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Notre regard

Editorial | Les chiffres, et la réalité

75 % des personnes dont les motifs d’asile ont été examinés en 2016 se sont vues reconnaître un besoin de protection par la Suisse. L’actualisation de la brochure Il y a ce qu’on dit sur les réfugiés. Et il y a la réalité atteste de la pertinence et de la permanence des arguments que nous y développions il y a cinq ans. Le mythe de l’« invasion » ou l’argument-choc d’une majorité de « réfugiés économiques » ou de « faux réfugiés » [1] « abusant » d’une loi trop laxiste qu’il s’agirait de durcir relèvent de la pure rhétorique électorale. Et ceci se vérifie sur ces 10 dernières années [2].

En dépit de l’éclatement et de l’évolution de conflits tels qu’en Syrie, la proportion des personnes relevant du domaine de l’asile en Suisse a augmenté d’à peine 0,5% en un an. Et la grande majorité des personnes qui cherchent refuge en Suisse se voit légitimée à y rester, une fois leurs motifs d’asile examinés.

Mais est-ce à dire, comme le fait le président du Parti socialiste suisse, que la Suisse est généreuse? Que son système est juste? Que «nous offrons une protection à ceux pour qui c’est vraiment nécessaire » (Lire nos drôles de news, p. 14) ? Loin de là!

Christian Levrat, qui pourtant a été porte-parole de l’OSAR, devrait savoir que ce taux a été obtenu en excluant toutes les personnes dont le dossier n’a pas été examiné par les autorités suisses, à savoir les personnes frappées d’une décision de non-entrée en matière (NEM), dont près de 95% des cas relèvent des accords de Dublin. Des personnes pour lesquelles la Suisse ne s’est absolument pas souciée du besoin de protection.

En 2016, 36 % des personnes ont ainsi été d’emblée écartées d’une procédure nationale. [3] Quelle que soit l’intensité de la torture subie, de la guerre fuie, des persécutions encourues, ces personnes-là ont été réduites au régime de l’«aide d’urgence», mises au ban de la société humaine. Elles sont condamnées à vivre dans la peur quant à leur sécurité à venir et le bien-être de leurs enfants, parce qu’elles savent ou craignent ce qui les attend dans le pays par lequel elles ont transité. Des pays qui, comme l’Italie ou la Grèce, ne leur offrent ni toit ni la sécurité recherchée. Ou, comme la Hongrie, les enferme dans des camps.

Déceler dans cette réalité-là un quel- conque motif de « fierté » nous paraît ahurissant, lorsque l’on sait les dérives auxquelles la logique des accords de Dublin conduit: violence d’Etat, arbitraire, criminalisation, violation des droits fondamentaux.

En témoigne la mise en détention par les autorités zougoises – heureusement condamnée par le Tribunal fédéral – d’une mère avec son nourrisson, séparée du père enfermé dans un autre centre et de ses trois autres enfants, placés en foyer. (p. 5)

En témoigne également le parcours « ordinaire » d’Angèle, une jeune femme que la reporter de l’émission radio Vacarme (RTS) a suivi, avant et après son expulsion en Italie. (p. 2)

Ces cas sont à mettre en relation directe avec la menace de sanction financière faite par Simonetta Sommaruga, cheffe du Département fédéral de justice et police (DFJP), aux cantons trop peu zélés à son goût dans l’exécution de ces renvois. Des renvois qui touchent majoritairement des personnes dont on aurait très probablement reconnu le besoin de protection si l’on s’était donné la peine d’écouter leur histoire. Mais tel n’a pas été le cas. Voilà la réalité du système Dublin. Et voilà pourquoi nous soutenons depuis son lancement l’appel contre son application mécanique et absurde (p. 6).

SOPHIE MALKA

[1] « 80% d’entre eux sont des immigrants et pas de vrais réfugiés » dixit Ruedi Vonlanthen (PLR), dans 24 Heures, 26.02.17.
[2] Depuis 10 ans, le taux de protection s’élève en moyenne à 68%, si l’on exclut du calcul les décisions de NEM.
[3] Sur les 26’361 décisions rendues en 2016, 9395 décisions l’ont été par des décisions de NEM.