Aller au contenu
Notre regard

Jurisprudence | Âge osseux et arbitraire

«Aucune méthode scientifique ne permet d’établir précisément l’âge d’un jeune qui se situerait entre 15 et 20 ans afin de définir avec certitude s’il est majeur ou mineur». La prise de position de la Société suisse de pédiatrie, relayée en mai par la faîtière des médecins suisses [1], vient confirmer les critiques à l’égard d’une méthode utilisée par le Secrétariat d’Etat aux migrations (SEM) pour contester la minorité de demandeurs d’asile, et donc pour dénier à des enfants les droits associés à leurs besoins. En témoigne le cas [2] publié par l’Observatoire romand du droit d’asile (ODAE romand), où l’on mesure combien les marges d’interprétation laissées aux fonctionnaires du SEM ont des conséquences concrètes sur la vie d’un enfant. Conséquences qui auraient pu être dramatiques, sans l’intervention d’une juriste de l’association Elisa.

Dessin de HERJI

«Imran» a 16 ans lorsqu’il arrive en Suisse et dépose sa demande d’asile. La seule preuve de son âge est sa taskera (carte d’identité afghane) qu’il a confiée à l’agent de sécurité du Centre d’enregistrement et de procédure (CEP) dans lequel il est arrivé. L’agent ne l’a pas transmise aux autorités avant le premier entretien.

Malgré les déclarations d’«Imran» qui affirme être mineur, le SEM ordonne de procéder à un examen osseux qui indique qu’il aurait 19 ans. Selon la jurisprudence, cette méthode présente une marge d’erreur pouvant aller jusqu’à 2 ans et demi, et a donc une valeur probante extrêmement limitée. «Imran» n’est donc pas reconnu mineur et est logé avec des adultes dans un abri de protection civile, malgré d’importants problèmes médicaux. Par ailleurs, il n’est pas scolarisé.

Logé dans un abri et non scolarisé

Quelques temps plus tard, il reçoit une décision négative à sa demande d’asile. Le SEM considère que le jeune homme ne peut se prévaloir des menaces reçues par son père de la part des talibans.

La mandataire d’«Imran» introduit un recours au Tribunal administratif fédéral (TAF). Elle déplore le refus de l’asile et réaffirme la minorité de son mandant en s’appuyant sur le rapport du Représentant des oeuvres d’entraide (ROE), ainsi que sur des considérations jurisprudentielles et doctrinales relatives aux examens osseux. Elle presse les autorités de prendre en compte la taskera dont la validité n’a pas été remise en question.

Suite au dépôt du recours, l’Hospice général (service chargé de l’hébergement à Genève) accepte de placer «Imran» dans un foyer pour mineurs.

Concernant l’asile et le statut de réfugié, la mandataire reproche au SEM de ne pas prendre en compte la notion de «persécution réfléchie», selon laquelle les membres de la famille peuvent être directement touchés par des menaces et persécutions adressées à l’un des leurs.

Enfin, concernant l’inexigibilité du renvoi, la mandataire déplore l’absence de prise en compte par le SEM de l’état de santé psychologique déplorable d’« Imran ». Le TAF accepte d’entrer en matière sur le recours, accorde une assistance judiciaire partielle, et renvoie la cause au SEM. Le SEM reconsidère alors sa décision, octroie l’asile et admet la minorité d’ «Imran».

L’asile au bout du tunnel

Celui-ci aura tout de même vécu plusieurs mois en hébergement pour adultes dans une grande incertitude, ce qui aura de toute évidence contribué à péjorer son état de santé déjà fragile.

ODAE Romand

Questions soulevées:

  • Le HCR souligne dans ses principes directeurs (ch. 75) qu’au vu du taux d’erreur des méthodes de détermination de l’âge, la personne devrait, en cas de doute, être considérée comme mineure. Pourquoi le SEM ne suit-il pas ce principe, prenant le risque de bafouer les droits de l’enfant?
  • Comment est-il possible que le SEM commette des erreurs d’appréciation sur autant de points (asile, qualité de réfugié, inexigibilité du renvoi, minorité), d’autant plus dans le cas d’une personne doublement vulnérable (MNA, de surcroît avec des problèmes de santé)?
  • N’est-il pas étonnant que le SEM dans son Manuel asile et retour C10 n’accorde qu’un poids moindre à l’analyse osseuse et la considère dans le cas présent comme probante?

Notes:

[1] https://bullmed.ch/fr/article/doi/bms.2017.05557/

[2] La description complète du cas d’«Imran» est publiée sur le site de l’ODAE romand


Permis F: Expo à Neuchâtel

Des associations neuchâteloises présentent cet automne l’exposition « Admission provisoire ou exclusion durable », montée par l’ODAE romand en 2015. Photographies, témoignages et courts-métrages témoignent de la situation des personnes admises à titre provisoire sur le sol helvétique.

Le volet photographique sera présenté:

  • du 5 au 10 septembre à la rue du Marché à La Chaux-de-Fonds
  • du 11 au 16 septembre à la Croix-du-Marché à Neuchâtel

Une soirée sera organisée dans chaque ville afin de projeter les courts-métrages.
Les lieux et dates de ces soirées sont encore à confirmer. L’information sera accessible sur le site internet de l’ODAE: www.odae-romand.ch