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Notre regard

Le Courrier | Une Romande dans la Jungle de Calais

Etudiante en sociologie à l’université de Genève, Mahaud Faas se rend régulièrement à Calais pour venir en aide aux migrants. Une expérience qui l’a transformée.

Article de Christiane Pasteur, publié le 5 mai 2017 dans Le Courrier. Cliquez ici pour lire l’article sur le site du Courrier.

Elle porte un prénom médiéval rare, Mahaud. A prononcer Mao, comme le dirigeant chinois avec qui elle partage un point commun: une détermination sans faille. A 22 ans, cette Mahaud-là dégage une incroyable maturité, sans rien cacher de ses doutes par ailleurs. Elle a passé deux mois et demi dans la Jungle de Calais, en France, l’été dernier. Bénévole pour une association distribuant du matériel de base aux migrants.

«Cette expérience m’a transformée. Elle m’a permis de confirmer ce que je voulais faire de ma vie. Même si ce fut très dur, je me suis rarement autant sentie à ma place», explique sans détour Mahaud Faas.

Premier engagement à 16 ans

Son engagement a débuté auprès de la Croix-Rouge genevoise Jeunesse. Tous les mercredis, celle qui est alors étudiante au collège André-Chavanne offre quelques heures de son temps à de jeunes requérants d’asile logés dans des foyers gérés par l’Hospice général. Bricolages, patinage, théâtre, cinéma… «L’objectif était de leur offrir les mêmes activités qu’aux autres mômes de leur âge, malgré ce qu’ils avaient vécu, les difficultés de leurs parents, les problèmes de langue.»

Mahaud s’attache en particulier à l’aînée d’une fratrie venue d’Alep en Syrie. «Elle avait 8 ans, était magnifique, faisait des progrès fulgurants en français. Et un jour, elle me dit, affichant un immense sourire, que sa maison avait été détruite par… une fusée!» Une fusée, forcément, ça avait quelque chose de magique. La Genevoise prend sur elle. Mais s’effondre en larmes une fois chez elle.

«Pourquoi avait-elle vécu tout ça, alors que moi j’avais été une petite fille qui avait eu tous les droits: droit à l’opulence, aux amis, aux cadeaux de Noël, aux gâteaux d’anniversaire…» Ce sentiment qui l’affecte alors, mêlé d’injustice et d’étrangeté, est douloureux, mais supportable. Elle le vivra avec bien plus d’acuité quelques années plus tard en arrivant à Calais.

Sa matu en poche, Mahaud entend mettre à profit les trois mois de vacances qu’offre à ses étudiants la Faculté de sociologie de l’université de Genève. Mais pour faire quoi? Sa grande sœur lui souffle l’idée: «Va à Calais, tu en parles tout le temps!» La Jungle: des camps de réfugiés, non loin de l’entrée du tunnel sous la Manche, qui ont abrité jusqu’à douze mille migrants avant son démantèlement, en octobre 2016.

Mahaud prend contact avec plusieurs associations. L’une d’elles, Salam, créée au lendemain de la fermeture du centre de la Croix-Rouge de Sangatte fin 2002, lui répond favorablement. Auprès de son entourage, son projet suscite tantôt l’admiration tantôt le scepticisme. Et le soutien inconditionnel, mêlé d’inquiétude, de son père, sa sœur et son frère.

Soudain, plus de zone tampon

Juin 2016. La voici qui débarque dans la Jungle. «J’ai été projetée dedans. Soudain, il n’y avait plus de zone tampon. Surtout, je ne m’attendais pas à une telle intensité dans la violence. Là-bas, toutes les situations sont difficiles. Toutes les personnes rencontrées ont une histoire longue et douloureuse, avant, pendant, après.

Elles fuient la guerre, les persécutions, la famine. Elles ont traversé des montagnes à pied, connu des naufrages, la traite d’êtres humains, l’exploitation en Libye, ont vendu leur corps pour payer un passeur, etc. La Jungle en est la continuité. Il n’y a pas de répit.»

Le choc sera si fort que Mahaud se coupe totalement de son environnement. «Quand le soir je rentrais dans la chambre que je louais à Calais, je n’avais qu’une envie: me laver, manger et dormir. Sur le moment, je n’ai pas compris. Rétrospectivement, je pense que c’était une façon de me protéger, pour ne pas avoir l’impression de vivre une double vie. A côté d’un mineur soudanais à l’œil crevé qui a vu sa mère être violée, la vie genevoise me paraissait vide.»

Invitée à boire le thé sous tente

Tous les après-midi, Mahaud distribue du matériel de base – rasoirs, shampoing, couches, bougies, vêtements, etc. – aux réfugiés qui font la queue, parfois depuis des heures, sous le soleil ou la pluie. «Les journées étaient harassantes. Les gens se bousculaient. Il arrivait qu’on ne puisse pas répondre à toutes les demandes. Il y avait des tensions interethniques entre les Afghans et les Soudanais, les deux populations principales de la Jungle. Mais aussi entre les associations, entre celles qui collaborent avec l’Etat et les autres.»

Son maître mot: le respect. «Je sais que je ne peux pas sauver tout le monde, mais je peux écouter les gens, toujours sur un pied d’égalité.» Mahaud passe ainsi beaucoup de temps dans la Jungle après son travail. Elle est invitée sous les tentes des réfugiés pour boire le thé, manger des beignets. Elle apporte des livres, enseigne le français, apprend l’arabe, sert de confidente. Elle y dort parfois. Et un jour elle prie même avec l’un de ses hôtes musulmans.

«Ce qui a beaucoup choqué ma famille. On est tous athées. Pour moi ça ne voulait rien dire, dans le sens où je n’y crois pas, mais c’était le signe que nous partagions quelque chose d’important pour cette personne, et surtout qu’elle m’avait accordé sa confiance. Après cela, partir sur le coup de 23h pour rejoindre une chambre confortable avec une douche était particulièrement difficile, une façon de dire qu’on n’appartient pas au même monde.»

Le choc du retour

Le retour à la maison constituera un autre choc. «Il n’y avait plus que la Jungle dans ma tête, et puis je me suis retrouvée face à tout ce à quoi j’avais cessé de penser durant deux mois et demi, je ne reconnaissais plus ma chambre, je n’arrivais plus à dormir, j’avais même changé physiquement. Mon père a été très inquiet et je m’en excuse…»

Et maintenant? Depuis l’évacuation du camp, l’association Salam fait des tournées pour distribuer des vivres aux migrants. L’étudiante en sociologie y participe régulièrement, ainsi qu’elle visite tous les week-ends ceux qui sont devenus ses amis, comme elle les appelle, transférés dans un centre d’accueil près de Lyon.

«Mon action ne change rien à la situation, aux enfants qui disparaissent en chemin, aux naufrages en Méditerranée. Mon impact est tellement limité qu’il est insignifiant. Mais le fait de me lever tous les matins pour aider comme je peux me permet de supporter tout ça. Et puis ce n’est pas à sens unique. J’ai beaucoup appris sur moi et sur les autres.» Un exemple? «Après combien de traumatismes arrête-t-on de sourire? On n’arrête jamais.»

Les initiatives solidaires se multiplient en Suisse romande. Si vous aussi vous avez envie de vous engager,  consultez le « Petit guide solidaire » de la coordination asile.ge.

Vous êtes un groupement ou une association active, d’une manière ou d’une autre, auprès des réfugiés  en  Suisse  romande? Vous récoltez des  habits, cherchez des  bénévoles pour des cours de français, accompagner les réfugiés ou les demandeurs d’asile? Nous pouvons relayer vos actions et vos besoins: écrivez vivre.ensemble@asile.ch.