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Le club des juristes | 3 questions à Serge Slama sur la législation hongroise vis-à-vis des demandeurs d’asile

Serge Slama, maître de conférences HDR en droit public à l’Université Paris-Nanterre et Membre du CREDOF-CTAD UMR 7074, décrypte la conformité au droit européen de la récente législation hongroise permettant de transférer automatiquement les demandeurs d’asile dans des zones de transit frontalières.

Billet publié sur le site Le Club des juristes, le 21 mars 2017. Cliquez ici pour lire l’interview sur le site du Club des juristes.

Quelles sont les mesures annoncées par Viktor Orban à l’égard des demandeurs d’asile?

Selon les informations des médias et d’ONG comme Human right watch(1),  le Parlement hongrois a adopté le 7 mars 2017 à une très large majorité (138 voix pour, 6 contre et 22 abstentions) un texte de loi prévoyant que tous les ressortissants de pays tiers en cours de procédures d’asile, qu’ils soient nouveaux entrants ou déjà présents dans le pays, seront automatiquement détenus dans des zones de transit situées aux frontières serbe et croate dans l’attente de l’examen de leur demande d’asile et de leur réadmission. Les autorités hongroises sont autorisées à détenir dans ces zones tous les demandeurs d’asile, y compris les plus vulnérables: familles avec enfants, personnes handicapées, femmes victimes de la traite ou de violences sexuelles mais aussi les mineurs non accompagnés dès lors qu’ils sont âgés de 14 à 18 ans. Pour corser le tout – et ajouter à l’abject – ces demandeurs d’asile seront concrètement détenus dans des containers installés à la frontière de l’autre côté de la clôture construite fin 2015.

Les étrangers interpellés n’importe où en Hongrie, y compris s’ils sollicitent l’asile, pourront aussi être «escortés» vers ces zones de transit et faire l’objet d’une réadmission simplifiée vers la Serbie, considérée par la Hongrie comme un pays tiers sûr. Jusque-là une loi de juillet 2016 ne le permettait que si les intéressés étaient appréhendés après une entrée irrégulière dans une bande de 8 km de la frontière.

Cette loi reprend un projet auquel le gouvernement hongrois avec renoncé sous pression de l’UE et du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR). Elle est présentée comme s’inscrivant dans le cadre d’un «état d’urgence migratoire» proclamé par les autorités hongroises en septembre 2015 à l’occasion de la «crise migratoire» et jusqu’à septembre 2017, avec la possibilité de déclarer à nouveau l’urgence dans le futur.

Pourtant si, en 2015, 400000 ressortissants de pays tiers ont franchi la frontière hongroise et 177’000 y ont déposé une demande d’asile, la majeure partie ne sont pas restés dans ce pays – et on les comprend. Entre janvier et octobre 2016, les interpellations de migrants se sont élevées à 18’338, dont 79% à la frontière serbe, contre 203’821 pour la même période en 2015, ce qui représente une baisse de 93%. La pression migratoire a certes connu un regain au printemps 2016, mais elle est redevenue quasiment inexistante depuis la mise en œuvre d’un nouveau dispositif législatif en juillet 2016. En outre non seulement la Hongrie refuse de prendre des demandeurs d’asile dans le cadre du plan de relocalisation adopté en septembre 2015 mais il est aussi de plus en plus fréquent que des juridictions s’opposent à la réadmission de demandeurs d’asile vers la Hongrie dans le cadre de l’application du règlement «Dublin 3» compte tenu de la défaillance systémique du système d’accueil et d’examen des demandes d’asile dans ce pays (v. par. CAA de Nancy, 23 février 2017, n°16NC02505), conformément à l’arrêt Tarakhel (CEDH [GC], 4 novembre 2014, n°29217/12).

Ces mesures portent-elles atteinte aux droits fondamentaux?

L’atteinte aux droits fondamentaux ne fait pas l’ombre d’un doute. Mais cela semble le cadet des soucis du gouvernement hongrois. Rappelons que pour Viktor Orban l’afflux de migrants n’est rien d’autre qu’un «cheval de Troie du terrorisme». La violation des normes européennes est pourtant flagrante.

En premier lieu, la législation européenne applicable – les directives 2013/32 et directive 2013/33 du 26 juin 2013 – prohibe formellement la rétention d’un ressortissant de pays tiers au seul motif de sa qualité de demandeur d’asile. Cette rétention n’est possible que si elle est nécessaire, proportionnée et décidée au cas par cas sur le fondement de motifs restrictifs (sécurité nationale, ordre public, risque de fuite, vérification d’identité ou de la nationalité, etc.) et intervient en l’absence de mesure moins coercitive plus appropriée.

En second lieu, ces législations européennes doivent être appliquées dans le respect des obligations découlant du droit international, et notamment de l’article 33 de la Convention de Genève sur les réfugiés, garantissant une immunité pénale aux demandeurs d’asile en cas de franchissement irrégulier d’une frontière. Le respect du droit d’asile consacré par la Convention de 1951 découle aussi de l’article 18 de la Charte des droits fondamentaux.

Certes, la directive 2013/32 (article 43) prévoit bien la possibilité pour les Etats membres de mettre en place une procédure d’asile à la frontière avec maintien en zone de transit. C’est le cas par exemple en France pour la procédure d’asile à la frontière en cas de placement en zone d’attente. Si on admet que la Serbie puisse être considéré comme un pays tiers sûr (v. CJUE 17 mars 2016, Shiraz Baig Mirza, C-695/15 PPU), la Hongrie peut déclarer irrecevable les demandes d’asile des personnes en provenance de ce pays et procéder à leur réadmission vers la Serbie.
Mais d’une part, cette directive apporte un certain nombre de garanties. D’autre part, la législation fait manifestement une application abusive de cette possibilité en considérant que tout demandeur d’asile interpellé sur son territoire relève de cette procédure. Ce dévoiement de la notion de pays tiers sûr a du reste été légitimé par le conseil européen lui-même avec la conclusion, avec la Turquie, de l’accord du 18 mars 2016 (v. sur la nature juridique de cette déclaration l’ordonnance du TUE du 28 février 2017, NF c/ Conseil européen, aff. T‑192/16).

On observera aussi que la France a déjà elle-même considérablement élargi les possibilités de placement et de création de zone d’attente ad ’hoc. En effet la loi Besson de 2011 prévoit que dès lors qu’un groupe d’au moins dix étrangers vient d’arriver en France en dehors d’un point de passage frontalier, en un même lieu ou sur un ensemble de lieux distants d’au plus dix kilomètres, il est possible de créer une zone d’attente. Et le Conseil constitutionnel français n’a rien trouvé à redire à cette possibilité abracadabrantesque que la zone d’attente – et le statut qui va avec – puisse rattraper des étrangers sur n’importe quel point du territoire…

Le nouveau dispositif adopté le 7 mars 2017 par les autorités hongroises est en tout état de cause d’ores et déjà remis en cause compte par la récente condamnation par la Cour européenne des droits de l’homme la politique mise en œuvre durant l’été 2015 en raison de l’absence de recours effectif accessible aux migrants détenus à la frontière serbo-hongroise et en remettant en cause le fait que la Serbie puisse être considéré valablement comme un pays tiers sûr (CEDH, 14 mars 2017, Ilias et Ahmed c. Hongrie, n°47287/15).

Des voies de recours juridiques existent-elles contre ces mesures?

Selon Human right watch, le texte de loi ne consacrerait formellement aucune possibilité de contestation. C’est assurément contraire au droit au recours effectif garanti aussi bien par l’article 13 de la CEDH, combiné à son article 3 de la CEDH ainsi qu’à l’article 47 de la CDFUE mais aussi s’agissant de la privation de liberté à l’article 5 de la CEDH (v. la décision de principe sur les zones de transit françaises: CEDH, 25 juin 1996, Amuur c. France, n°19776/92). Néanmoins avant de pouvoir saisir la Cour de Strasbourg il faudrait pour les demandeurs d’asile épuisent les voies de recours internes – si elles existent réellement. Lorsqu’on sait qu’un réfugié syrien qui était bloqué à la frontière a été condamné en novembre 2016 à dix ans de prison pour «terrorisme» pour avoir simplement jeté trois projectiles en direction de la police lors d’une émeute, on peut ne pas être très optimiste. En Grèce, alors près de 15’000 migrants sont retenus dans les hospots des îles grecques à la suite de l’accord du 18 mars 2016, le Conseil d’Etat vient juste d’être saisi de la question et aucune question préjudicielle n’a été posée à la CJUE.

La Commission européenne peut également agir en ouvrant une nouvelle procédure d’infraction contre la Hongrie. En effet l’article 46, § 1 de la directive «procédures» de 2013 impose aux États membres de prévoir un recours effectif contre les décisions prises en zone de transit. Le comble est que pour s’opposer au plan de relocalisation adopté le 22 septembre 2015 Viktor Orban a non seulement organisé – en vain – un référendum le 2 octobre 2016 puis tenté de modifier la Constitution hongroise mais son gouvernement a aussi, avec la Slovaquie, saisi la CJUE d’un recours en annulation en développant notamment comme moyen que la relocalisation n’apporterait pas assez de «garanties juridiques et procédurales» aux demandeurs d’asile (Aff. C-647/15, recours du 3 décembre 2015, Hongrie c/ Conseil. V. not. Kees Groenendijk, Hungary’s appeal against relocation to the CJEU: upfront attack or rear guard battle?, http://eumigrationlawblog.eu ,16 dec 2015).

Le commissaire européen chargé des migrations, Dimitris Avramopoulos, s’est pour l’instant contenté d’annoncer qu’il rendra prochainement en Hongrie pour une «discussion sérieuse» avec les autorités de ce pays. En attendant près de cent demandeurs d’asile détenus dans ces containers ont débuté une grève de la faim.

Par Serge Slama


Note:

(1) Faute de maîtriser le magyar nous ne pouvons pas répondre à partir du texte de loi original mais uniquement sur des sources de seconde main articles de presse (v. par ex. “Hungarian Parliament Tightens Asylum Law To Throw Migrants Back To The Other Side Of The Border”, Hungary today, 2017-03-07 et informations des ONG en langue anglaise.