»

Puis vient le moment des jeux de rôle. De chaque côté d’une barrière, un migrant, ici Tanguy, plaide sa cause devant une douanière, Flora. Les autres écoutent. Et commentent. Tanguy a tout perdu dans un tremblement de terre. «Pourquoi ne pas reconstruire ta vie dans ton pays?», interroge Flora. Avant de soulever la barrière sous l’œil dubitatif d’Arnaud Dubois: «Les critères que vous avez précédemment établis doivent vous servir car on ne peut accueillir tout le monde.»

Pourquoi ici et pas ailleurs?

Deuxième exercice avec Cannelle, habitante de Tuvalu demandant l’asile à l’Australie. Le danger est certes irréversible. Mais pourquoi demander refuge ici et pas ailleurs? «Si tout le monde répond cela personne n’accueille», réagissent les élèves. Enfin Stéphane devient un rebelle syrien au casier judiciaire chargé. «Pour régler ce genre de cas, on opte souvent pour la prison, car le renvoyer chez lui équivaudrait à le laisser mourir», explique M. Dubois, revenant dans le réel.

Il termine l’atelier en distribuant à chacun une carte d’identité fictive et évoque le philosophe John Rawls et sa théorie du voile d’ignorance: si on ignorait quelle est notre situation dans la société, on protégerait les plus défavorisés de peur d’être à leur place. «Nous prendrions la décision la plus juste si nous ne savions pas qui nous étions.» Une façon délicate de poursuivre encore un peu la réflexion.


Notes:

(1) Forum de politique étrangère, un think tank suisse visant à promouvoir une politique étrangère cons-tructive et innovante.

(2) www.atelierethique.ch