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RTS | Le calvaire des musulmans Rohingyas, victimes de « nettoyage ethnique »

Depuis le 25 août, une flambée de violence dans l’ouest de la Birmanie a poussé des dizaines de milliers de Rohingyas sur les chemins de l’exil. Selon plusieurs ONG, ce peuple est victime d’un « nettoyage ethnique ». Eclairage.

Un article de Didier Kottelat publié sur le site de la RTS, le 07.09.2017. Cliquez ici pour lire l’article sur le site rts.ch.

Des membres de la minorité musulmane des Rohingyas fuient les violences en Birmanie et tentent de trouver refuge au Bangladesh voisin. [EPA/STR – Keystone]

Les Rohngyas, un peuple persécuté

De religion musulmane, les Rohingyas sont une des principales minorités ethniques de Birmanie, un pays d’Asie du Sud-Est à très forte majorité bouddhiste. Ils seraient entre 800’000 et 1,3 million à vivre dans l’Etat d’Arakan, dans l’ouest du pays (en rouge ci-dessous). Environ un million de Rohingyas sont en outre réfugiés à l’étranger, dont une bonne moitié au Bangladesh voisin.

Depuis 1982 et l’adoption d’une nouvelle loi sur la citoyenneté par la junte militaire, les Rohingyas ne font pas partie des 135 ethnies reconnues officiellement par l’Etat birman. A ce titre, ils sont privés de la nationalité birmane, ce qui les rend de facto apatrides.

Les Rohingyas sont par ailleurs victimes de nombreuses discriminations et persécutions: suppression des droits politiques, accès limité aux soins, à l’éducation et à la nourriture, restrictions économiques et commerciales, limitation des mariages interreligieux, etc.

[caption id="attachment_42973" align="aligncenter" width="900"] Les Rohingyas vivent majoritairement dans le nord de l’Etat birman d’Arakan (en rouge), frontalier du Bangladesh. [Google Maps][/caption]

Exode massif et catastrophe humanitaire

Les violences actuelles dans l’Etat d’Arakan font suite à une série d’attaques contre des postes de police en octobre 2016 par des insurgés rohingyas, ainsi qu’à la brutale répression qui a suivi. Une nouvelle vague d’attaques menée le 25 août – ayant conduit à la mort de 12 policiers et 77 « terroristes » selon le gouvernement birman – a encore envenimé la situation.

Les autorités birmanes mettent la vie de dizaines de milliers de personnes en danger et font preuve d’un mépris terrible pour la vie humaine (Tirana Hassan, Amnesty International)

Depuis cette date, l’armée a lancé une vaste opération de répression dans cette région pauvre et reculée, poussant des dizaines de milliers de personnes sur les routes. La plupart ont traversé la frontière pour trouver refuge au Bangladesh. L’armée birmane dénombre 400 morts, dont 370 « terroristes » rohingyas.

> L’exode des Rohingyas en images: cliquez ici

Le gouvernement a par ailleurs suspendu les activités humanitaires dans la zone de conflit. Avec cette décision, « les autorités mettent la vie de dizaines de milliers de personnes en danger et font preuve d’un mépris terrible pour la vie humaine », relève Tirana Hassan, une responsable d’Amnesty International. « L’Etat d’Arakan est au bord d’une catastrophe humanitaire », selon l’ONG.

> Le sujet du 19h30 sur l’exode des Rohingyas (5 septembre 2017): cliquez ici

 

« Exécutions », « décapitations », « villages incendiés »

L’ONG Human Rights Watch, en avril 2013, dénonçait déjà des « crimes contre l’humanité » ainsi qu’une « campagne de nettoyage ethnique » contre les Rohingyas. Dans un rapport publié le 3 février 2017 à la suite de la précédente flambée de violence (lien en pdf), le Haut-commissariat aux droits de l’homme des Nations unies concluait lui aussi à la « commission de très probables crimes contre l’humanité », évoquant une vaste entreprise de répression « généralisée et systématique ».

Les derniers événements semblent avoir encore envenimé la situation, selon les témoignages recueillis par l’ONG Fortify Rights auprès de 24 témoins et survivants venus de 17 villages. Ceux-ci font état d' »exécutions de masse », de personnes « décapitées » ou « brûlées vives », de villages rohingyas incendiés, selon le communiqué diffusé le 1er septembre dernier.

Même si elles ne sont pas étayées par des preuves matérielles, ces accusations sont partiellement confirmées par Human Rights Watch. L’ONG, photo satellite à l’appui, évoquait le 2 septembre la « destruction quasi totale » d’un village rohingya par des incendies. Quelques jours plus tôt, elle parlait de 17 autres villages partiellement incendiés dans la région.

[caption id="attachment_42976" align="aligncenter" width="900"] Une image satellite montrant la destruction quasi totale du village rohingya de Chein Khar Li, en Birmanie. [Human Rights Watch – DigitalGlobe][/caption]Aung San Suu Kyi sous le feu des critiques

L’ancienne militante prodémocratie et prix Nobel de la paix Aung San Suu Kyi, devenue en mars 2016 de facto cheffe du gouvernement birman après des années de dissidence face à la junte militaire, est de plus en plus critiquée pour ce qui est perçu comme sa passivité face au sort réservé aux Rohingyas.

Je n’ai cessé de condamner le traitement tragique et honteux infligé aux Rohingyas. J’attends toujours d’Aung San Suu Kyi qu’elle en fasse de même. (Malala Yousafzai, prix Nobel de la paix 2014)

Prenant la tête des protestations internationales, Malala Yousafzai, elle aussi prix Nobel de la paix, a critiqué lundi la gestion du drame par la Birmanie évoquant « le traitement tragique et honteux » infligé aux Rohingyas. « J’attends toujours de ma collègue prix Nobel Aung San Suu Kyi qu’elle en fasse de même », poursuit la jeune Pakistanaise sur Twitter.

Exhortée par des dirigeants de pays à majorité musulmane – dont le Bangladesh, l’Indonésie, la Turquie et le Pakistan – à mettre fin aux violences, Aung San Suu Kyi a brisé le silence mercredi, accusant des « terroristes » de propager un « iceberg de désinformation » à propos de la situation de la minorité rohingya dans son pays.

Nous savons bien mieux que d’autres ce que c’est que d’être privés de droits et de protection démocratique (Aung San Suu Kyi, prix Nobel de la paix 1991)

« Nous savons bien mieux que d’autres ce que c’est que d’être privés de droits et de protection démocratique », a ajouté la Dame de Rangoun, dans une allusion à ses années de lutte. « Nous ferons en sorte que tous les habitants de notre pays voient leurs droits protégés », s’est engagée la dirigeante, qui n’a jamais condamné les actions de l’armée dans l’Etat d’Arakan.

Cependant la marge de manoeuvre d’Aung San Suu Kyi est faible: elle ne dispose que de pouvoirs limités face à une armée toute puissante, dans un pays où une partie de la population est islamophobe.

> Le compte rendu dans le 12h30 (6 septembre 2017): cliquez ici

Didier Kottelat