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Notre regard

Témoignage | « Femmes migrantes qualifiées et gaspillage de compétences. Mon propre parcours » par Rocio Restrepo

Il existe en Suisse des milliers de femmes migrantes venues pour des raisons diverses avec l’espoir d’intégrer le marché de l’emploi et de s’intégrer au mieux à leur société d’accueil en faisant valoir leur formation, leurs compétences et l’expérience acquise dans leurs pays d’origine.

 

 

Malgré leur potentiel et leur volonté de mettre leurs capacités au service des employeurs et de la société, ces femmes se voient souvent obligées de travailler dans des domaines et des activités dites « alimentaires ».

Je suis une de ces femmes.

Colombienne d’origine, je suis arrivée à Genève en 1999 avec mon mari et nos deux enfants. Nous étions obligés de quitter notre pays pour des raisons politiques et la Suisse nous a donné sa protection.

Nous sommes arrivés ici avec la détermination de faire bénéficier notre pays d’accueil de nos compétences et de notre savoir-faire. Pour cela, j’avais une formation universitaire en gestion d’entreprise et 18 ans d’expérience dans les domaines du social et des ressources humaines.

Ma formation et mon diplôme n’ont pas été reconnus. J’ai dû alors chercher des petits boulots dans des domaines tels que la garde d’enfants ou le nettoyage car je ne voulais pas rester à la charge de l’assistance sociale.

Prête à me battre et malgré ma frustration, j’avais le sentiment d’avoir encore des choses à apporter au monde du travail. Du fait de la non-reconnaissance de ma formation et de mon expérience professionnelle, j’ai entamé une nouvelle formation à l’Université de Genève où j’ai obtenu une licence en psychologie. J’ai ainsi pu également améliorer ma maîtrise de la langue française et mettre en place des stratégies permettant la construction d’un réseau professionnel. J’avais alors 45 ans, j’étais face à un marché du travail tendu et j’avais le sentiment  de pouvoir faire des choses en faveur d’autres femmes qui, comme moi, se voyaient confrontées aux mêmes difficultés pour s’intégrer.

A mes yeux, il fallait rendre visibles toutes ces femmes et il fallait aussi sensibiliser les acteurs institutionnels et économiques quant aux potentiels et capacités qu’elles pourraient apporter au développement de la société.

Dessin de HERJI

J’ai alors eu l’idée de fonder une association à but non lucratif, pour travailler en faveur de ces femmes. En effet, mon parcours m’a amenée à m’interroger sur la meilleure façon de leur éviter et d’éviter à la Suisse ce gaspillage de compétences. C’est ainsi qu’est née, il y a déjà 10 ans, l’Association «découvrir» [1]. Notre objectif principal est d’accompagner et d’aider les femmes migrantes qualifiées dans leur processus d’intégration professionnelle à Genève, mais aussi de contribuer au dynamisme économique de la région avec plus de 75 professions différentes, de compétences et d’expériences issues de 111 pays différents.

À ce jour, 2300 femmes ont bénéficié de nos prestations allant de l’accueil et l’orientation à l’accompagnement aux démarches de reconnaissance de diplômes, en passant par la formation, le coaching et le mentorat. 10 ans sont déjà passés: il nous reste beaucoup à faire pour permettre à ces femmes de participer activement à la vie économique et sociale de leur région et de leur pays d’accueil, et enrayer le processus de déqualification et de précarisation dans lequel elles sont entrainées.
Ces femmes aux multiples casquettes (épouses, mères, professionnelles) doivent surmonter de nombreux obstacles pour se faire reconnaître comme professionnelles et se faire leur place en tant que telles. Cette reconnaissance est essentielle pour elles mais également pour le pays qui les accueille.

L’intégration professionnelle des femmes migrantes qualifiées contribue d’une part à lutter contre la pénurie de personnel qualifié que traverse la Suisse. Elle est, d’autre part, la clé d’une intégration réussie et d’un plus grand équilibre social et économique.

ROCIO RESTREPO,
DIRECTRICE DE L’ASSOCIATION DÉCOUVRIR


Note:

[1] Découvrir est reconnue d’utilité publique et est partenaire d’institutions publiques et privées.