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Notre regard

Détention | Le regard des geôliers. Agents du contrôle migratoire?

La détention administrative est l’une des principales mesures de contrainte utilisées par les autorités migratoires afin de s’assurer que les migrant-e-s qui ont fait l’objet d’une décision de renvoi quittent effectivement le territoire helvétique. En Suisse, la plupart de ces détentions ont lieu dans de véritables prisons: les personnes migrantes y attendent leur renvoi sous le même toit – bien que séparément – et dans des conditions presque identiques à celles de détenu-e-s du droit pénal. Ce qui peut engendrer certaines confusions pour les agents de détention. Ceux-ci sont chargés de contrôler les détenus et de les assister au quotidien, peu importe la raison (administrative ou pénale) de leur incarcération. Ma recherche de doctorat (1) au sein de deux prisons de Suisse alémanique m’a amenée à me pencher sur cette question: qui sont les agents de détention et comment vivent-ils cette situation?

Photo: Tiago Pinheiro

Aucun diplôme préalable spécifique n’est nécessaire pour être engagé dans une institution carcérale. La formation de 3 ans pour obtenir le brevet fédéral d’agent de détention sera suivie pendant les premières années d’emploi. Les agents de détention que j’ai rencontrés proviennent de domaines les plus disparates: ils ont travaillé dans le secteur industriel, la restauration, l’enseignement, la sécurité, les ventes ou encore le jardinage, l’armée ou la boulangerie. Pour beaucoup d’entre eux, travailler en prison représentait une opportunité de changer de domaine et/ ou d’obtenir un travail sûr avec un salaire stable. «Le travail en usine était devenu trop monotone. Je voulais chercher un travail avec les gens!», raconte un agent. Ils ont souvent choisi ce métier sans savoir qu’ils seraient amenés à côtoyer des personnes migrantes n’ayant pas commis de délit.

Qu’il s’agisse de détention pénale ou administrative, le travail en prison est principalement composé de deux aspects. D’un côté, contrôler les mouvements des détenus, faire respecter l’ordre et les règles, et garantir la sécurité de chaque personne. De l’autre, il s’agit de répondre aux besoins et aux demandes des personnes détenues. En découlent des tâches variées: livrer les repas, conduire les détenus à la promenade ou aux visites, intervenir en cas d’agressions, mais aussi assister les détenus dans la rédaction de demandes ou la compréhension de courriers et documents officiels. La multitude et la superposition des tâches à accomplir sont source de stress et parfois de frustration, car le temps pour l’encadrement n’est pas toujours suffisant.

Le poids de l’absence de sens

Travaillant en rotation auprès de différentes populations carcérales, le quotidien des agents ne change pas de manière significative, qu’ils aient affaire à des migrant-e-s en attente de renvoi, à des personnes purgeant une peine ou en détention préventive. Néanmoins, la détention administrative est perçue comme un contexte particulièrement difficile dans lequel travailler. «Les détenus en exécution des peines savent pourquoi ils sont là. En plus, ils ont un intérêt à bien se comporter, car ils pourront être libérés plus tôt. Les détenus administratifs, au contraire, n’ont rien à perdre», explique un agent.

La majorité de ces personnes migrantes vivent la détention comme une injustice, et subissent ses effets négatifs sur la santé physique et psychique, ainsi que sur leurs rapports sociaux. L’incertitude dans laquelle elles sont plongées est parfois source de com- portements hostiles envers l’institution ou d’expressions de colère inattendues. Des actes d’automutilation et des tentatives de suicide sont relativement fréquents et représentent une source d’anxiété pour les employé-e-s.

Parmi les agents, différentes attitudes sont exprimées envers les personnes détenues : pour certains, maintenir la distance au niveau personnel est essentiel, alors que d’autres préfèrent se rapprocher des détenus et créer des relations de confiance qui leur permettent de mieux gérer la situation.

Bien évidemment, ces différentes attitudes sont également ressenties par les personnes détenues.

L’un des détenus que j’ai rencontrés raconte : «Les gardiens, il y en a des bons, il y en a des mauvais, comme partout dans la vie. Il y a des bons gardiens qui comprennent ma situation (…) Ils te respectent, ils te remontent le moral. Celui-là, par contre, il ne m’a jamais souri et il n’est pas compréhensif, c’est comme un robot qui travaille (…) pour lui, on est un troupeau qu’il doit gérer et faire rentrer la nuit dans les écuries». Mais de nouveau, la raison pour laquelle la personne est enfermée n’est pas l’aspect le plus pertinent pour juger un détenu : pour les employés, c’est son comportement au quotidien qui le rend plus ou moins proche ou respectable.

Les agents de détention sont tenus à l’écart du processus de renvoi. Très clairement, la durée de la détention et l’issue du dossier ne sont pas de leur ressort et ils soulignent volontiers leur position: «Nous ne travaillons ni pour la police ni pour l’office de migration», répètent-ils aux détenus lors de la procédure d’entrée; «Vous devez parler avec l’immigration; moi, je ne connais rien à votre situation et je n’y peux rien».

Rouage d’un système d’exclusion

Cette séparation effective de ceux qui prennent les décisions facilite une mise à distance à l’égard du cas individuel et du destin des détenus. Les agents ne connaissent souvent pas les détails du dossier et ne cherchent pas forcément à les connaître. Leur formation est axée sur le domaine pénal : une sensibilisation aux problématiques spécifiques à l’asile et aux droits des migrant-e-s fait défaut. Vu le nombre de détenus qui attendent un transfert dans le cadre du Règlement de Dublin et n’ont donc pas encore fait l’objet d’une décision d’asile sur le fond, celle-ci serait d’autant plus fondamentale. Car, bien que pas toujours conscients de cela, les agents de prison font partie intégrante d’un système composé d’espaces et d’acteurs divers dont le but est d’exclure les migrants considérés comme «indésirables».

Laura Rezzonico
doctorante NCCR – On the move, Université de Neuchâtel

Note:
(1) Thèse menée dans le cadre du projet «Restricting Immigration: Practices, Experiences and Resistance», dirigé par Christin Achermann et faisant partie du pôle de recherche «nccr–on the move», financé par le Fonds national suisse de la recherche scientifique.

Réglementée par la LEtr (art. 73 à 81), la détention administrative est une mesure de contrainte qui consiste à enfermer une personne pendant que les autorités vérifient son identité et/ ou organisent son renvoi du territoire suisse. Elle peut durer jusqu’à 18 mois. De nature non pénale, la détention administrative a comme seul objectif de garantir l’exécution de la procédure de renvoi. C’est pourquoi la loi recommande de la séparer de la détention préventive ou pénale et de garantir un régime de détention plus souple.

En Suisse, la détention administrative est ordonnée et gérée par les cantons,  ce qui donne lieu à une diversité de pratiques et de conditions de détention. Contrairement aux cantons de Genève, Vaud et Neuchâtel, qui cogèrent deux centres de détention administrative, la plupart des cantons n’ont pas aménagé de lieux spécifiques et enferment les personnes migrantes dans des prisons pénitentiaires.

En 2016, 5732 ordres de détention ont été produits vis-à-vis de requérant-e-s d’asile débouté-e-s ou avec une décision NEM Dublin, ou alors envers des personnes sans-papiers. La durée moyenne de ces détentions a été de 25 jours.

Laura Rezzonico

Cet article fait partie d’un dossier sur la liberté de mouvement des personnes relevant du domaine de l’asile publié dans l’édition de septembre de la revue Vivre Ensemble (n°164).

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