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Notre regard

Témoignage | Dublin en Suisse, réfugié statutaire en Allemagne

Nous publions ci-dessous le récit de Viviane Luisier, membre de Solidarités Tattes, sur le parcours paradoxal d’un homme passé par la Suisse, frappé d’une décision de non-entrée en matière Dublin, et qui a obtenu un statut de réfugié en Allemagne. Une reconnaissance qui change tout. Pour lui, avant tout, mais aussi sur le regard, la perception que l’on peut avoir d’une personne, lorsqu’elle est taxée de « non-désirable »… Un récit qui montre l’absurdité du système Dublin. (Vivre Ensemble / Sophie Malka)

L’Europe et ses contradictions: Dublin en Suisse, réfugié statutaire en Allemagne

Août 2016: il est maigre, soucieux, un petit sac à la main, sur le départ. Son périple dure depuis plus de deux ans. L’épisode helvétique est douloureux: une année et demi de bunker, une expulsion forcée dans un pays voisin, un retour aussitôt vers la Suisse. Des décisions négatives les unes après les autres. Un second départ forcé est imminent, donc la décision est prise de s’enfuir vers l’Allemagne.

Août 2017: il a grossi, il est souriant, il m’offre le thé sur une terrasse au soleil. Il est revenu faire un tour pour les vacances, avec son autorisation de séjour en poche, qui correspond à notre permis B suisse. Il est revenu pour dire merci à ceux et celles qui l’ont aidé, en Suisse.

Arrivé en Allemagne en août 2016, il passe une première audition en octobre, une seconde en mars 2017 et il reçoit son autorisation de séjour en juin de cette année. La carte qu’il me présente indique la date de renouvellement: 2020! Il habite dans un appartement avec deux autres personnes, il reçoit environ 400 euros par mois, il étudie assidûment l’allemand et cherche du travail dans l’enseignement. Et il a le droit de voyager partout.

De son passage en Suisse, il se souvient de la 1ère audition, qui a duré 10 minutes, au cours de laquelle on lui a demandé ses coordonnées, celles de sa famille, son origine, par où il était entré en Europe. «NEM Dublin», non-entrée en matière, terminé, classé.

«On n’a pas voulu écouter mon histoire, je n’ai pas pu raconter que j’ai passé la moitié de ma vie dans l’armée, que j’ai étudié malgré tout, que je ne pouvais pas voir ma famille, que la prison m’attendait dès que j’élevais la voix».

La non-entrée en matière est un grand scandale. Un être humain, même requérant d’asile, a le droit d’être écouté. Cette surdité administrative crée une blessure difficilement cicatrisable. Et pourquoi la situation d’Elias s’est-elle réglée si rapidement en Allemagne, alors qu’il a eu droit au bunker et à l’expulsion en Suisse? Alors qu’on aurait pu le considérer comme «deux fois Dublin»? L’Allemagne continue donc de considérer l’Erythrée comme une dictature, comme l’a fait la Suisse pendant de nombreuses années.

En partant de Genève vers le nord, après 3000-4000 km, il y a donc encore de l’espoir quand on est érythréen. En matière d’asile, la Suisse ne fonctionne pas comme une horloge suisse. Elle travaille à l’aveuglette et sans entrer en matière. Elle ne respecte des accords Dublin que ce qui la débarrasse des requérantEs, oubliant presque toujours l’article 17 [qui lui permet d’examiner la demande de protection, ndlr]. Elle agit de manière insensible, arbitraire, loufoque.

Viel Glück, Elias! Bonne chance dans la reconstruction de ta vie et dis-nous quand tu auras du travail, une compagne, des enfants et nous viendrons partager ces joies avec toi.

Viviane Luisier 
membre de Solidarité Tattes
17.08.17