Aller au contenu
Notre regard

Témoignage | « Ce qui m’est arrivé en Italie est la pire chose qui ait pu m’arriver »

M. a quitté l’Erythrée en novembre 2014, à 18 ans, pour échapper au service militaire. Elle est passée par l’Ethiopie, le Soudan, la Libye, puis a rejoint l’Italie par mer. Après avoir passé une semaine en Italie, elle est arrivée à Kreuzlingen, en juin 2015. Durant son voyage, elle a été kidnappée, agressée, et violée. La Suisse n’est pas entrée en matière sur sa demande d’asile et a décidé de la renvoyer en Italie en invoquant les accords Dublin. En octobre 2015, M. est renvoyée à Milan. Elle y reste 7 mois avant de revenir en Suisse. Voici un extrait de son témoignage, tel qu’il figure dans le dossier envoyé aux autorités suisses:

Je suis arrivée à l’aéroport de Milan depuis Zurich, on a pris mes empreintes et on ne m’a pas dit où aller depuis l’aéroport, on m’a juste dit de partir. Il y avait avec moi des autres personnes renvoyées, je les ai suivies et je suis arrivée en ville. Mais je ne savais pas où aller. Personne ne m’a expliqué, j’étais complètement perdue et seule. Il n’y avait aucun Érythréen parmi les personnes renvoyées en même temps que moi, j’étais aussi la seule femme. […] Je suis restée dans la rue. Je ne savais pas où aller ni à qui demander de l’aide. J’ai mendié pour obtenir à manger, mais il y a des jours où je ne pouvais pas me nourrir.

Je suis restée comme cela sept mois, et toujours des choses affreuses m’arrivaient. […] Je n’ai pas pu voir de médecin, qui aurait pu m’aider à trouver un médecin, à fixer un rendez-vous? Je ne comprenais pas du tout la langue là-bas. […] J’étais tellement mal, je ne me souviens même pas bien de ces moments. J’étais désemparée, je ne savais pas quoi faire. J’ai été agressée tellement de fois par ces hommes, j’ai été violée dans la rue beaucoup de fois, je ne veux pas me souvenir de ces moments. […]

J’ai essayé au bout de quelque temps de m’adresser à un centre de réfugiés, c’était l’hiver, il faisait froid, mais ils m’ont dit que je n’étais pas connue. Je ne savais pas la langue, ils ne m’ont pas donné l’occasion d’expliquer ce que je vivais, je n’ai eu aucune information pour me soigner. […] J’étais très déprimée, c’était très lourd, pour moi ce qui m’est arrivé en Italie est la pire chose qui ait pu m’arriver, je n’avais jamais imaginé cela. J’ai quitté l’Érythrée car je me sentais dans l’insécurité, je voulais une vie en sécurité, et c’est le contraire qui m’est arrivé. […] Je ne peux pas imaginer repartir en Italie.

A son arrivée en Suisse, elle s’adresse aux autorités de Zurich, puis de Vallorbe, qui lui disent de repartir en Italie. Le 16 août 2016, elle adresse une demande de reconsidération au Secrétariat d’Etat aux migrations (SEM). La réponse du SEM, négative, est datée du 10 novembre 2016.

Vous faites valoir dans votre demande d’asile par écrit du 16 août 2016, qu’à votre arrivée à l’aéroport de Milan les autorités italiennes ont relevé vos empreintes et qu’on vous a ensuite juste dit de partir, sans vous indiquer où vous deviez aller. Vous faites valoir vous être retrouvée perdue et seule et avoir dû vivre dans la rue pendant sept mois, période pendant laquelle vous avez subi des agressions physiques et sexuelles et vous ne saviez pas à qui demander de l’aide. […] Vous n’avez pas déposé de demande d’asile. Ainsi, de par votre comportement, vous n’avez pas donné la possibilité aux autorités italiennes de vous accueillir.[…] Le SEM relève à ce sujet que l’Italie est un Etat de droit disposant d’une autorité policière qui fonctionne et qui est désireux et capable d’offrir la protection adéquate. Il n’y a pas d’indice faisant penser que les autorités de l’Italie n’offriraient pas la protection adéquate contre les agressions de tiers.

Pourtant, le rapport de terrain de l’OSAR sur les « Conditions d’accueil en Italie » (août 2016) ou celui du Groupe d’experts sur la lutte contre la traite des êtres humains (GRETA) (29.01.2017) témoignent de grandes insuffisances dans les capacités d’accueil et d’hébergement des personnes vulnérables.