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aedh | La Turquie, un pays tiers sûr!…

Dix-huit mois plus tard, les États membres de l’Union européenne peuvent avoir la satisfaction de voir que l’accord passé avec la Turquie le 16 mars 2016 va (enfin!) reposer sur des bases juridiques affirmées: le 22 septembre 2017, le Conseil d’État grec a, en effet, rendu une décision par laquelle il reconnaît le caractère de «pays tiers sûr» pour la Turquie.

Article publié sur le site de l’Association européenne pour la Défense des droits de l’homme (aedh). Cliquez ici pour lire l’article sur le site de l’aedh.

En conséquence de quoi, les deux plaignants syriens, à l’origine de ce recours contre les décisions d’irrecevabilité de leur demande d’asile (en première instance et en comité d’appel), peuvent dorénavant être renvoyés en Turquie… Ce qui était d’ailleurs l’ambition du deal que nos chefs d’État et de gouvernement avaient passé avec R. Erdogan…

L’accord UE-Turquie n’ayant, en fait, rien d’un accord européen, comme l’a reconnu la CJUE en février dernier, il ne leur reste plus que la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) pour éventuellement appuyer leur contestation de l’irrecevabilité de leur demande ou, à tout le moins, s’opposer à leur renvoi vers la Turquie.

Une décision lourde de conséquences pour les réfugiés des îles grecques

Cette décision du Conseil d’État grec crée un précédent qui ne peut que semer l’angoisse chez les centaines de personnes (de 750 à 1000, selon les sources) qui, actuellement, craignent la mise en œuvre d’une décision de renvoi vers la Turquie après rejet de leur recours. Elle risque, en outre, de conduire tant les juridictions de première instance que les comités d’appel à radicaliser leurs décisions, les premières sur l’irrecevabilité des demandes d’asile présentées par des personnes ayant transité par la Turquie, les seconds sur les très nombreux recours actuellement pendants.

Dans ce contexte, le fait que la Grèce soit incitée par la Commission européenne à préparer et organiser de façon plus efficace les renvois en s’assurant de la présence physique des migrants éventuellement concernés, ne peut qu’ajouter à l’inquiétude. La Commission remarque, en effet, que jusqu’à présent le nombre de renvois vers la Turquie a été moins important que le nombre de nouvelles arrivées en Grèce, ce qui ne permet pas d’alléger la pression régnant dans les centres de réception des îles grecques.

Une décision contestée

Comme on peut l’imaginer facilement, la décision du Conseil d’État grec a immédiatement suscité les réactions de la société civile et des juristes (pas seulement en Grèce!), car s’il est bien un pays auquel le qualificatif «sûr» ne semble pas pouvoir s’appliquer actuellement, c’est bien la Turquie.

Rappelons que, actuellement, selon la législation européenne (directive «procédure», article 38), pour qu’un pays puisse être considéré comme «tiers sûr», il faut notamment que:

  • les demandeurs n’aient à craindre ni pour leur vie ni pour leur liberté en raison de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un groupe social particulier ou de leurs opinions politiques;
  • le principe de non-refoulement soit respecté conformément à la convention de Genève;
  • l’interdiction, prévue par le droit international, de prendre des mesures d’éloignement contraires à l’interdiction de la torture et des traitements cruels, inhumains ou dégradants, y soit respectée;
  • la possibilité existe de solliciter la reconnaissance du statut de réfugié et, si ce statut est accordé, de bénéficier d’une protection conformément à la convention de Genève;
  • un lien de connexion existe entre le demandeur et le pays tiers concerné, sur la base duquel il serait raisonnable que le demandeur se rende dans ce pays.

Or, aucun de ces critères n’est véritablement rempli par la Turquie. Certes la législation sur l’asile et l’immigration a été récemment modifiée mais les réfugiés syriens n’y bénéficient que d’un statut d’invité, temporaire, et les autres nationalités moins encore puisque la Turquie applique une réserve géographique (aux pays d’Europe) à la transposition de la convention de Genève; en dépit des dénégations des autorités turques, de nombreux témoignages montrent que les pratiques de refoulement vers la Syrie sont courantes, particulièrement depuis la déclaration d’état d’urgence; les accords de réadmission signés par la Turquie avec nombre de pays tiers facilitent les opérations de renvoi forcé. Quant au fait d’avoir transité par ce pays pour atteindre l’Europe, il ne peut être sérieusement interprété comme un «lien de connexion» qui existerait entre le demandeur et ce pays.

Une décision, sans aucun doute bienvenue pour le Conseil de l’UE

Gageons cependant que le Conseil de l’UE saura tirer parti de cette décision de la plus haute des juridictions grecques pour accepter la proposition de la Commission et suivre les incitations du Conseil européen de juin en décidant d’adopter une liste de «pays tiers sûrs» qui constituerait l’un des fondements de l’irrecevabilité des demandes d’asile, comme c’est envisagé dans le projet de règlement «procédure» actuellement en discussion interinstitutionnelle.

Pour aller plus loin: