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Domaine public | Criminalité des étrangers: des personnes au-delà des statistiques

La statistique fait réfléchir, mais les réponses sont ailleurs.

Article de Jacques Guyaz, publié sur le site Domaine Public, le 9 avril 2017. Cliquez ici pour lire l’article sur le site Domaine Public.

Les statistiques sur la criminalité constituent une matière difficile à présenter et à interpréter. Les chiffres peuvent faire l’objet de toutes les manipulations, surtout ceux qui concernent les étrangers, toujours mis en avant par les populistes pour dénoncer une trop forte présence des immigrés. En fait, comme le professeur André Kuhn l’a montré, une fois corrigée de tous les biais statistiques la criminalité des Suisses et des étrangers est proche.

[caption id="attachment_38893" align="alignright" width="209"] Statistique policière de la criminalité (SPC). Rapport annuel Vaud 2016[/caption]

Le canton de Vaud a publié des chiffres plutôt rassurants avec une baisse de 6% des délits pour 2016 par rapport à 2015. La liste des prévenus par nationalité est particulièrement intéressante à décortiquer. Si l’on s’en tient aux infractions à la loi sur les stupéfiants, à la page 29 de la statistique policière sur la criminalité, on observe que plus de 44% des prévenus sont de nationalité suisse. Les ressortissants des pays d’Afrique noire constituent environ 15% des auteurs d’infraction. On est très loin de l’omniprésence des Africains dans le monde de la drogue telle que le voudrait l’opinion dominante, même si la nationalité n’est pas indiquée pour environ 6% des prévenus. Et les cinq premiers pays représentés en dehors de la Suisse sont dans l’ordre: la France, le Nigeria, le Portugal, l’Italie et la Gambie.

Un nombre important de Français, 186, n’appartiennent pas à la population résidente. Faut-il en déduire qu’ils ont franchi la frontière pour écouler des stupéfiants? Ou l’explication est-elle différente? Des questions qui méritent d’être posées pour mieux appréhender le phénomène de la drogue.

La Gambie est un pays minuscule, une ancienne colonie anglaise de moins de 2 millions d’habitants, enclavé dans le Sénégal. Sa population vient de se débarrasser d’un dictateur. Qu’est-ce qui a pu amener plus d’une centaine de Gambiens dans le canton de Vaud pour s’y livrer au trafic de drogue? Des réseaux familiaux ou claniques? Une filière «commerciale»? En tout état de cause, la majorité d’entre eux, 92, n’apparaissent pas dans la catégorie des demandeurs d’asile.

La situation des Nigérians s’avère également singulière. Sur les 274 individus recensés par la statistique, 250 n’ont aucun titre de séjour ou ne sont plus dans les procédures de l’asile. Le Nigeria n’est pas un vague pays de «l’Afrique de l’Ouest». C’est la nation la plus peuplée du continent africain, avec d’immenses richesses pétrolières. Ses ressortissants suscitent une espèce de phobie dans d’autres pays du continent noir, en particulier en Afrique du Sud où ils subissent de véritables pogroms. Le Nord du Nigeria est ravagé par la guerre provoquée par Boko Haram et le Sud-Est en proie à tous les trafics alimentés par l’exploitation du pétrole –  sans compter l’opposition entre le Nord musulman et le Sud plutôt chrétien. Ces délinquants du Nigeria ne viennent sans doute pas de n’importe quelle région de leur grand pays. Les réseaux qu’ils utilisent pour arriver en Europe sont sans doute enracinés dans des situations régionales singulières.

L’intérêt des chiffres si on les interroge, même sans être un expert, tient à la mise en évidence d’une grande diversité de situations. Il en va sans doute de même dans les autres cantons suisses, outre le fait que nous n’avons pour l’heure regardé que le cas des infractions à la loi sur les stupéfiants.

Il n’y a pas d’histoire commune entre tous les prévenus recensés. «L’Afrique de l’Ouest», «les Balkans», ce ne sont que des mots sans valeur explicative. Il n’y a que des situations politiques infiniment diverses qui sont à la racine d’exodes dont la délinquance est parfois l’une des conséquences. Or la réflexion sur les circonstances politiques à l’origine de la présence de ces prévenus fait gravement défaut.

Il est trop facile d’évoquer vaguement  la misère ou la guerre, comme s’il s’agissait de catastrophes naturelles. En s’interrogeant sur le contexte parfois complexe qui a provoqué la migration, puis la délinquance, on se donne les moyens de comprendre, d’analyser et donc de combattre les causes profondes de cette situation.