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Notre regard

Pratique | Les victimes de traite dans l’asile, une protection à deux vitesses

Comment améliorer la protection des victimes de traite des êtres humains lorsqu’elles sont inscrites dans une procédure de demande d’asile? Comment se rapprocher des standards et des bonnes pratiques prévues par les traités ratifiés par la Suisse? La conférence «Les victimes de traite dans l’asile: la pratique suisse à l’épreuve», organisée le 20 mars à Berne par la Plateforme des associations actives dans la lutte contre la traite des êtres humains [1], a réuni des spécialistes suisses et des experts internationaux pour débattre de ces questions. Une première en Suisse qui a rencontré un franc succès, avec la participation de 230 professionnel-le-s.

La diversité des interventions a démontré qu’il reste, malgré les améliorations introduites ces dernières années, un décalage entre le système de protection international et européen et la réalité de terrain. Malgré les traités internationaux ratifiés par la Suisse, les victimes souffrent encore de mesures de détection et de protection insuffisantes.

A l’issue de la conférence, nous pouvons relever plusieurs aspects problématiques dans le système de protection des victimes de traite dans la procédure d’asile et nous souhaitons formuler des recommandations basées sur notre expérience pratique.

Détection des victimes de la traite des êtres humains

La Suisse ne dispose pas d’un système d’«identification non traditionnelle» des victimes, basé sur des entretiens orientés vers la détection. Dans les centres d’enregistrement, le temps à disposition pour les premières auditions est extrêmement court et il n’y a pas d’expert-e-s indépendant-e-s pour mener des entretiens permettant la détection des victimes de traite. Celle-ci doit être renforcée par des entretiens menés par des spécialistes indépendant-e-s, dès le premier contact dans les centres d’enregistrement. Il est essentiel de poursuivre le travail de formation et sensibilisation des auditeurs/trices. Ceux-ci devraient systématiquement poser des questions ciblées pour la reconnaissance des victimes de traite durant les auditions.

Cohérence entre le système de protection prévu par la loi sur les étrangers (LEtr) et par la loi sur l’asile (LAsi)

Les victimes de traite dans l’asile ne bénéficient pas des droits auxquels elles auraient accès si elles se trouvaient dans la procédure ordinaire des étrangers. Par exemple, elles ne bénéficient pas d’un délai de rétablissement et de réflexion et s’exposent à une décision négative à leur demande d’asile alors qu’elles pourraient obtenir une autorisation de séjour au sens de la loi sur les étrangers (en cas de dépôt de plainte ou en présence d’un cas d’extrême gravité).

Or les victimes de traite doivent bénéficier des droits prévus dans le droit national, international et dans la Convention du Conseil de l’Europe, indépendamment de leur statut administratif. Le fait que le canal de l’asile et celui de l’application des standards de protection soient séparés a été regretté tant par la rapporteuse de l’ONU pour la traite des êtres humains que par l’ancien président du GRETA [2]. Une piste avancée par la juge du Tribunal administratif fédéral lors de la conférence serait que, dès que l’on a des soupçons qu’une personne pourrait être une victime de la traite des êtres humains, la procédure d’asile soit mise en sursis le temps d’identifier quelle voie est la plus favorable pour elle.

Procédure Dublin

Sur la base du Règlement Dublin III, les victimes de traite ayant eu un contact avec un autre pays de l’Union européenne avant d’arriver en Suisse risquent d’être renvoyées dans un pays; où elles ont subi l’exploitation, n’offrant pas de garanties suffisantes en termes de protection des victimes de traite ou avec lequel elles n’ont aucun lien. Une pratique dénoncée à plusieurs reprises, notamment par la rapporteuse spéciale de l’ONU; ces renvois ne peuvent être systématiques dès lors qu’ils ont pour conséquence que la victime risque, entre autres, de retomber dans un réseau d’exploitation. Ces risques doivent toujours être pris en compte dans le cadre de l’examen des probables obstacles au renvoi.

Aujourd’hui, ce renvoi est mis en œuvre par la Suisse dès le moment où cet Etat a ratifié la Convention de lutte contre la traite, sans examen approfondi du respect effectif par l’Etat en question des standards nécessaires à la protection des victimes – même lorsqu’il est notoire que ces standards ne sont pas respectés. Une solution serait que la Suisse s’engage, dans ces situations délicates, à faire davantage application de la clause de souveraineté (art. 17 Dublin III) qui lui donne la possibilité de se proclamer responsable de la demande d’asile.

Prise en charge et poursuite des auteurs

Une fois la victime de traite identifiée, la prise en charge n’est souvent pas adéquate, faute de dispositifs spécialisés suffisants dans la coordination entre les acteurs du réseau. La poursuite des auteurs du délit et la condamnation restent aujourd’hui encore trop rares. Il est aujourd’hui indispensable de développer des accords entre les structures d’aide aux refugié-e-s et les organismes de prise en charge des victimes de traite pour que ces personnes puissent bénéficier de tous les droits qui leur sont dus indépendamment de leur statut administratif et indépendamment d’une coopération.

Nous souhaitons que les différentes suggestions émises durant la conférence favorisent une application de la loi respectueuse de nos engagements internationaux et des droits des victimes.

POUR ASTRÉE, CSP GENÈVE, FIZ ET MAYDAY
ANNE ANSERMET (ASTRÉE)
ANGELA ORITI (ASTRÉE)
CHARLOTTE ZIHLMANN (CSP GENÈVE)


Notes

[1] La Plateforme est composée des quatre associations de référence en Suisse pour la prise en charge des victimes de la traite: le FIZ Centre d’assistance aux migrantes et aux victimes de la traite des femmes (Zurich), le Centre social protestant de Genève, l’Antenna May Day (Tessin) et l’association ASTREE (Vaud)

[2] Groupe d’experts sur la lutte contre la traite des êtres humains du Conseil de l’Europe.