Aller au contenu
Documentation

La Cimade | La France accélère les expulsions vers l’Afghanistan

Alors que l’Afghanistan connait une flambée de violences qui touche principalement les civils, des pays européens, notamment la France, accélère les expulsions d’Afghan.e.s ver leur pays d’origine. Amnesty International et La Cimade demandent au gouvernement français de stopper les renvois forcés vers l’Afghanistan pour ne plus mettre en péril des vies humaines.

Article publié par La Cimade, le 5 octobre 2017. Cliquez ici pour lire l’article sur le site de La Cimade.

La situation sécuritaire est de plus en plus dangereuse en Afghanistan, avec 11’418 personnes ont été tuées ou blessées en 2016 principalement par des Talibans et des groupes djihadistes. Malgré cette situation dramatique pour les civils, les pays européens multiplient les expulsions de personnes afghanes vers leur pays d’origine. Pour mener à bien ces renvois forcés, les États européens prétendent à tort que certaines régions d’Afghanistan sont sûres. Dans ce contexte, la France accélère les expulsions directement vers l’Afghanistan ou vers d’autres pays européens qui pratiquent massivement les renvois forcés. Tout cela au péril de la vie de ces personnes demandeuses d’asile.

À l’occasion de la publication du rapport Retour forcé vers l’insécurité, La Cimade et Amnesty International France dénoncent les expulsions des personnes afghanes depuis l’Europe et spécifiquement depuis la France. Nos organisations alertent le gouvernement français et les institutions européennes sur les dangers auxquels sont exposées ces personnes. Elles appellent le ministre de l’Intérieur Gérard Collomb à mettre un terme à toutes les procédures de renvois forcés vers l’Afghanistan et à décréter un moratoire sur ces renvois. De même, elles l’appellent à ne procéder à aucun transfert de demandeurs d’asile vers un autre État européen s’il existe, au final, un risque de renvoi vers l’Afghanistan. Ce risque est manifeste en particulier dans les États européens qui expulsent le plus vers l’Afghanistan ou dont le taux d’octroi du statut de réfugié est faible.

Alors que le nombre de victimes civiles est plus élevé que jamais en Afghanistan, les gouvernements européens obligent de plus en plus de demandeurs d’asile à repartir affronter les menaces qu’ils ont fuies, en violation flagrante du droit international.

«Désireux avant tout d’augmenter le nombre d’expulsions, les gouvernements européens appliquent une politique à la fois irresponsable et contraire au droit international. Délibérément aveugles à tous les éléments qui montrent que la violence atteint un niveau record et qu’aucune région d’Afghanistan n’est épargnée, ils exposent des hommes, des femmes et des enfants à des dangers tels que l’enlèvement, la torture, ou la mort», déclare Cécile Coudriou, vice-présidente d’Amnesty International France.

Les retours forcés et les victimes civiles se multiplient

Le nombre de retours forcés depuis l’Europe est en augmentation rapide, à un moment où celui des victimes civiles enregistrées par l’ONU atteint un niveau record.

Si l’on en croit les statistiques officielles de l’Union européenne (UE), entre 2015 et 2016, le nombre d’Afghans renvoyés dans leur pays par des États européens a presque triplé, passant de 3290 à 9460. Ces retours correspondent à une baisse très nette des avis favorables donnés aux demandes d’asile, passés de 68% en septembre 2015 à 33% en décembre 2016.

En France, les constats de La Cimade et d’autres ONG sur le terrain montrent une dégradation de la situation à partir de 2016 qui s’accentue encore en 2017. Du 1er janvier au 15 septembre 2017, 1614 personnes afghanes ont été enfermées dans des centres de rétention sur la base d’une mesure d’éloignement, alors même qu’en 2016, 1046 personnes afghanes avaient déjà subi le même sort. Cette dégradation est aussi caractérisée par des violations massives des droits par les préfectures qui mettent en œuvre cette politique puisque 70% des personnes afghanes visées ont été libérées par des juges qui ont considéré comme illégale la décision d’un placement en rétention, la mesure d’éloignement ou la procédure judiciaire.

«La France a multiplié les mesures d’éloignement à l’encontre de ressortissants afghans et les enferment de plus en plus massivement dans des centres de rétention administrative où leur nombre est passé de 382 en 2011 à plus de 1000 en 2016, et déjà 1600 depuis début 2017. Les expulsions directes depuis la France vers l’Afghanistan ont augmenté et les transferts vers des pays européens dont certains expulsent sont très importants. Au moins 307 cas depuis le début de l’année. Il est indispensable que le ministère de l’Intérieur décide d’un moratoire immédiat sur les renvois directs en Afghanistan, et il est urgent qu’il cesse de mettre en danger des personnes en les transférant vers d’autres Etats européens qui risquent manifestement de les expulser à leur tour vers ce pays. Il serait hypocrite de ne pas tirer toutes les conséquences de la situation en Afghanistan », déclare David Rohi, responsable national de la rétention à La Cimade.

Meurtres, mutilations et persécutions

Dans le même temps, on assiste à une augmentation du nombre de victimes civiles en Afghanistan, comme en témoignent les chiffres publiés par la Mission d’assistance des Nations unies en Afghanistan (MANUA).

Selon la MANUA, 11’418 personnes ont été tuées ou blessées en 2016. Des civils ont été pris pour cible dans toutes les régions du pays. La plupart des attaques ont été perpétrées par des groupes armés, notamment par les talibans et le groupe se faisant appeler État islamique (EI). Au cours du seul premier semestre 2017, la MANUA a recensé 5243 victimes civiles.

Plus de 150 personnes ont été tuées le 31 mai dernier à Kaboul dans l’explosion d’une bombe, à proximité de plusieurs ambassades européennes. Cet attentat, l’un des plus meurtriers jamais commis dans la capitale afghane, a également fait au moins 300 blessés.

Les chercheurs d’Amnesty International se sont entretenus avec plusieurs familles qui leur ont fait part du calvaire qu’elles avaient vécu après avoir été contraintes de quitter l’Europe. Certaines ont perdu des êtres chers; d’autres ont échappé de peu à des attaques lancées contre la population civile; d’autres encore vivent dans la peur des persécutions, dans un pays qu’elles connaissent à peine.

Sadeqa et ses proches ont fui l’Afghanistan en 2015, après que son mari, Hadi, eut été enlevé, roué de coups et finalement relâché après paiement d’une rançon. Au terme d’un voyage périlleux de plusieurs mois, ils sont arrivés en Norvège, espérant y trouver un avenir meilleur, en lieu sûr. Malheureusement, les autorités norvégiennes leur ont refusé l’asile, leur donnant le choix entre la détention dans l’attente de leur expulsion et un retour «volontaire», assorti d’une allocation de 10’700 euros.

Le mari de Sadeqa a disparu quelques mois après leur retour en Afghanistan. Les jours ont passé, sans que personne ne sache ce qu’il était devenu. En fait, Hadi avait été tué. Sadeqa pense qu’il a été assassiné par ses ravisseurs. Aujourd’hui, elle a peur ne serait-ce que de se rendre sur sa tombe.

Farhad était interprète en Afghanistan pour une organisation internationale. Alors âgé de 22 ans, il faisait l’objet de telles menaces qu’il a été contraint à l’exil.

«Ils (les Talibans) appelaient mon père et disaient: “Comment pouvez-vous vous dire hajji alors que votre fils travaille en tant que traducteur pour les kouffars?! Dites à votre fils d’arrêter de travailler pour ces étrangers mécréants. Par Allah, je jure que nous allons l’attraper et qu’il va le regretter.”»

Il parvient à fuir en Norvège où sa demande d’asile est rejetée, le taux d’octroi du statut de réfugié y étant particulièrement bas. Il doit fuir à nouveau vers la France qui tente de le renvoyer en Norvège.

Après avoir subi deux tentatives d’expulsion organisées par la France auxquelles il parvient à résister, Farhad parviendra finalement à faire enregistrer sa demande d’asile et attend désormais le résultat.

«Je parle souvent avec ma famille au téléphone et ils me disent de ne pas revenir. Ma famille me manque tellement, mais je sais que si je retourne en Afghanistan, je peux être kidnappé ou tué par les Talibans qui veulent me faire payer ma collaboration avec les Nations unies.»

«Une coupe de poison»

Les États européens n’ignorent aucunement la dangerosité de la situation en Afghanistan. D’ailleurs, ils l’ont reconnue lorsque les membres de l’Union européenne (UE) ont signé un accord informel de coopération baptisé «Action conjointe pour le futur», officiellement présenté comme un programme d’aide au développement mais en fait destiné à faciliter le renvoi des demandeurs d’asile afghans.

Dans un document ayant fuité, l’administration de l’UE reconnaît que l’Afghanistan est confronté à «une détérioration de sa situation sécuritaire et une aggravation des menaces auxquelles les gens sont exposés, avec un nombre record d’attaques terroristes et de civils tués ou blessés». Ce qui ne l’empêche pas de conclure, avec un total cynisme, qu’il faut «que 80’000 personnes au moins puissent retourner chez elles dans un futur proche».

Selon des informations jugées fiables, des pressions auraient été exercées sur le gouvernement afghan pour qu’il accepte cette «nécessité» des renvois. Le ministre afghan des Finances, Ekil Hakimi, a déclaré devant le Parlement: «Si l’Afghanistan ne coopère pas avec les pays de l’Union européenne dans le cadre de la crise des réfugiés, cela aura des conséquences négatives pour le montant de l’aide allouée à notre pays.»

Dans le même ordre d’idées, une source afghane connaissant bien l’accord et s’exprimant sous le sceau de la confidentialité a qualifié ledit accord de «coupe de poison» que le gouvernement afghan aurait été obligé d’avaler en échange d’une aide.

«Ces retours constituent des violations flagrantes du droit international et ils doivent cesser immédiatement. Les mêmes pays européens qui s’étaient naguère engagés pour que les Afghans connaissent un avenir meilleur anéantissent aujourd’hui tous leurs espoirs et les condamnent à repartir dans un pays qui est devenu encore plus dangereux que lorsqu’ils l’ont quitté», déplore Jean-François Dubost, responsable du programme Protection des populations à Amnesty International France.