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Notre regard

Le Courrier | Urgence médicale en Calabre

Le Sud de l’Italie assume une prise en charge sanitaire des migrants sans précédent. La plupart d’entre eux souffre de pathologies physiques et psychologiques lourdes. Témoignages.

Article de Isabel Jan-Hess, publié le 27 octobre 2017 dans Le Courrier. Cliquez ici pour lire l’article sur le site du Courrier.

Il a 19 ans, sa voix est saccadée. Il raconte son voyage vers l’Europe avec une émotion sourde, les mots sortent lentement, à mesure que les images lui reviennent. Ismaïl, comme des milliers d’autres Africains est passé par les camps de détention en Libye avant d’arriver en Calabre. Une terre d’accueil où il tente de se reconstruire une vie sur des cendres.

«J’ai cru mourir, j’avais fui la Côte d’Ivoire pour trouver la paix après l’incendie des terres de mon père et son assassinat. Mais c’était pire, inimaginable, ce qu’on a vécu avec tous mes frères africains.»

Kidnappé, réduit en esclavage, Ismaïl était mineur et avait besoin de soins. «Je souffrais de plusieurs hernies et d’une perforation de l’estomac, après quelques semaines en Libye, je ne pouvais plus travailler. Alors ils me battaient et me vendaient à d’autres. J’ai été déplacé de Sabratha à Benghazi en passant par des lieux dont je ne connaissais même pas le nom.» Jusqu’au jour où, livide, «il ne sert vraiment plus à rien» et on l’embarque presque mourant sur un bateau de fortune. Repêché vivant, il sera finalement soigné en Calabre où il reprend des forces.

Prise en charge médicale colossale

Son récit est celui de dizaines de miraculés rencontrés sur les routes de Calabre et de Sicile. Tous plus ou moins atteints dans leur santé. Des séquelles de tortures aux amputations en passant par la tuberculose, les atteintes psychologiques et la dénutrition, la palette des pathologies est considérable. L’Italie déjà submergée par des dizaines de milliers d’arrivants à héberger chaque mois, paye aussi le prix fort en terme de prise en charge médicale. Le pays offre, en effet, l’accès aux soins sans condition d’urgence et sans frais aux migrants, y compris les prestations de santé mentale et d’obstétrique. Si aucun chiffre officiel ne résume le coût global des consultations, opérations et thérapies – souvent vitales – offertes aux personnes migrantes, il dépasserait largement le milliard d’euros annuel. Et il s’alourdit chaque année, selon les professionnels de la santé, soulagés de voir des ONG voler au secours des institutions publiques en créant des structures de prise en charge intermédiaires.

Médecins du monde a, par exemple, offert plus de 1000 consultations aux migrants en Calabre l’an dernier. En grande partie à des mineurs non accompagnés. La plupart des centres d’accueil proposent des consultations offertes par des médecins de la région. Médecins sans frontières (MSF) sillonne l’Italie depuis des années avec un bus sanitaire et vient d’ouvrir une clinique de suivi médical à Catane en Sicile. «La majeure partie de ces gens arrivent en Europe avec des pathologies nécessitant une hospitalisation ou un traitement médical d’urgence, raconte Elisa Galli, responsable du projet de MSF à Catane. Les hôpitaux sont surchargés et les patients ressortent sans pouvoir bénéficier d’un suivi médical adapté. C’est tout le problème après l’urgence. La plupart ne poursuivent pas les traitements en sortant, car leur condition d’hébergement, souvent précaire ne le permet pas. Ils rechutent et reviennent à l’hôpital.» La clinique de MSF, ouverte en juillet accueille pour l’heure, 16 hommes et 8 femmes, avec enfants parfois, pour des suivis médicaux individuels d’environ un mois.

«Impuissante, j’ai vu mon bébé se débattre dans l’eau jusqu’à la mort»

Ici, les patients récupèrent de leur long et douloureux chemin d’exil. Ils soignent leurs blessures physiques et psychologiques dans un cadre bienveillant. Marie est arrivée fin septembre avec sa fille de 5 ans, après une hospitalisation pour des brûlures, séquelles de maltraitance, et un lourd traumatisme. «Ma fille était aussi malade depuis des semaines en Libye», ajoute cette maman encore bouleversée par la mort de son petit garçon. «Aymeric avait trois ans, impuissante je l’ai vu se débattre dans l’eau jusqu’à la mort.» Elle s’interrompt. Son regard se perd un instant dans le souvenir de ces images insoutenables. «J’étais déchirée entre l’envie de le rejoindre pour mourir avec lui, emportant ma fille avec nous ou me battre pour elle.» En montant à bord du bateau qui les a repêché en mer avant le naufrage général, cette Camerounaise de 36 ans découvre le corps de son enfant. «Ma fille m’a dit ne pleure pas maman Aymeric n’est pas mort, je l’ai vu, il dort! J’ai eu de l’espoir, mais non…» MSF a coordonné l’ensevelissement dans la région de Syracuse et, depuis, Marie tente de se reconstruire ici avec sa fille. «Il repose en paix, je dois tenir pour elle, lui offrir l’avenir meilleur que je suis venu chercher ici pour eux.»

Des centaines de témoignages recueillis en Calabre et en Sicile attestent, s’il le fallait encore, de la misère de certaines régions du sud de la planète. Si quelques rares Bangladais, Pakistanais, Irakiens ou Syriens ont été croisés en marge de ce reportage, la grande majorité des migrants arrivait d’Afrique. A l’exception des Erythréens et des Soudanais du sud, ils sont considérés comme des migrants économiques et n’obtiennent généralement pas les fameux documents leur permettant de poursuivre leur chemin en Europe. Charge alors, souvent, aux responsables de centres d’accueil et aux avocats chargés des recours de les aider à plaider leur cause. «Certains sont persécutés en raison de leur religion, même si officiellement il n’y a pas de persécution de masse avérée dans leur pays, explique le responsable d’un centre à Lamezia Terme. D’autres sont menacés pour leur homosexualité ou leur appartenance à une faction politique ou tribale. Autant d’arguments qu’il convient de mettre en avant dans leur demande, même s’il est souvent impossible d’en apporter la preuve.»

«Ils finissent trop souvent dans la clandestinité»

Des situations dénoncées depuis des années par les ONG en contact avec ces personnes. «Lorsqu’ils arrivent ici, ce ne sont plus des migrants économiques, mais des survivants, tous atteints dans leur santé et qui méritent protection et aide humanitaire», martèle Mathilde Auvillain, coordinatrice de SOS Méditerranée à Catane.

Malheureusement, ils obtiennent rarement le statut de réfugiés et finissent encore trop souvent dans la clandestinité. «Une aberration qui coûte bien plus cher à la collectivité qu’un véritable travail d’intégration dans les pays européens, qui manquent par ailleurs de main d’œuvre, insiste un collaborateur du HCR, impuissant face au flot quasi ininterrompu des arrivées en Italie ces dernières années. «On a noté une légère baisse en août, mais on est reparti de plus belle se désole-t-il. Et la plupart n’obtiendront pas de papiers.»